Chapitre 18

Amélia souffrait le martyre à cause de ses os qui étaient au mieux fêlés, au pire brisés. Se sachant très vulnérable, tant de par sa solitude que son état physique alarmant, la monarque opta pour la pharmacie. Là-bas, la rouquine refusa poliment de répondre à l'incontournable interrogatoire de la pharmacienne. Celle-ci finit par laisser la jeune fille à l'aspect dépareillé repartir avec ses emplettes, les sourcils froncés par l'inquiétude. 

Amélia avait le strict minimum pour soulager ses blessures. Elle se servit du peu de monnaie qu'il lui restait pour s'acheter un sandwich dans une boulangerie et une bouteille d'eau. Elle avait désormais tout ce qu'il lui fallait pour passer la nuit. Malheureusement, elle allait devoir pour cela renoncer à son confort habituel. Qu'importe, Amélia n'était pas du genre capricieuse. 

En parcourant les rues parisiennes, la rani guetta les sans-abri qui jonchaient les trottoirs, la tête baissée ou une main suppliante tendue vers des ombres qui ne leur adressaient même pas un simple bonjour. Amélia détestait ce qu'elle s'apprêtait à faire. 

Avisant une sans-abri qui se dirigeait dans une ruelle, elle la suivit jusqu'à son taudis de fortune. S'approchant doucement, elle lui ordonna de s'en aller afin qu'elle puisse « emprunter sa maison pour une nuit ». La réponse de la femme fut un non catégorique. Faisant un grand pas pour arriver directement à sa hauteur, la voix d'Amélia se durcit. La peur de perdre ce qui lui restait de matériel donna à la mendiante la force de résister une seconde fois aux ordres de cette jeune fille qui semblait la toiser comme un chien. N'écoutant que son courage, la pauvre femme essaya de défendre son bout de tissu avec ses poings. Malgré la douleur et la fatigue, Amélia fit un ultime effort pour parer les coups de sa cible et la pousser vers le fond de la ruelle. Elle aussi avait tout à perdre si elle ne se reposait pas ! 

Comprenant qu'elle ne pouvait pas lutter contre la prise d'otages de son domicile, la sans-abri s'enfuit. Soufflant de soulagement, Amélia s'effondra sur la couverture dans un cri. Elle savait maintenant comment retrouver ses pouvoirs. Cependant, puisque les panyakulit étaient liés à Enzo, elle allait devoir enfreindre la règle du secret. La rouquine ne prit même pas la peine de réfléchir aux conséquences au vu de l'urgence de sa situation et de celle de son royaume.

Elle entreprit d'appliquer la crème apaisante et d'avaler les comprimés de la pharmacie. Amélia ne désigna pas sur les doses, quitte à frôler l'évanouissement, pour parvenir à s'endormir. Le lendemain, elle se réveilla déterminée à revoir Enzo. Parvenant à emprunter un téléphone à un passant avec sa permission, elle composa le numéro qu'elle avait retenu au pied de l'asile.

― Allô, répondit Enzo.

― Salut... Heu... C'est Amélia !

― Hé ! Honnêtement, je suis soulagé de t'entendre ! Alors ça va ? s'exclama-t-il chaleureusement.

― Oui, enfin j'ai connu mieux ! Et toi, comment va ton dos ?

― Le coup du matelas était un bon plan. J'ai juste des hématomes et quelques courbatures.

― Tu m'en vois ravie !

Maintenant que la rouquine était rassurée, il lui fallait formuler sa requête et prier pour que le repos du brun ne lui ait pas fait oublier ses promesses passées.

― Dis... Je ne te demande pas de m'héberger hein, mais... Pourrais-je au moins me reposer un peu chez toi plutôt que dans la rue ?

― Quoi ? Tu as passé la nuit dans la rue ? Ça a dû être très pénible à supporter. J'en suis désolé, Amélia, mais oui viens !

― Je peux venir tout de suite ?

― Pas de problème ! Je te file mon adresse. Tu es du coin ?

― Non, je ne sais pas me repérer à Paris !

Le petit brun souffla en signe de contrariété. Lorsque sa comparse lui décrivit sommairement où elle se trouvait, il jura en grommelant. Il allait falloir marcher un certain temps pour récupérer la fugueuse ! Le silence s'installa pour laisser à Enzo le temps de la réflexion. Celui-ci fut rompu bien plus vite qu'Amélia ne l'aurait espéré.

― Hum... Je vais t'envoyer quelqu'un. Ça ne va prendre que quelques secondes !

