07 | BAL DE JUILLET ET BAUME À L'ORANGE

Évidemment, c'était l'évènement de l'été. Toute la semaine on avait distribué des flyers et appâté les touristes à force d'arguments exubérants. Le bal de juillet, Jules et sa bande y participaient depuis si longtemps qu'il était impossible de se rappeler de la première fois. Pourtant, leurs habitudes avaient souvent changées. Lorsqu'ils étaient enfants, ils passaient la soirée à courir entre les danseurs et à chiper des petits fours sur le buffet, finissant par s'endormir serrés les uns contre les autres, au fond de la salle.
Au début de l'adolescence, les filles se maquillaient grossièrement et les garçons coiffaient leurs cheveux en arrière pour tenter d'imiter ces idoles américaines tout droit sorties de films populaires. Sans succès, ils essayaient de s'intégrer aux plus vieux, dont Albin faisait partie – ce dernier s'était à nombreuses reprises fâché contre Morgan. Mais depuis l'année dernière, c'étaient eux les grands. C'étaient eux qui régnaient sur la piste de danse, eux qui s'éclipsaient à l'arrière du bâtiment pour partager une cigarette, eux qui restaient jusqu'au petit matin pour rigoler autour d'une bouteille de bourbon bon marché.

— Fard à paupières.

Jules fouilla dans la trousse de toilette fuchsia et tendit un boîtier qu'il jugea être de la bonne teinte. Cassie le repoussa d'un geste de la main avec un regard irrité.

— C'est du fard à joues ça ! Le turquoise, s'il te plaît.

Elle était assise à sa commode, penchée vers son reflet. Une partie de ses cheveux était enroulée autour de bigoudis tandis que l'autre pendait en boucles parfaites autour de son visage.

— Ça ? Demanda Jules avec espoir.
— Oui, merci.

Elle s'en appliqua une dose importante sur ses paupières en chantonnant un air inconnu. Jules s'allongea sur l'épais tapis, ses bras croisés derrière la tête. Il aimait ce moment de calme avant la tempête de la fête. Juste l'atmosphère étouffante de parfum trop sucré, la vieille radio en fond, les cigales à travers la fenêtre ouverte sur la chaleur du soir. Cassie farfouilla dans le bazar de ses tiroirs avant d'en sortir un paquet de Marlboro à moitié entamé. Elle coinça une cigarette entre ses dents puis l'alluma sans cesser d'étaler la poudre turquoise de son autre main. Jules admira cette capacité féminine à faire plusieurs choses à la fois.

— J'espère qu'il y aura Merit, commenta Cassie en tirant une longue bouffée.
— Qui ?
— Tu sais, la nièce du disquaire. Elle venait souvent ici y a quelques temps.
— Attends.. celle à qui tu tirais les couettes ?
— Heu, ouais, peut-être.
— Et qui t'avais renversé son coca dessus devant tout le monde à ton anniversaire de onze ans ? Et que t'avais terminé la journée toute collante ?
— Je me souviens pas de ça.
— Ah ouais ? Pourtant..
— Oui, cette Merit là ! Bah figure toi qu'elle t'aimait bien.. Et qu'elle est devenue plutôt jolie.

Jules poussa un gémissement plaintif et roula sur le ventre. Il avait horreur de ce genre de situation. À tous les coups, elle passerait la soirée à lui jeter des regards timides et à l'inviter à danser puis finirait la nuit un brin éméchée, à le tirer dehors pour tenter de l'embrasser – ou pire !

— J'essaie de te faire penser à autre chose que Mélo ! Se vexa Cassie en l'observant à travers le miroir.
— Je pense déjà à autre chose !
— Pourquoi t'as toujours ce petit air abattu, alors ?

Plusieurs réponses traversèrent l'esprit de Jules. Sa mère, son père, Naémi, la dernière année de lycée. Il opta assez rapidement pour sa préférée : la fuite.

— On va être en retard.

Il se leva d'un bond et se dirigea vers la porte à grands pas. Cassie protesta tout en retirant le reste de ses bigoudis le plus vite possible. Elle enfila des sandales compensées et le poursuivit dans l'escalier tout en manquant de tomber.

— Cette conversation n'est pas terminée, Jules ! Seulement sur pause !

