Chapitre 24
Le temps était comme suspendu dans ce parc où l'air avait été contaminé par les effluves d'un écosystème ravagé. En son sein, traînait le corps sans vie d'une reine qui avait défendu sa couronne jusqu'à son dernier souffle.
Après quelques minutes d'hésitation, Allan et Gregor sortir de leur tanière. Ces derniers rasèrent d'abord le sol sur leurs quatre pattes. Ils finirent par quitter leur position pour se tenir sur leurs deux pieds dès lors qu'ils eurent contourné la musuhga recouverte de suie. Beatriz était sonnée. La gueule béante de ses deux membres carnivores crachait du sang. Amélia était encore plus épuisé que Bastior lorsqu'elle l'avait attaqué. Si la reine avait déployé l'étendue de sa puissance, la sorcière serait revenue à elle en Espagne dans un piteux état.
― Il faut évacuer le démon, commanda celle-ci dans la langue de Molière. Des curieux ne vont pas tarder à rappliquer !
― Mais... Et l'herbe calcinée ? Les gens... On est désolé ! bafouilla Gregor dont l'esprit était encore trop confus pour faire une phrase complète.
Beatriz fit un signe de tête aux garçons pour leur indiquer de dégager le terrain. Le duo ignorait le plan de l'hispanique, mais il était certain qu'ils n'avaient aucun rôle à jouer dans celui-ci. Allan empoigna les jambes d'Amélia tandis que Gregor s'occupait de lui soulever les épaules. Bien que la Beatriz savait que le poids d'un mort n'était pas négligeable, elle ne bougea pas. Elle refusait d'entacher sa fierté en touchant une créature des ténèbres !
Après de multiples protestations et une forte dose d'acharnement, Allan et Gregor réussirent à déplacer le cadavre d'Amélia à quelques mètres de sa rivale. S'arrêtant pour marquer une pause dans leur effort, les écossais tournèrent la tête vers Beatriz :
― Elle abuse la latino ! protesta Allan.
― C'est clair ! Tu crois vraiment qu'elle va pouvoir faire quelque chose pour l'herbe ?
― Apparemment, souffla Allan en observant d'un regard perplexe la sorcière qui se relevait avec difficulté, la mâchoire crispée par l'effort.
Soudain, les fleurs dispersées dans sa chevelure s'illuminèrent une à une. La lumière se diffusa entre les lianes de Beatriz puis ce fut tout son corps qui prit un éclat argenté Les dionées situées aux extrémités de ses bras se ranimèrent soudainement, avant de se résorber, pour laisser paraître les mains de la créature. Sa magie se répandit ensuite sur l'herbe tel des racines nourrissant le sol d'un baume cicatrisant. Le peuple de Beatriz est composé de guérisseurs qui peuvent ranimer la flore terrienne. En moins de cinq minutes, toute trace du passage de la magie fut effacée.
La verdure du parc reprit une couleur uniforme. Les youtubeurs ne sentaient plus l'odeur de fumée qui obstruait leurs poumons depuis plusieurs minutes. Prenant à l'unisson un grand bol de cet air purifié, ils reprirent leur difficile besogne alors que la projection de la musuhga regagnait son enveloppe charnelle qui patientait aux toilettes de son travail. Le corps d'Amélia finit sa course planquée derrière un buisson, ses sauveteurs assis à ses côtés.
La foule qui s'était créée autour des entrées du parc avait été abasourdie par la brume noire et les bruits de lutte au loin. La torpeur saisit les humains lorsque qu'un incendie se déclencha. Pendant un temps, tout le monde se tut. Fatiguées d'être sur ces montagnes russes émotionnelles, certaines personnes prirent les devants pour aller voir ce qui se passait de plus près. Ils écartèrent sans retenue les sentinelles. Les moins courageux de la foule préférèrent discuter avec eux pour tenter de comprendre ce qu'ils avaient entrevu.