En effet, Amélia eut à peine le temps de raccrocher qu'un sosie d'Enzo apparut devant elle. Celui-ci se présenta sous le pseudo de Dealer. La rani s'étonna de ne pas avoir affaire à un voyou en haillon au corps rongé par des cocktails illicites. La créature qui lui faisait face était propre sur elle et courtoise. 

En revanche, l'attitude du caméléon pendant la marche fit prendre conscience à Amélia que celui qui la guidait était aussi bon comédien que ses acolytes. Dealer jouait avec le somptueux masque vénitien bleu et or qui masquait une partie de son visage et grimaçait comme un gamin survolté.

― Tu es toujours aussi agité ? rouspéta la souveraine.

Tout en disant cela, elle croisa le regard soupçonneux de plusieurs parisiens qui s'étonnaient de voir une jeune fille en corset parlait seule. L'ignorance semblait la meilleure des défenses. Même le froid ne pouvait détourner Amélia de toutes les peurs et les incertitudes que sa situation lui causait.

En guise de réponse, Dealer se contenta de grogner. Son interlocutrice en leva les yeux au ciel. Au bout de quelques mètres, Amélia dut prendre une nouvelle dose de médicaments. La douleur de sa chute, qui s'était calmée depuis la veille, la reprit subitement. Marcher devint un nouveau calvaire pour la jeune femme qui se mit à avaler de grosses goulées d'air à chaque pas en recopiant malgré elle les grimaces de son guide. Pendant tout le reste du trajet, celui-ci prit soin de garder une main dans le dos de sa sœur pour l'aider à tenir debout. Sa sollicitude apaisa Amélia. Au bout d'une vingtaine de minutes, les deux mundur s'arrêtent devant un immeuble.

― Au fait, tu as dit quoi à Enzo pour justifier que tu pourrais m'aider à trouver mon chemin ? enquêta Amélia.

― Bah rien ! L'avantage de vivre avec un dingue, c'est qu'il ne cherche pas de logique à tout. Il trouvera toujours du sens même dans ce qui paraît irrationnel pour le commun des mortels !

Sitôt ces explications données, Dealer s'éclipsa après avoir indiqué le numéro d'appartement dans un murmure. Amélia s'engouffra rapidement dans l'immeuble. Lorsque Enzo vit la jeune fille, son cœur se serra. Elle était sale, les yeux marqués par la fatigue et un sourire forcé sur les lèvres. Les quatre sosies du jeune homme observaient silencieusement les retrouvailles entre leur créateur et la rouquine. Enzo la fit entrer.

― Alors... entonna l'humain, peu sûr de lui.

Ce dernier ne voulait pas en rajouter à la détresse de la jeune fille avec ses questions. Le fait est qu'il ne savait pas quoi lui dire.

― T'inquiète, c'est moi qui vais parler ! rassura la rani qui devinait la gêne de son interlocuteur.

― Ha bon ?

― Oui, mais heu... Moi aussi, je ne sais pas trop comment m'y prendre.

Les caméléons dévisageaient leur sœur d'un air méfiant. Depuis des années, ils craignaient que ce jour arrive ! Pressentant l'inévitable, les sosies ne dissuadèrent pas leur compatriote de parler. Cette dernière reprit.

― Bon, je suis désolé, il n'y a pas de bonne façon de le dire. Enzo, les sosies qui te suivent partout, je les vois aussi !

Jusque-là, le vidéaste n'était pas tant surpris que ça. Vu les antécédents d'Amélia, il n'était pas étrange qu'elle ait des délires. Cela signifiait qu'elle était une abonnée malade ?

― Tu veux dire que tu me suivais sur Youtube du temps où je faisais mes courts-métrages avec ces personnages ? interrogea-t-il.

Amélia écarquilla les yeux.

― C'est fou le nombre de youtubeurs habité par le surnaturel que je croise depuis quelque temps !

Ce fut au tour d'Enzo de dévisager son interlocutrice d'un air incrédule. Amélia balaya son aparté d'un geste de la main.

― Puisque tu me prends pour une folle, le fait que je puisse voir des choses étranges ne doit pas te paraître bizarre, n'est-ce pas ? (Enzo acquiesça d'un signe de la tête.) En fait, ce que j'essaie de te dire, c'est que tes sosies sont bien réels.

Ne tenant plus en place, le manusia se leva subitement.

― Tu te fiches de moi ? Je t'ai aidé et c'est comme ça que tu me remercies. Franchement je ne te pensais pas comme ça ! s'emporta-t-il. On se moque de moi depuis mon enfance, et toi tu veux en rajouter. J'ai peut-être fait une erreur en te laissant t'échapper de l'asile !