                                Sans surprise, ce fut comme tous les ans. La salle des fêtes avait été décorée de lampions pour l'occasion et leur douce lumière éclairait le trottoir. Lorsqu'ils arrivèrent, Morgan garait sa mobylette contre le mur en briques rouge. Sa chemise jaune pâle faisait ressortir sa tignasse écarlate. Cassie sauta sur son dos et il poussa un cri effrayé.

— Putain, Cass ! Je t'avais pas vue.
— J'aime bien ta chemise, Carotte.
— C'est vrai ? C'est à mon frère. Ma mère l'a forcé à me la prêter parce que ça fait ressortir mon teint, apparemment. Le problème c'est que je rougis facilement alors ça fait un effet bizarre avec le mélange de toutes les couleurs, mais bon. La bleu me donnait l'air malade et la verte.. tu sais très bien pourquoi je ne porte pas la verte. Mais au bal d'août, je ne porterai certainement pas la jaune. Ça fera trop. Peut-être que je porterai juste un t-shirt ? Le bal d'août est plus décontracte, je trouve. Tu mettras quoi toi ? Ah mais t'es une fille, ça change tout, vous trouvez toujours une raison pour vous mettre sur votre trente et un. Pas que ce soit un problème, bien sûr. Peut-être qu'on ne fait pas assez d'efforts, nous les garçons ? D'ailleurs tu es très jolie, ce soir. Le rose te va à ravir. Enfin, toutes les couleurs te vont bien !

Cassie hocha la tête et répliqua une réponse élaborée. C'était la seule qui assimilait sans problème le surplus d'informations de Morgan et y répondait avec entrain. Jules les laissa papoter et s'engouffra à l'intérieur, où la température était terriblement plus élevée. Au milieu de la pièce, des quinquagénaires se déhanchaient déjà sur un rock enflammé, ce qui semblait amuser Elijah et Méloé, affairés autour du buffet.

— Déjà en train de bouffer ? Lança Jules en les rejoignant.
— Les gougères aux épinards de Mimi sont magnifiques, cette année, se contenta de répondre Elijah.
— Les petits fours du maire, par contre.. renchérit Méloé.
— C'est parce que sa femme l'a quitté, alors maintenant c'est son assistante qui les fait.

Jules fit un geste vague vers un petit homme rondouillard, qui se trémoussait en compagnie d'une fausse blonde à la silhouette longiligne.

— C'est elle.
— Sérieux ? S'étonna Méloé.
— Quoi, ta mère la commère te l'a pas raconté ?
— Oh, si sûrement, je devais juste pas écouter.

À l'entrée, les touristes commençaient à affluer, jetant autour d'eux des regards curieux. Le comité du village avait mis le paquet : boule disco, sono géante, guirlandes lumineuses et banderoles multicolores. Les habitués s'amusaient de ce petit manège pour impressionner la galerie.

— Hé ! Ce serait pas Merit, là bas ? Dit Elijah en pointant les doubles portes du doigt.
— Oh, si ! Elle a vachement changé.
— Cachez moi, pitié !

Jules examina les options. Se cacher sous la table ? Trop poussiéreux. Passer par une dalle du plafond ? Trop James Bond. Se fondre dans la foule ? Trop risqué. Méloé lui jeta un regard curieux.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? Demanda-t-elle alors que Jules se faisait tout petit derrière eux.
— Pose pas de question.

Il croisa le regard d'Elijah et comprit dans l'éclat cruel de sa prunelle que la fin approchait.

— Merit ! Cria-t-il en agitant la main.

La jeune fille se tourna immédiatement vers eux, et les gratifia d'un grand sourire. Jules sortit de sa cachette pour conserver le peu de dignité qui lui restait. Il ne l'avait pas vu depuis deux ans et la différence était frappante.

— Je suis tellement contente de vous avoir trouvés ! Lança-t-elle en guise de bonjour. J'ai eu peur de devoir passer la soirée avec mon oncle.

Elle avait arrêté de coiffer ses cheveux châtains en deux couettes informes et les laissaient maintenant libres. Son visage était constellé d'un million de tâches de rousseur et ses grandes lunettes rondes lui donnaient constamment l'air étonné.

— Vous n'allez pas danser ? S'enquit-elle.
— Ah, non ! Contra Méloé. Très mauvais plan.
— Il faut attendre 22h, expliqua Elijah. Là, tous les vieux se fatigueront et se jetteront sur le buffet.
— Nous on en aura déjà dévoré la moitié.
— Et on pourra danser entre jeunes, avec le ventre plein.
— Ça m'a l'air d'être un bon plan.