― Du calme, on fait juste un JDR ici ! Pour les incultes, c'est un jeu de rôles avec un scénario inventé. Le nôtre, c'est de l'héroic fantasy avec de la magie et de la baston. Notre bande adore le faire en grandeur nature avec des effets spéciaux. Le feu, c'est juste ça ! On est des rapides nous, les gars sont déjà en train de remballer ! expliquèrent les sentinelles.
Sous les conseils de ses guetteurs les plus érudits sur la vie contemporaine des terriens, Bastior avait rusé pour créer un faux souvenir. Ses pantins étaient convaincus de ce qu'il faisait. Aucune inquiétude ne transparaissait dans leur voix. À la place, ils rigolaient. Amélia se réveilla lorsque d'aventureux parisiens se lançaient dans une chasse aux indices invisibles. Essoufflée et apeurée à son retour parmi les vivants, c'est Allan qui prit les devants pour la calmer.
― Tout va bien, Bastior est parti. On est là, ma grande ! assura-t-il en posant ses mains sur les épaules de la rani.
― Je... balbutia Amélia.
La jeune fille s'efforça de ralentir sa respiration pour se remettre les idées en place. Afin de se rassurer encore davantage, elle voulut vérifier que Gregor était également présent. En tournant la tête, elle vit le petit bonhomme enveloppé lui adresser un chaleureux sourire. Cette fois, Amélia se détendit pour de bon.
― Quelqu'un arrive ! s'exclama-t-elle, avertit par ses sens démoniaques.
Des manusia s'étaient mis en tête de fouiller chaque buisson pour tenter de trouver une preuve d'une quelconque activité suspecte.
― Partez devant les garçons, je fais diversion ! ordonna Amélia par voie télépathique.
À ces mots, la mundur s'employa à jouer avec les éléments du décor qui l'entourait. Elle fit appel à la télékinésie pour mimer le mouvement d'un être vivant se déplaçant à travers les buissons qui lui faisaient face. La femme qui s'apprêtait à écarter les feuilles à côté d'elle stoppa son geste pour observer celles qui se dandinaient dans son dos.
― Je te tiens ! s'écria-t-elle fièrement en se ruant sur les buissons.
La parisienne se retrouva nez à nez avec un chat tigré au miaulement innocent.
― Ho, mais qu'est ce qui tu fais là toi, c'est dangereux !
L'apparence animale de la souveraine attendrit la manusia. Cette dernière avança prudemment sa main vers le félin. Voyant que celui-ci se laissait caresser, elle le prit dans ses bras afin de le protéger d'un potentiel danger.
― Pas besoin, des compatriotes s'en sont déjà occupés ! pensa Amélia.
À la place, la reine fit bouger une seconde fois les feuilles des buissons alentour. La manusia chercha aussitôt la source du bruit. Lorsque son attention se focalisa sur celle-ci, le chat se débattit. Le temps que la curieuse réagisse, il avait quitté les bras de son hôte. En se retournant, la parisienne ne vit qu'une sorte de pigeon au plumage sombre s'éloigner du parc. Une fois à l'abri des regards, le volatile changea de direction pour se poser devant la sortie du passage secret.
― Bien joué ! fit remarquer Allan en s'adressant au pinson.
― Merci ! Est-ce qu'il aurait un endroit sûr où je pourrais me reposer et contacter mes sujets ?
― Viens chez moi, proposa Allan.
Le duo prit donc le chemin de la maison du vidéaste suivi de loin par un oiseau qui ne les quittait pas des yeux. Une fois arrivé, le premier geste de Gregor fut d'aérer l'endroit. Amélia s'incrusta par la porte-fenêtre ouverte avant de reprendre sa forme humaine dès qu'elle posa un pied dans le salon.
― Ta femme et tes enfants ne sont pas là ? questionna-t-elle.
― Ma femme est au travail et mes enfants à l'école.
― Parfait !
Soulagée, Amélia s'assit aux côté de ses alliés après avoir refermé la fenêtre. Les malheureux avaient l'air drôlement secoué par ces péripéties. Cyril, Valérian et Nikolai avaient décrit leurs amis comme des êtres joyeux du lever jusqu'au coucher du soleil.