Toute reine digne de ce nom devait savoir se contenir face aux injures et aux provocations. Forger un tel caractère faisait partie de l'éducation stricte qu'Amélia avait reçue à Niajadis. Pourtant, celle-ci sentit les paroles d'Enzo piquer son cœur déjà bien maltraité. Ravalant sa douleur, elle poursuivit fermement :

― Tes sosies sont réels car ce sont des démons du clan des panyakulit. Ils passent leur temps à prendre l'apparence des humains pour s'amuser. Ils aiment jouer la comédie et se mettre dans la peau des autres. Généralement, ils ne font rien de bien méchant avec. Tu sais, si je me suis retrouvé dans l'asile, c'est parce que moi aussi, je suis un démon... Mais pas un panyakulit... Je suis d'autres choses, enfin ça, ce n'est pas le plus important. On m'a privé de mes pouvoirs et c'est pour ça que j'étais coincé dans ce fichu asile !

Enzo se figea, son regard inspectant celui d'Amélia. Celle-ci perçut alors l'éclat de fureur dans ses yeux se ternir un peu. C'était comme si une partie de lui avait envie de la croire au sujet de ses compagnons à l'apparence trompeuse.

― Je suis impressionné par l'effort que tu fais pour donner du sens à mes délires, Amélia. Je n'ai jamais rien entendu d'aussi plausible si on admet l'existence du surnaturel. J'ai si souvent entendu des gens se moquer de moi plus jeune que j'oublie parfois que certaines personnes peuvent avoir de bonnes intentions, confessa Enzo en se rasseyant. (Il poursuivit ses confidences d'une voix adoucie.) C'est gentil de vouloir me rendre moins fou que ce que les médecins en disent. Ta compassion me touche, mais comme on ne se connaît pas vraiment, elle me met aussi très mal à l'aise.

Amélia soupira intérieurement. Elle commençait à croire que ses efforts de diplomatie allaient payer, et ce, sans devoir encaisser de nouvelles phrases blessantes à son égard.

― Je suis presque sûr que pour tes caméléons, leur petit jeu va au-delà de l'image que tu renvoies, exposa-t-elle. Les panyakulit ont un mode opératoire particulier : il copie toujours un modèle dans son physique et sa personnalité. J'ai eu la nuit pour y réfléchir et je pense que dans ton cas, ce sont plutôt des personnages qui te sont familiers qu'ils copient.

― Ce sont des personnalités, corrigea Enzo par réflexe.

― Heu... D'accord, bredouilla Amélia, dubitative. Mon statut exige que j'étudie tous mes compatriotes, même ceux que je côtoie peu. J'en suis venu à l'hypothèse que ce ne sont pas mes frères qui ont créé les personnages de Bandit, Dealer, Idol et Bibliovore, mais toi. Je parie que tu les as créés avant même de connaître mes congénères, et c'est cela qui les a attirés. Pourquoi tu as fait ça, je serais curieuse de le savoir ! conclut-elle en affichant un sourire taquin.

Enzo avait besoin d'un dernier élément de preuve pour accorder sa confiance à son invitée.

― Je te le dis si tu arrives à m'expliquer comment ça se fait que personne ne voit tes démons à part moi, défia-t-il en rendant son sourire à la rouquine.

― Les panyakulit peuvent se rendre invisibles aux yeux des humains qui composent leur foyer. Lorsqu'ils ne vous copient pas, ils se planquent sur Terre en se métamorphosant en animal. C'est devenu une coutume de se confondre avec la faune sauvage quand on est sur cette planète !

― Et dire que c'est moi qu'on trouve flippant ! Vos techniques de camouflage sont sournoises.

― Les humains sont autant capables de cacher leur vrai visage que nous, les démons. À chacun sa façon de faire.

― Tu marques un point, concéda le youtubeur. Mais tu ne m'as pas dit que tu avais un problème avec tes pouvoirs ? Ça ne devrait pas t'empêcher de voir tes semblables ?

―Blocage ou non, l'invisibilité ne fonctionne que sur votre espèce.

Une fois encore, la possibilité que la magie existe rendait cela crédible. Satisfait, Enzo hocha la tête avant d'entamer ses propres explications :

― Dès l'âge de cinq ans, j'ai entendu ma propre voix intérieure avec une étrange intonation. Jusque-là, rien d'anormal à entendre des syllabes puis des mots murmurés à mon oreille. Or, d'année en année, j'ai commencé à entendre des voix qui n'étaient pas la mienne. Plein de voix intérieures me susurraient à l'oreille chaque jour. Mes parents ont d'abord cru que j'avais trop d'imagination... Tu sais, trop d'amis imaginaires... Ils ont vraiment flippé quand ils ont compris que je discutais sérieusement avec d'autres que moi-même ! Je suis allé voir un psychiatre puis un psychologue qui m'ont fait passer une batterie de tests. On m'a diagnostiqué schizophrène. Je n'avais que 15 ans. C'est très précoce pour ce genre de maladie ! Dès que le diagnostic a été posé, les médecins m'ont fait prendre des médocs afin que je garde un pied dans la réalité de mes proches et une certaine lucidité comme ils adorent me le répéter.