Ils se turent pour observer la porte principale. Morgan et Cassie entraient en même temps que quelques touristes, détachant leur regard l'un de l'autre simplement pour vérifier où ils mettaient les pieds.

— Est-ce que ces deux-là sont enfin ensembles ? Demanda Merit après un instant de silence.
— Avec cette poule mouillée de Morgan ? Sûrement pas, répondit Elijah.
— On est en 1988, riposta Méloé. Les femmes aussi peuvent faire le premier pas.
— Mais Cassie a trop peur pour leur amitié !
— Cassie et Morgan ? Coupa Jules en riant. Sérieux ?

Ils le fixèrent tous les trois en silence. Méloé fronça légèrement les sourcils.

— Bah.. ouais. T'as pas remarqué comment ils s'étaient rapprochés cet été ?
— Morgan est fou d'elle depuis au moins deux ans, ajouta Elijah.

Jules resta muet, embarrassé. Il s'était tellement concentré sur ses problèmes ces derniers temps qu'il ne faisait plus attention à rien autour de lui. Cassie les bouscula pour se jeter sur le buffet.

— Je meurs de faim.

Les quinquagénaires commençaient à quitter la piste de danse, essoufflés, pour trouver du réconfort vers les bouteilles de rosé et les parts de quiche. Jules se dépêcha de s'emparer de quelques biscuits apéritifs avant qu'ils ne soient engloutis. Trois nuits par semaine d'Indochine se déversa soudain par la sono et Elijah poussa un cri.

— C'est ma chanson ! Rugit-il en tirant Méloé et Jules vers la piste de danse à présent presque vide.

Cassie, la bouche encore pleine, attrapa Morgan d'une main et Merit d'une autre pour les traîner eux aussi au centre. Elijah avait beau sauter dans tous les sens et agiter les bras de façon questionable, il arrivait toujours à un rendu gracieux. Jules, lui, ressemblait sûrement à un pantin désarticulé, il réduisait alors ses mouvements au maximum.

Mais trois nuits par semaine c'est sa peau contre ma peau et je suis avec elle ! Chanta Eli à tue-tête.

D'autres jeunes commençaient à s'ajouter sur la piste, entraînés par la démonstration d'Elijah. Cassie sortit une flasque de sa poche et versa un peu de son contenu dans tous leurs verres. Le DJ augmenta encore le volume. La soirée commençait enfin.

Quelques heures plus tard, Jules finit par se pousser sur le côté, éreinté. Sa chemise avait beau être retroussé aux manches et en partie ouverte sur son torse, elle lui collait quand même à la peau. La sueur formait une couche luisante sur son front. Il décida de s'aérer quelques instants. Dehors, l'air de la nuit le rafraîchit légèrement. Il se percha sur le rebord d'une fenêtre, les pieds surélevés au dessus du sol. La musique était légèrement étouffée par les murs.

— Salut.

Il tourna la tête vers sa droite. Merit marchait vers lui, un sourire aux lèvres, ses cheveux relevés en une queue de cheval. Il ne savait pas si il était content de la voir ou non.

— Salut, répéta-il.
— Ça va ?
— Ouais.
— 'Fait chaud, hein ?
— Bah.. ouais.

Merit se tortilla un peu, visiblement gênée. Jules ne fit pas vraiment d'effort pour l'aider, balançant ses pieds dans le vide en silence.

— J'ai ramené ça.

Elle brandit une bouteille d'alcool à moitié pleine et l'agita. Jules la suivit du regard.

— T'en auras seulement si tu viens avec moi, menaça Merit en reculant.
— Deal.

Jules sauta de son perchoir et s'élança à sa suite. Le pas de Merit démontrait qu'elle était aussi éméchée que lui. Ils s'éloignèrent de la musique trop forte et des lumières artificielles, accueillant le silence de la nuit et la lueur blafarde de la lune. Jules regardait Merit en biais, incapable de ne pas faire de comparaison. Contrairement à Méloé qui faisait pratiquement sa taille, elle faisait presque une tête de moins que lui. Un point commun : elles étaient manifestement toutes les deux très bavardes. Merit ne s'arrêtait pas de parler, parler, parler.

— Là.

Ils s'assirent sur la berge pavée, les jambes pendant juste au dessus de l'eau noire. Merit s'autorisa à ouvrir la bouteille, portant avidement le goulot à ses lèvres. Elle le passa ensuite à Jules, qui avala plus prudemment quelques gorgées.

