Chapitre 3
TERRENCE SOMNOLAIT contre le tronc d'un noyer, un petit livre corné sur les genoux, lorsque la voix rauque de son père retentit autour de lui :
- Terry !
- Ry ! Ry ! Ry ! susurra le bois des Echos.
Le jeune homme ouvrit les yeux, et les referma aussitôt en fronçant les sourcils, ébloui par l'éclatante lumière de la clairière. Il fourra le carnet dans la poche de sa veste et se leva, indolent, en direction de la voix.
- J'arrive ! cria-t-il à son tour, aussitôt accompagné de l'itératif murmure des sous-bois.
Quelques minutes plus tard il retrouva son père dans la serre, les manches remontées jusqu'aux coudes et un large chapeau de paille enfoncé sur le crâne. Ses larges mains caleuses étaient couvertes de terre. Terrence posa son regard sur les dizaines de pots vides et de plantes vertes entassés autour du vieil homme.
- J'rempote les citronniers, déclara-t-il devant son visage perplexe. Fallait s'en occuper avant qu'il soit trop tard...
Il agrippa un petit arbuste par son tronc et l'extirpa de son pot, entrainant avec ses racines des centaines de grumeaux noirs et de sable terreux. Puis, d'un léger mouvement de tête, il lui désigna une coupelle de bronze circulaire, qui siégeait en équilibre sur le bord d'un tabouret.
- Faudrait apporter une coupe d'eau fraiche à notre p'tit protégé. Tu peux t'en charger pour moi s'il te plaît ?
- Oui docteur, répondit Terrence en mimant une révérence, un large sourire suspendu au visage.
Le vieil homme esquissa un sourire discret en secouant la tête, et continua son rempotage tandis que son fils s'éloignait, la coupelle sous le bras.
- Ho et ...
Terrence se retourna. Son père sembla hésiter quelques secondes, puis continua :
- Fait gaffe quand même hein ? J'pense qu'il est conscient maintenant, et même s'il est trop amoché pour se lever...
- T'inquiète papa, je gère, rétorqua-t-il dans un clin d'œil. J'ai l'habitude des vieux loups bourrus.
Une fois la coupelle remplie, Terrence se rendit en sifflotant jusqu'à la petite infirmerie de fortune. La porte s'ouvrir dans un grincement feutré. Il entra prudemment. Sa main cherchait dans le noir le petit interrupteur lorsqu'un grondement surgit des ténèbres. Sous la lumière grésillante, se dessinait lentement la silhouette sombre du loup, couché au ras du sol dans un coin de la remise. Le poil de l'échine hérissé, il montrait les crocs sans cesser de gronder.
Le jeune homme voulu s'approcher, mais l'animal se déroba aussitôt dans un couinement aigu, rampant tant bien que mal sur sa couverture. Son agressivité n'était qu'une façade, se sachant vulnérable, la pauvre bête était terrorisée. Terrence tenta alors de le calmer, d'une voix la plus douce possible :
- Eh doucement mon beau ! Je ne te veux aucun mal, regarde je t'apporte de l'eau.
Et il posa délicatement la soucoupe sur le sol, qu'il poussa du bout des doigts avant de reculer de quelques pas. Méfiant, le loup approcha son museau de la surface et plongea son regard d'argent dans celui du jeune garçon. Sans détourner les yeux il commença à laper l'eau fraîche, d'abord lentement puis avec avidité.
Terrence se mit à rire, et le loup s'immobilisa. Ses yeux étaient si clairs qu'ils semblaient presque luire dans l'ombre de la cabane. Et il le fixait avec tant d'attention que, l'espace d'un instant, le jeune homme crût y déceler un « merci » silencieux. Finalement, ce loup ne paraissait pas si dangereux... C'était même à se demander s'il ne s'agissait pas plutôt d'une sorte de chien hybride, croisé avec un loup.
- Tu as faim ? demanda-t-il en se redressant.
Son geste devait être un peu trop brusque, car le loup sursauta dans un mouvement de recul.
- Décidément, il en faut peu pour t'effrayer hein ? ricana le jeune garçon.
Il lui lança un regard attendrit. Oui, finalement, il commençait peut-être à l'apprécier, ce gros poltron de canidé.
- Je reviens d'accord ?
Terrence retrouva son père dans la cuisine. Celui-ci venait de terminer sa séance de jardinage, et était en train de se frotter rigoureusement les mains sous un filet d'eau claire. Le jeune homme lui raconta alors le curieux face à face qu'il venait de vivre.
- Tu n'aurais pas quelques restes d'hier à lui donner ? ajouta-t-il.
- J'crois pas non, mais c'est pas bien grave, on peut partager notre déjeuner ! répondit Oscar en sortant un petit sac de viande séchée du placard.
Terrence lui sourit, et ils sortirent tous deux en direction de la cabane à outils. Mais ce qu'ils y trouvèrent les déconcerta... pas la moindre trace de vie, le loup était parti ! Le vieil Oscar murmura :
- Faut qu'on l'retrouve, et vite !! Il survivra jamais seul dans cet état.
Sans réfléchir plus longtemps, Terrence se précipita dans le jardin, laissant son père fouiller du côté opposé. « Il n'a pas dût aller bien loin », se répétait-il, « ce matin encore il ne tenait même pas debout ». Courant entres les hautes herbes, les dents serrées et front plissé, il cherchait derrière chaque fourré, derrière chaque buisson... Car malgré ses réticences, le jeune homme s'était vite attaché au pauvre animal, et la seule idée qu'il puisse de nouveau lui arriver malheur lui nouait les entrailles d'appréhension.
Il commençait à désespérer lorsqu'un cri enroué retentit dans ses oreilles, suivit des échos du bois. Terrence reconnu immédiatement le timbre de son père et accouru vers lui.
- Papa ! Tout va bien ? Qu'est-ce que... commença-t-il.
La scène qui se déroulait sous ses yeux le laissa sans voix. Le visage blême, il porta une main à sa bouche, étouffant un hoquet de surprise.
Derrière un buisson d'épines, à quelques pas de l'orée du bois, une jeune femme était étendue, inconsciente. Bien qu'à moitié dissimulée par une longue couverture à carreaux bleus, on devinait une peau laiteuse, couverte d'ecchymoses et de griffures ensanglantées. Tandis que sous une cascade de mèches fauves, surgissait une oreille pâle, d'où manquait un morceau de chair.
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