Chapitre 2 - Arthur




Paris, 22 Février 2022.

Arthur se réveilla tôt ce matin-là. Bien plus tôt que d'habitude. Il regarda sa montre. Cinq heures et demie. Ne pouvant dormir davantage, il se leva et s'habilla.

Il avait pris sa tenue préférée : Son vieux pantalon à  bretelles, sa chemise et son béret. Elles le rassuraient, lui rappelaient d'où il venait. Il était un peu déboussolé depuis qu'il avait quitté ses Alpes natales. Paris était tellement différent. Alors, en s'habillant comme pour aller faire paître ses moutons, il arrivait à faire face à la grandeur de la capitale.

Il avait faim. Il fouilla dans son sac de voyage en priant qu'il lui reste quelque chose. Il tomba sur une moitié de sandwich au pain de seigle et au jambon industriel. Ça ferait l'affaire pour un petit déjeuner.

Il l'entama assis sur son lit. Il n'y avait dans cet appartement ni table, ni chaise. Un vrai trou à rats. Le lit une place grinçait dès qu'on s'y appuyait. La salle d'eau n'était que des toilettes assorties d'un pommeau de douche. Un minuscule lavabo se tenait à l'entrée. Il n'y avait qu'une commode pour ranger ses affaires et on ne pouvait pas avancer dans ce lieu sans faire d'inimaginables slaloms acrobatiques. Le plafond était serti d'évidentes taches d'humidité qui stimulaient l'imagination d'Arthur.

Il regarda par la fenêtre. Puis sa montre. Cinq heures quarante-deux. Ça n'avait pas vraiment avancé.

La raison pour laquelle il ne tenait pas en place était valable. Il venait d'arriver à Paris la veille au soir et s'installait pour commencer ses études de dessin. Lui qui n'avait jamais quitté les montagnes reculées de France et son village natal était vivement impressionné par la grandeur de la capitale. Enfin, il allait pouvoir exercer ce qu'il aimait réellement, ce pourquoi il était sûr d'être fait depuis sa naissance : le dessin. Son oncle, professeur aux Beaux-Arts, avait réussi à le faire entrer dans un classe en milieu d'année. Ses cours commençaient aujourd'hui, à neuf heures, mais l'anxiété d'arriver seul dans une classe qui avait commencé en septembre le travaillait beaucoup.

Et beaucoup de questions tournaient dans son esprit. Surtout une,  à vrai dire, qui le harcelait depuis son arrivée : Et si personne ne l'aimait ? Et s'il se retrouvait seul pour toujours... ? Arthur n'avait jamais eu vraiment beaucoup d'amis ; les montagnes sont loin d'être l'endroit où l'on sociabilise le plus. Il avait cette maladie de la timidité qui le rongeait dès que quelqu'un venait lui parler. Il n'arrivait qu'à grand peine à acheter des croissants. Lorsque quelqu'un lui parlait, il ne levait jamais les yeux et parlait toujours très bas. Alors de là à se faire des amis...

Il se leva d'un coup. Il avait besoin de prendre l'air. Il saisit son long manteau de laine, ses bottines usées. Il tâta la poche de son pantalon. Il y trouva une forme fine et rectangle ainsi qu'un petit tube. Rassuré, il entreprit de faire ses lacets avec hâte. Il ouvrit la porte. Il allait la refermer lorsqu'il s'arrêta net. Revenant en arrière avec un sourire aux lèvres, il récupéra ses clés et sortit pour de bon.

Il descendit les escaliers grinçants, poussa la lourde porte en bois de son immeuble et se trouva confronté au paysage glacial d'une ville endormie dans la nuit. Du brouillard enveloppait l'espace, atténuant la lueur jaunâtre des lampadaires. Quelques rares voitures passaient en toute vitesse.

Arthur décida qu'il irait au jardin du Luxembourg. Il était alors peut-être rempli de gens, mais il devait assurément y avoir moins de monde à six heures moins quart du matin. Et puis, il avait besoin de voir de la nature.


Après avoir prit le métro, bruyant et sale, il entra dans le jardin. Les immeubles dehors étaient oppressants. Il était hauts, mais surtout beaucoup trop près. Les arbres, enfermés par un grillage doré, se plaignaient de leurs longs sanglots feuillus. Tout lui semblait triste. Oppressant.

Un jeune homme, probablement du même âge que lui, passa avec son chien. Arthur baissa la tête, en attendant que l'autre le salue, mais il l'ignora. Typiquement parisien.