― Je ne doute pas de cela, mais ce ne sera pas pour aujourd'hui, pensa la rani.
Allan et Gregor avaient le visage éteint alors qu'ils venaient de sauver bien plus de monde que leur esprit ne pouvait le concevoir.
― Les garçons, ce que vous avez fait, peu de manusia en aurait eu le courage, surtout pour des êtres comme nous. Certains de mes congénères déclarent avec certitude que les humains sont des créatures peureuses et chétives, aveuglées par des représentations désuètes. Vous avez prouvé le contraire. Mieux encore, vous nous avez sauvés tout en vous sauvant vous-même. Par conséquent, au nom de mon peuple, je vous remercie !
Les deux humains en question se retournèrent vers Amélia dont les yeux étincelaient de reconnaissante. Malgré leur ressenti mitigé sur la portée de leurs actes, le discours de la reine les émut. Touchés, ils lui rendirent son sourire.
― Mais comment avez-vous fait pour contacter la sorcière ?
― On a posté une vidéo sur internet ! répondit Gregor à voix basse, conscient que sa réponse ne conviendrait pas à la rouquine.
Effectivement, cette dernière pesta un « c'est pas vrai » de consternation. Le verre d'eau que Gregor s'était servi pour soulager son début de migraine termina contre le mur. Le bruit de verre éclaté qui retentit dans la pièce étouffa un cri au duo.
― Oups ! Pardon, s'excusa Amélia face à ce sursaut de violence.
Le démon voyait bien que ses amis se sentaient coupables. Rajouter un effet dramatique avec de la vaisselle cassée était un geste involontaire que la jeune fille regretta aussitôt. Même si elle savait que ce qu'elle s'apprêtait à faire était peu en comparaison de son théâtral élan de colère, la mundur se leva pour ramasser les éclats de verre. Soucieuse de rattraper son geste jusqu'au bout, Amélia servit un nouveau verre d'eau à Gregor qui sentit ses joues rougir d'embarras.
― Merci ! (Le petit humain enveloppé chercha le regard de son ami avant de poser une question qui le démangeait.) Tu as dit qu'on s'était sauvé nous-même, ça veut dire quoi ? Est-ce que tu sais ce que Bastior a prévu pour les humains... Et pour vous ?
― Je pensais que vos collèges vous l'avez raconté. Alors pour bien comprendre, je vais reprendre la biographie de Bastior. Le magicien est né au XVIIe siècle, époque compliquée en politique puisqu'on venait de perdre ma prédécesseur Iesmée et d'autres figures importantes. Mes parents ont accédé au trône à ce moment-là. En quelques années, ils ont réussi à rétablir un équilibre dans la gestion de notre monarchie. La mère de Bastior était une sarmin, une créatrice qui ne supportait pas la vie sédentaire ce qui tombait bien pour son amant à plumes, un pikurungan séduit par l'idée de fendre les airs sur des kilomètres. Mais le magicien, au milieu de tout ça, il était malheureux.
Amélia fit une pause dans son récit. Son esprit se perdit dans les images de cette époque inconnue qu'elle avait souvent imaginée dans ses rêves. Adolescente, elle avait eu de la peine pour ce petit garçon qui s'était retrouvé ballotté de clan en clan sans avoir la possibilité de fuir cette vie de nomade. Elle comprenait si bien sa frustration face à ces adultes qui avait décidé de sa vie à sa place comme s'ils avaient tous les droits sur ses désirs.
En dépit de sa désolation face aux actions du magicien, notre reine gardait toujours cette pointe de compassion envers ce démon dont elle détestait admettre qu'ils s'étaient ressemblé pendant un temps.