— On s'embrasse ?

Il s'étouffa avec le liquide et se tourna vivement vers Merit, essuyant une goutte qui lui avait coulé sur le menton.

— Là ? D'un coup ?
— Bah.. j'ai un peu trop bu pour continuer à faire la conversation.

Jules la fixa un instant, perplexe. Merit le fixait en retour, attendant une réponse. Elle était jolie alors il souffla :

— Ok.

Elle sourit et se pencha vers lui, pressant leurs lèvres l'une contre l'autre avec douceur. Jules ferma les yeux, un peu hésitant.

— T'as un goût d'orange, fit-il remarquer quand elle se recula.
— C'est mon baume à lèvres.
— Ooh.

Elle pouffa et se remit à l'embrasser. Jules ne savait pas trop quoi en penser. C'était agréable, mais ses pensées divaguaient sans cesse. Est-ce que ce baiser l'engageait à quoi que ce soit ? Non. Les filles amoureuses laissent durer l'attente jusqu'à ce qu'elle soit insupportable. Elles attendent d'être sûres que vous soyez le bon. C'est pour ça que Méloé avait bousculé les choses, à l'instant où Jules avait osé dévoiler ses sentiments. On peut aller vite, ça ne compte pas. Ah, voilà encore une fille pour laquelle ça ne comptait pas. Merit n'en avait pas grand chose à faire non plus, tant mieux. La dernière qu'il avait embrassée s'appelait Charlotte. Elle avait laissé s'écouler trois mois de regards à la dérobée et de petits mots sur des bouts de papier avant de l'embrasser. C'était le dernier jour des cours. Non, pas le dernier. Une semaine avant. Elle était partie en avance. Assise sur la selle de son vélo, un pied au sol pour faire béquille, elle avait dit « Écris-moi ». Jules avait promis mais n'avait jamais écrit. Il ne l'aimait pas et attendait secrètement de revoir Méloé. C'était cruel pour la pauvre fille énamourée. Mais voilà, les sentiments ça ne se contrôle pas.

Un geste inattendu le sortit brusquement de ses divagations. La main de Merit se frayait un chemin sous sa ceinture. Il paniqua, saisissant son poignet et le repoussant aussi délicatement que possible. Elle cessa immédiatement de l'embrasser et chercha son regard, les sourcils légèrement haussés.

— Je pense pas que ce soit une bonne idée, se justifia Jules en rougissant, détournant les yeux.
— Pourquoi ?
— On a beaucoup bu. Faudrait pas qu'on fasse quelque chose que tu regretterais.
— Je ne regretterais pas.
— Oui, mais..
— Dis moi directement que tu ne veux pas, idiot.

Merit lui fit une pichenette sur le front avec un sourire. Jules se sentait un peu honteux. Il n'était pas censé refuser, n'est ce pas ? Tous les garçons de son âge auraient accepté avec plaisir. Peut-être était-il un peu cassé.

— Arrête de faire cette tête, soupira Merit, c'est pas grave si tu veux pas. On peut juste s'embrasser.

Jules hocha la tête. Ça lui allait mieux, comme ça. Il ferma à nouveau les yeux et la laissa passer ses bras autour de son cou.

                                           Une heure plus tard, Jules remonta sa ruelle en titubant un peu, trébuchant sur des obstacles invisibles. Il était soûl de bière et des baisers orange de Merit. À cette heure-ci, tout était complètement vide. Tous ses amis avaient disparu, sûrement rentrés chez eux, ou endormis dans un lieu improbable – Elijah s'était déjà réveillé dans le bosquet de fleurs d'une ville dame, l'été précédent.
Il fut surpris de trouver sa mère assise sur le perron, en t-shirt large et mini-short, fumant une cigarette. Elle ressemblait à une adolescente. Jules oubliait souvent à quel point elle était jeune.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Demanda-t-il.
— Duck ronfle.

Elle expira une longue bouffée et tapota la place à côté d'elle de ses jolies mains bronzées.

— Viens t'asseoir.

Jules hésita un instant puis se laissa lourdement tomber sur les marches. L'arrière de sa tête cogna contre la porte.

— Comment s'est passée ta soirée ?
— Bien. J'ai embrassé une fille.

Jules se demanda pourquoi il avait dit ça. L'alcool n'avait malheureusement pas perdu ses effets.

— Qui ? Demanda curieusement sa mère.
— La nièce du disquaire.
— Marie ?
Merit.