Il continua ensuite à déambuler dans le parc et arriva près d'une chaise, le long d'un chemin. D'ici, avec l'éclairage du jour qui se lève à peine, on ne pouvait pas deviner que l'on se trouvait en plein Paris. Les arbres étaient la seule musique et cachaient le reste du paysage. Il y avait un lampadaire, près du banc en bois, qui éclairait doucement quelques pigeons picorants. L'endroit parfait.

Il fouilla alors dans son sac. Sa main rassurée se posa sur son calepin et ses aquarelles. Ravi, il les sortit, ouvrit une nouvelle page et dessina. Son premier dessin à Paris. Son dernier dessin avant ses études.

               Sa main dirigeait son crayon, le faisant danser sur le papier blanc. Tantôt des traits allongés, tantôt des coups bref. Parfois, tenant toujours son crayon entre deux doigts, il estompait quelques détails et repaissait de sa mine affûtée.

Arthur dessina tant qu'il remarqua à peine le lever du soleil, ainsi que celui de la ville. Le vacarme, à présent, couvrait presque tous les chants de la Nature. Régulièrement, des coureurs passaient, suivis par certains de leurs chiens. Il y avait aussi des grands-pères, canne à la main, coiffés de l'éternel béret basque. Quelques fois, des vieilles dames, bras dessus, bras dessous, se remémorant les temps anciens. Mais il était imperméable de tout cela. Sa seule vision s'arrêtait aux bordures de sa petite feuille. À présent, on y pouvait voir très distinctement le visage d'une ravissante jeune fille. Il semblait parfait, pourtant, la mine du crayon ne cessait de défaire et refaire les traits, repasser les lignes de la chevelure tombante. Il passa à la peinture.

Il devait être environ huit heures et demie quand le dessinateur leva enfin les yeux. Le jour, à présent était très net, il n'y avait pas une trace de l'obscurité. Il prit un temps pour observer le chêne qui se trouvait en face de lui. Il scruta chaque détail avec une attention particulière. Aucune rainure du tronc n'échappa à son regard. Il pouvait presque percevoir les multiples insectes qui grouillaient sous l'écorce. Il allait lever légèrement les yeux pour admirer les branches lorsqu'un petit cercle noir incrusté dans le bois clair attira son attention. Il devait être grand de quelques centimètres. Mais plus Arthur l'observait, plus il lui semblait que ce cercle tournait sur lui-même. Soudain, il se rendit compte que cette petite tache noire grandissait. Il garda les yeux rivés sur celle-ci, tandis qu'elle prenait la taille d'une main, puis d'un bras. C'était maintenant un vortex de brume, noir comme la nuit, ouvert sur le tronc du chêne, qui continuait de grandir.

Arthur étouffa un cri, pétrifié. Il était maintenant seul sur le chemin, debout, immobile, la bouche ouverte, les yeux écarquillés de stupeur. Le vortex continua de s'accroitre jusqu'à faire environ deux mètres de diamètre. Une grande spirale de brume noire, tournant sur elle-même à l'infini. Hypnotisante. Il gardait les yeux fixés sur le centre et prit d'un coup un nouvel air : celui de la tentation. Il ne voyait ni n'entendait plus rien, seulement ce phénomène stupéfiant et cette soudaine envie de s'en rapprocher, de rentrer dans cette brume. Plus rien ne comptait à ses yeux : il voulait juste toucher le centre de cette conscience qui l'attirait inexplicablement vers elle. Les yeux toujours rivés sur le cœur de la double spirale, il fit un pas, puis deux, et se retrouva à quelque centimètre d'elle. Un désir irrésistible s'empara alors de lui, il fallait qu'il entre dedans. Sa conscience morale était enfouie dans les recoins de sa tête et il ne songeait plus qu'à une chose : pénétrer dans ce cercle impérieux qui appelait son âme. Plongé ainsi dans cette hypnose, il tendit sa main et ses doigts effleurèrent la brume noire. Elle était glaciale.

Il l'eût à peine touchée qu'il sentit soudain que la spirale s'avançait vers lui. Il n'eût pas le temps de se dégager ; il fut aspiré par la brume et se senti tomber vers le néant.

Tout était flou, l'air était irrespirable, et la brume se mouvait sans cesse autours de lui ; il était à présent certain qu'il tombait. Il tournait sur lui-même à une vitesse affolante. Sous le choc, il s'évanouit.


Les Elfix et les Hommes ont toujours été en guerre. C'est toujours eux qui l'ont déclaré. Nous, Elfix, ne faisons que nous défendre face aux maux causés par ces monstres.

Nahyon Lykos Lauris Narypy Agirios,

Roi de Nymyodel,

Discours avant la Bataille de la Tour

1933

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