― Chaque fois que notre ennemi voulait s'intégrer quelque part, ses parents repartaient et l'embarquaient avec eux. Même quand le magicien s'éclipsait, son père faisait des rondes pendant des jours pour le récupérer et sa mère le punissait de façon abjecte. Elle l'enfermait dans ses créations afin de lui montrer, de façon beaucoup trop réelle, les risques que ses fugues pouvaient lui faire prendre. Une vraie sadique cette femme ! Ainsi, Bastior ne pouvait jamais se faire d'amis. Son père voulait le protéger... Sa mère le malmenait... Le gamin en avait marre que personne ne puisse l'aimer puisqu'il n'était qu'un courant d'air dans notre royaume. Bastior, c'est un érudit qui a toujours adoré lire. Alors, à la place de se faire des amis, il s'est plongé dans la littérature. Il aimait aussi observer comment les sujets se comportaient avec leurs chefs à Permana, comment ils les écoutaient et quémandaient leur aide.
La rouquine se leva et alla se chercher son propre verre d'eau. Tout en empoignant le gobelet, elle referma le frigo d'un brusque coup de pied. Les youtubeurs se retinrent de lui faire remarquer que ce n'était pas une façon convenable de traiter le mobilier. Amélia reprit :
― En plus de ses observations de terrain, Bastior a lu de nombreuses choses sur la monarchie humaine et mundur. En revanche, il n'a jamais mis les pieds dans un château terrien ! Hum... Bastior a été élevé par des fondateurs de Permana. Nos ancêtres ont toujours eu des croyances bien arrêtées sur la valeur des manusia.
― Du genre les démons sont supérieurs et bla bla bla ! pensa Gregor.
― Exact ! approuva Amélia en désignant le vidéaste du doigt. Il y a quand même eu une évolution entre nos ancêtres et les démons qu'ils ont fuis jadis, nos cousins tojahag. Pour ces derniers, la vie humaine n'a aucune valeur. Les fondateurs de notre royaume vous diraient qu'elle en a une, mais qui ne sera jamais comparable à celle d'une créature magique ! La nouvelle génération commence à penser que nos ancêtres ont également tort sur ce point. C'est une chose que mon père biologique n'entendra jamais, ce qui est l'un de nos sujets de dispute quotidien. Si seulement il n'y avait que lui ! (Amélia se racla la gorge.) Pardon pour la digression !
― Alors entre ton père et toi, c'est tendu ? interrogea Allan qui n'était absolument pas gêné par les confidences de la souveraine.
― Ma mère est là pour tempérer les choses. Cependant, mes parents biologiques sont très conservateurs l'un et l'autre. Entre leurs principes que je ne partage pas et mon éducation par de modestes gens sur cette planète, il y a de quoi se quereller !
― J'imagine ! s'exclama Gregor.
― Pour en revenir à Bastior, il s'est mis à croire qu'il était fait pour gouverner. C'était à travers cela qu'il voulait exister pour les autres et marquer les mémoires. Pour ça, c'est gagné ! soupira Amélia. Au départ, il a simplement discuté politique avec la famille royale et les kepaja. En parallèle, il essayait d'avoir le soutien de ses pairs en promettant un royaume plus démocratique. C'est vrai que certains le voulaient. Bastior promettrait de mettre ses hommes aux services du peuple dans des discours qui captivaient les foules. Fort de son succès, il a bâti son organisation qui incarnait un mouvement pacifique à l'époque . En 1789, la Révolution française a éclaté. C'est à partir de là que Bastior a basculé.
― Pourquoi c'est un événement survenu sur Terre qui a changé sa façon de penser ? enquêta Allan.
― Parce que nous n'avons pas de précédent à Permana. Tout régime à ses opposants, mais jamais personne n'a désiré renverser la famille royale comme Bastior le veut ! Le magicien a associé La Révolution française à un symbole de réussite d'un tel idéal.
― Depuis 1789, il a revu ses ambitions, devina Allan, et il tente d'accélérer les choses par un coup d'État.