― Ce que tu me racontes est fascinant et effrayant à la fois, avoua Amélia en ricanant nerveusement.

― Je sais ! C'était un tel vacarme dans ma tête qu'on n'a envisagé que ce remède pour éviter que j'explose. Les moqueries de mes camarades de classe étaient si violentes et méchantes, il me fallait absolument quelque chose. Les médocs ont réduit le volume des voix dans ma tête.

Les sourcils de la souveraine se haussèrent aussitôt.

― Tu es en train de me dire que tu entends toujours des choses pendant qu'on discute ? s'exclama-t-elle.

Enzo jeta un regard entendu à ses sosies silencieux. Amélia en resta interdite.

― Il y a quatre voix qui résonnent plus que les autres dans mon esprit depuis longtemps. Je sais qu'elles sont des fragments de ma personnalité, des bouts de ce à quoi je pense, je rêve ou j'aspire.

La bouche d'Amélia s'arrondit, ce qui fit marquer une pause à Enzo. La rouquine interrogea du regard les caméléons qui répondirent par un haussement d'épaules. Sans doute savait-il déjà à quel point il était difficile pour une personne saine d'esprit de croire à ce genre de chose. Bien qu'ils lisaient en Enzo depuis quelques années déjà, les symptômes de leur ami dépassaient de loin leurs connaissances de la psyché humaine.

― Nous avons appris à vivre avec ses mystères, se contenta de justifier la personnalité aux oreilles d'ours.

― J'ai toujours été passionné d'écriture, alors j'ai voulu leur donnait un corps à ces quatre voix, reprit Enzo. Ensuite, j'ai tout mis en scène dans des courts-métrages. Je me suis déguisé en mes personnages et j'ai filmé. C'était ma manière à moi de me vider l'esprit et de m'exprimer sur ce que j'entends ! En surfant sur internet, j'ai découvert Youtube et ses vidéos de gens aussi anonymes que moi. J'ai eu envie de faire pareil.

― Est-ce que tes vidéos ont eu du succès ? enquêta la souveraine.

― Oui, trop d'ailleurs pour l'adolescent que j'étais !

Amélia se retourna sur ses congénères qui s'étaient emmurés dans le silence à une exception près.

― Vous m'expliquez le rapport avec vous ? pressa-t-elle en désignant le vidéaste d'un mouvement de tête.

Le sosie au masque vénitien prit la parole.

― À cette époque, on ne trouvait plus de modèle humain assez amusant à imiter. On se baladait de maison en maison pour observer les gens à leur insu en quête de la perle rare. Un jour, on est arrivé dans la vie d'Enzo, et là ce fut la révélation. Ce mélange de maladie et de comédie dans un seul être, on a adoré ! On a décidé d'endosser chacun l'une des personnalités de notre choix et on est apparu dans sa chambre. Ça aurait bouleversé n'importe qui, mais pas Enzo. Il a été surpris bien sûr, mais il n'a rien changé à son quotidien ni à ses vidéos.

― On savait qu'aux yeux de ses abonnés et de sa famille, Enzo jouait tous les rôles ! renchérit le sosie au sweat informe.

― Et c'était exactement ce que je faisais, Bibli ! Avant de vous voir, je me déguisais et je prenais des voix différentes pour incarner mes personnalités. Je laissais faire la magie du montage puis c'était posté sur Youtube. Lorsque vous êtes entrés dans ma vie, je n'avais encore jamais vu de choses que les autres ne pouvaient pas voir, je ne faisais que les entendre ! J'ai cru que mes médocs n'étaient plus assez forts, mais je ne veux pas remplir davantage mon corps avec ces drogues. Alors je n'ai rien dit à personne à propos de mes visions.

― Tu as continué à porter les déguisements devant la caméra, mais tu répétais et ajustais les scènes avec nous avant de les tourner, précisa Bibliovore. Le reste du temps, on le passait avec toi en restant toujours invisible pour les autres membres de ta famille.