Elle pouffa. La fumée s'échappa par son nez.

— Mon petit garçon devient un grand.
— Hé ! J'étais déjà grand avant. J'en ai embrassées au moins.. trois !
— Trois ? Et moi qui croyais que tu n'avais jamais eu de copine.
— Bah.. j'en ai jamais eu. Enfin y a eu ce truc avec Méloé, l'été dernier.. mais c'était rien.
— Méloé ? Notre Mélo ?
— Oui, notre Mélo. Qui d'autre ?

Sa mère siffla, puis laissa tomber son mégot dans un verre d'eau presque vide.

— Ton père est au courant ?
— Oui.
— Il ne me l'a jamais dit.
— Pourquoi tu ne m'as jamais demandé directement à moi ?

Elle le regarda un instant avant de baisser les yeux sur ses genoux.

— Je savais pas comment faire, avoua-t-elle. Je ne savais pas comment m'adresser à toi.

Jules trouva ça stupide mais ne dit rien. Elle aurait pu lui parler de n'importe quelle manière qu'il en aurait été heureux. Heureux de compter, au moins un peu.

— Tu sais que j'ai rencontré ton père ici ?

Oui, il le savait. Mais il voulait qu'elle continue de parler, alors il secoua la tête de gauche à droite.

— C'était l'été 70. Ça remonte à loin, hein ? J'avais presque dix-huit ans. On venait ici pour la première fois, ton grand père venait d'acheter la maison.

Elle passa sa main sur la façade fissurée avec un petit air mélancolique.

— C'était une période compliquée. Ma sœur était en pleine crise d'adolescence et ta grand mère était.. euh, malade.
— Je ne savais pas que mamie avait été malade. C'était grave ?
— Une vilaine grippe, c'est tout.

Jules soupçonna qu'il y ait plus que ça mais ne chercha pas à en savoir plus.

— Quand j'ai vu ton père pour la première fois, il était tombé dans son bateau et s'était emmêlé avec un filet de pêche. J'ai du l'aider à s'en dépêtrer.
— C'était le coup de foudre au premier regard ?
— Non.. plutôt quand il a prononcé mon nom pour la première fois. Il disait Louu-issa. En faisant durer le ou et en transformant le s en ss. Il prenait son temps.
Louu-issa.
— Exactement comme ça, oui.

Louisa alluma une seconde cigarette. Le briquet illumina son joli visage quelques instants.

— C'était un bel été. J'étais amoureuse. Lui aussi. Je voulais passer le restant de mes jours à ses côtés. Mais la rentrée est arrivée. On a du retourner à Bordeaux. Il fallait que je commence mes études.
— Il n'est pas venu avec toi ?
— Il ne voulait pas laisser son père seul. Il se fatiguait vite. Et puis, tu sais, ce n'était rien qu'une amourette estivale.

Elle semblait triste et Jules eut envie de se blottir dans ses bras comme un enfant, même si il la dépassait largement en taille. Il n'en fit rien.

— On avait perdu contact depuis plus d'un mois quand j'ai appris la nouvelle. J'étais enceinte.

Elle le regarda. Comme si il était improbable que la petite chose au creux de son ventre se trouve maintenant assise en face d'elle, avec un bon mètre quatre-vingt.

— Je lui ai téléphoné. Il a promis d'être là en deux jours. Ce fut le cas. On devait discuter d'une solution. À l'époque, l'avortement n'était même pas une option. Alors on a travaillé dur pour se trouver un appartement, se construire un foyer. Je continuais d'aller à la fac malgré mon bide énorme. Les profs me regardaient drôlement ! Puis t'es né.
— Tu regrettes ? Demanda subitement Jules.
— Regretter quoi ?
— De pas m'avoir mis à l'adoption.

Louisa eut l'air offusquée. Elle le tira par l'oreille.

— Ça ne va pas ! L'idée ne m'a jamais effleurée l'esprit. Je t'aime, Jules. Je sais que tu ne le crois pas mais je ne pourrais jamais me séparer de toi. C'est pour ça que j'ai insisté pour que tu ne partes pas avec ton père.

Elle l'attira dans ses bras. Il se trouva écrasé, le souffle presque coupé, mais il ne chercha pas à se défaire de l'étreinte. L'espace d'un instant ce fut comme si ils avaient toujours été ainsi. Comme si les années d'absence n'avaient pas existé.

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