― Bastior rêve de reconnaissance et d'adoration, ajouta Amélia en acquiesçant. Peu lui importe que ces sentiments soient conditionnés par la peur. Il ne faut pas oublier qu'il a été brisé par sa mère. Elle l'a soumis par la violence et il reproduit ça, enfin, c'est ma théorie. Keyaris a vu le jour.
― Et tu es né, termina Allan.
― Je suis né environ deux siècles après en effet, le temps que Bastior radicalise ses fidèles. Les rebelles ont attaqué notre palais, Niajadis. Mes parents ont pris conscience que Bastior devenait dangereux et ils m'ont envoyé en France. En attendant, ils se sont armés contre lui. Malheureusement, son organisation ne cesse de grandir.
― Qu'est-ce qui se passera s'il gagne ? demanda Gregor dont l'inquiétude était montée d'un cran au fur et à mesure qu'il découvrait le passé du magicien.
― À Permana, Bastior compte mettre ses compagnons d'armes à la tête de chaque clan et jouer les tyrans. Comme à son habitude, tous ceux qui lui résisteront seront punis selon ces méthodes, sauf que là, il contrôlera le royaume entier. En revanche, j'ignore quand et comment il compte s'en prendre aux humains !
― Mais il y a quelque chose que je ne comprends vraiment pas, Majesté ! s'exclama Gregor dont les doigts s'entrecroisaient frénétiquement. Qu'est-ce qu'il reproche aux humains au juste ? Tu as dit qu'il n'a jamais vécu sur terre !
― Bien observé ! J'ai également précisé que les parents du magicien sont des fondateurs, ce qui signifie qu'ils ont fui Neraka, le royaume où ils sont nés. Ils ont tout quitté, dont leur famille et leur maison, après avoir compris qu'ils ne pourraient torturer des manusia pour l'éternité ! Comme toutes les victimes de violence, Bastior a eu besoin de comprendre pourquoi ça lui arrivait. Interroger ses parents ne le menait à rien. Il s'est donc auto-persuadé que ses parents ne s'étaient jamais remis des séquelles de l'exil subi dans leur jeunesse et qu'ils extériorisaient cela sur leur propre enfant. Bastior croit que si ces parents ne s'étaient pas mis à apprécier les humains, ils n'auraient jamais eu à subir ces sévices !
Les britanniques demeurèrent abasourdis par les propos d'Amélia. Les questions ne cessaient de pleuvoir dans leur esprit. L'une d'elles les titillait plus particulièrement. Comme à son habitude, le démon avait un temps d'avance.
― Il est étonnant que j'en sache autant sur les pensées de mon ennemi, n'est-ce pas ? Je tiens cela de sources fiables dont je ne peux dévoiler l'identité à de simples mortels. Désolé !
C'était une réponse compréhensible de la part d'une créature aussi haut placée dans la sphère politique. Allan et Gregor n'avaient pas l'intention de la cuisiner davantage à ce sujet. Une myriade d'émotions négatives raidissaient leur corps tandis qu'Amélia sentait sa mâchoire s'engourdir.
― Ce mec est taré, se répéta Allan qui se massa le crâne avant de se frotter le visage.
Voyant son geste, Gregor passa un bras autour de son ami. Ce dernier posa sa tête sur son épaule et laissa son regard détailler les contours des meubles de son salon. Amélia s'agita. Il y avait un dernier sujet qu'elle devait à nouveau aborder même si le moment n'était pas bien choisi.
― Les amis, vous avez posté une vidéo ?
Les youtubeurs hochèrent la tête.
― Il faut l'effacer immédiatement et trouver une parade pour vos fans !
― On dit abonnés, releva Gregor.
Ce dernier sortit son portable de sa poche. Il lui fallut moins d'une minute pour retrouver la vidéo qui faisait déjà l'objet de nombreux commentaires.
― Les abonnés sont largués. Les sentinelles que Bastior a envoûtées leur ont dit que c'était un JDR.
― Un quoi ?