― Mes vidéos marchaient de plus en plus. J'étais invité à des conventions et des abonnés m'accostaient sans cesse dans la rue, se souvint Enzo. À force, je ne pouvais plus gérer toutes ces interactions qui se mêlaient à ce que j'ai déjà dans la tête et vous. J'ai stoppé les vidéos au sommet de ma notoriété et je me suis recroquevillé sur moi-même. Des démons, je n'aurai jamais pu deviner une chose pareille ! décréta Enzo en se relevant à nouveau. D'ailleurs, qu'est-ce qui me dis que nous ne sommes pas que deux tarés en train de fantasmer sur ma gloire passée, hein ? Dévoilez-vous si vous l'osez, menaça l'humain en poussant Bibliovore.

Amélia s'impatientait également. Elle n'avait pas le temps d'y passer la journée.

― Bon, je suppose que vous ne savez pas qui je suis ! À force de traîner sur terre, ça ne m'étonne pas. (Sur ces mots, la rouquine montra son front nu du doigt, désignant son emblème qui n'était autre que sa couronne gravée sur le front à l'encre invisible.) Je suis Amélia, votre rani, et je vous ordonne de vous montrer sous votre vraie forme !

Les sourcils de Dealer se levèrent de surprise à l'annonce de leur sœur tandis que ses acolytes échangeaient un bref regard inquiet. Le salon s'emplit d'une traînée noire qui recouvrit les caméléons au point de ne deviner que des silhouettes dans la soudaine obscurité de la pièce. Enzo recula de stupeur. Quatre garçons au physique avantageux apparurent sous ses yeux ébahis. Le brigand désagréable faisait désormais place à un individu aux yeux bridés, la peau mate, les cheveux bruns et bouclés.

― Je suis indonésien pour info, expliqua Bandit.

Sous sa véritable forme, les yeux de Dealer rayonnaient autrement que grâce aux paillettes du masque vénitien qui cachait d'ordinaire les signes de ses prétendues addictions. Le démon arborait un look de surfeur avec sa chemise bariolée, ses cheveux blonds décoiffés et sa petite barbichette.

― Je viens d'Italie, ajouta Dealer.

Vint ensuite le tour du sosie aux oreilles d'animal. En détaillant la transformation d'Idol, Amélia y décela certaines touches sauvages qui persistaient sur celui-ci comme sa longue crinière brune aux mèches blanches. Les yeux du démon étaient d'un gris magnifique.

― Je suis né à Permana, précisa Idol.

Sur la réserve, Bibliovore reprit à son tour son apparence originelle. Pareillement à Bandit, il avait les yeux typiques des habitants du continent asiatique. Ses cheveux noirs et légèrement ondulés étaient retranchés sur un côté de sa tête.

― Moi aussi, je suis indonésien, dit-il de sa voix chétive.

― Les gars, va falloir que vous m'expliquiez pourquoi vous avez choisi de garder l'apparence de... De... Il est mignon mais... Hum... C'est différent quoi !

Sentant qu'elle s'éloignait du sujet, Amélia se racla la gorge pour revenir au plus importante. Elle tourna doucement la tête vers Enzo qui avait du mal à fermer la bouche. Ce qu'il souhaitait le plus au moins depuis des années venait de se réaliser. Ses personnalités étaient réelles !

― Je ne suis pas fou ! s'écria-t-il.

Amélia se retint de nuancer ses propos. Certes, ses sosies n'avaient rien d'une hallucination, mais ce n'était pas le cas du brouhaha dans son esprit. La souveraine n'oubliait pas non plus qu'Enzo avait commencé à croire en ses paroles avant même de voir la magie noire envahir son salon.

― Tu m'as cru très vite au sujet de notre existence pour quelqu'un qui n'avait aucune preuve tangible jusque-là, comment ça se fait ? enquêta-t-elle.

Enzo fixa Amélia, un sourire radieux aux lèvres. Il prit ses mains dans les siennes sans répondre à ses interrogations. Consciente qu'ils venaient tous les deux de se libérer d'un poids qui les tiraillait, la rouquine n'insista pas.

― Mais vous êtes de véritables ordures ! gronda soudain le youtubeur à l'intention de ses sosies, hors de lui. Vous m'avez menti, manipulé. À cause de vous, je me suis isolé. J'ai refusé de me lier aux gens parce que j'avais honte d'un truc qui était faux ! Je vous croyais mes amis, mais... Bande d'enfoirés, ça va ? Vous vous êtes bien marrés ? Je veux plus jamais vous revoir ! Vous disparaissez de ma vue. Cassez-vous !

Aucun panyakulit ne protesta. Ils savaient bien qu'ils avaient joué avec le feu. Ils obéirent à Enzo et s'éclipsèrent immédiatement.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top