Face à l'incompréhension d'Amélia, le vidéaste lui décrivit ce concept. Outre ces explications, c'étaient aussi les théories du complot qui faisait leur apparition parmi les propos des abonnés les plus inventifs. Par ailleurs, l'existence d'extraterrestres fut soulevée par certains. Il y avait donc un brouhaha général qui reflétait parfaitement le chaos mental qu'Amélia et ses alliés expérimentaient en cet instant.
― L'idée de Bastior est pas mal, admit la rouquine. Et puis le reste, les gens n'y croirons pas sans preuve. Je suis vivante et je parie que Beatriz a gommé les dommages causés au parc. On va peut-être pouvoir éviter un vent de panique chez vous !
― Je suis d'accord, concéda Allan.
Ainsi, les écossais s'exécutèrent en postant un message sur leurs réseaux sociaux. Dans celui-ci, Allan et Gregor indiquèrent qu'ils avaient participé à l'animation présentée par les sentinelles et que la vidéo était destinée aux autres concurrents. Il n'y avait plus qu'à espérer que la parole de deux stars d'internet donnerait plus de poids à l'explication de Bastior. Avec le temps, les youtubeurs espéraient bien que les abonnés se fatigueraient de poser des questions ou d'inventer des théories insolites. Sur la planète bleue, tout semblait réglé !
À présent, Amélia avait besoin de savoir que sa contrée natale n'avait pas sombré sous les coups de son ennemi. Elle prit donc contact avec ses parents. Son père fut le premier à répondre à son appel télépathique. Celui-ci paraissait exténué par l'effort. Tel le soldat qu'il était, Kaling fit un rapport détaillé de la situation du royaume à sa fille. Celle-ci lui raconta en retour ce qu'elle avait enduré ces derniers jours. Kaling ne fit pas preuve d'un grand sentimentalisme en l'apprenant.
Il revint sur l'attentat. À sa création, l'arène avait été forgée avec les pierres de la montagne aménagée en terrain d'entraînement pour les hommes de Chumbakisa. Ily et Kaling avaient ensuite agrandi et magnifié l'arène lorsqu'ils avaient accédé au trône. L'incendie était donc une diversion symbolique et personnelle à l'encontre des premiers démons à s'être ligué contre le magicien ! Des larmes montèrent aux yeux d'Amélia. Elle pleurait silencieusement la perte du joyau romain et la souillure de ses merveilleux souvenirs en son sein par l'odieuse trahison des challengeurs.
― Viens voir par toi-même ! pressa Kaling.
― Papa...
― Père, corrigea le démon.
Bien entendu ! L'appel de sa fille devait représenter celui d'une reine prenant le pouls de son royaume bien avant celui d'une rescapée en quête de réconfort paternel.
― Père, je n'en ai pas la force maintenant ! confessa Amélia.
― Soit. Nous avons la situation en main. Je t'autorise à rester en France pour aujourd'hui !
Malgré les années, l'ancien dirigeant n'arrivait pas à se faire à l'idée que c'était sa fille qui était en mesure de lui donner des ordres, et non l'inverse. Amélia remercia poliment son père avant de couper court à la discussion.
― Tu peux rester dormir ici si tu le souhaites, décréta la voix de Gregor dans son dos. Je dirai à ma famille que tu es une amie qui vient de vivre une épreuve très difficile. Ils comprendront.
L'altruisme du grand aux bouclettes était réconfortant. Amélia hocha la tête en signe de reconnaissance avant de s'allonger dans le canapé. Ses émotions à vif accaparaient son esprit, mais son instinct militaire lui apportait son lot de consolation.
Bastior n'avait pas connu une telle défaite depuis longtemps ! Son intrusion à Niajadis s'était vue contrariée par un mutant qui avait expatrié l'héritière de la couronne il y a de cela deux siècles. En cet âge d'or des nouvelles technologies, un mode de communication virtuel avait sauvé la reine démoniaque à ses dépens. Que la vie était étrange ! Amélia admira la lumière du jour à travers la porte-fenêtre du salon. Ses paupières devinrent lourdes et elle s'endormit, un sourire triomphal aux lèvres.
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