Chapitre 13

Une semaine après ces découvertes familiales, le trio était prêt à rentrer dans le cercle des initiés aux pratiques occultes. C'est surtout Nikolai qui insista auprès de ses collègues pour entamer leur formation. 

Il faut dire que le récit de sa mère l'avait bien bousculé. Le chanteur ne se sentait plus en sécurité en imaginant jusqu'où le magicien était prêt à aller pour appliquer sa justice et corrompre des jeunes en quête d'identité. Nikolai n'espérait pas pouvoir résister à Bastior, mais il comptait au moins sur ses nouvelles capacités pour tenir à distance les compagnons d'armes de Keyaris. 

Cyril n'était pas contre cette idée, mais il n'était pas non plus pressé de retourner dans un monde où il n'avait pas encore l'impression d'y avoir sa place. Quant à Valérian, il était assez neutre sur la question. Le trio commença à s'entraîner plusieurs fois par semaines à Permana sous les ordres de Chumbakisa, aussi illustre pour sa fonction de commandant de l'armée royale, que pour son rôle dans l'exil de nos ancêtres. 

Le démon donnait chaque fois rendez-vous au sommet d'une montagne sur laquelle nos ancêtres avaient uni leurs savoir-faire pour détruire et déplacer certains de ses rochers. À son sommet, quatre colonnes s'élevaient vers le ciel sans jamais l'atteindre. Leur extrémité se rejoignait comme si le cœur de la montagne voulait garder auprès d'elle ses précieux visiteurs. Les espaces vides laissés entre les pétales du géant de pierre faisaient apparaître la vie grouillante de Permana qui s'étalait à ses pieds. 

Étant donné que les youtubeurs avaient tendance à fourrer leur nez dans des situations dangereuses, et que Chas et Amélia leur vouaient une tendresse particulière, ces derniers se mirent d'accord pour leur faire étudier des techniques qui dépassaient celles de l'ésotérisme. Tous les chefs de clans et leur reine sont amenés à suivre une formation en maniement des armes et en arts martiaux et cela, pour deux raisons. La première est le fait qu'il est pratique de savoir se battre sut Terre sans avoir à dévoiler ses dons. La seconde est de parer à une éventuelle perte de magie. Comme le dit l'adage emprunté aux humains : on n'est jamais trop prudent, d'autant plus quand on est la cible privilégiée d'un groupe de révolutionnaires ! 

En plus de la maîtrise de leurs pouvoirs, le trio de parisiens suivit donc des cours d'arts martiaux et de gymnastique. Chumbakisa montra à Nikolai comment accroître la connexion mentale avec le micro relié à son corps par un fil ensorcelé afin d'être en mesure de contrôler sa trajectoire par la pensée. Le chef d'armée tenait cela des quelques recrues mentuarak qu'il comptait dans ses rangs. Ces soldats usaient de ce talent pour transformer leur objet magique en grappin ou fouet selon leurs envies. Acquérir ce savoir donna à Nikolai le sentiment d'être plus proche de ces inconnus dont il partageait le sang. 

Chumbakisa proposa à ses deux autres frères de leur montrer comment manier l'arme de leur choix. Valérian jeta alors son dévolu sur l'arc. Sur le plan magique, le trio fit de rapides progrès. Sur le plan militaire en revanche, ce fut plus compliqué. Grâce à ses lointaines aptitudes en gymnastique et sa grande minutie qu'il déployait d'ordinaire en reproduisant des modèles sur brique, Cyril se révéla le plus doué des trois en combat au corps-à-corps. Nikolai s'en sortait bien avec son micro de guerre, mais se défendre à main nues n'était pas son point fort. Chumbakisa fut en revanche étonné par l'aîné du trio qui semblait avoir un potentiel martial à développer. Les coups de Valérian n'étaient pas aussi précis que ceux de Cyril, mais il arrivait à contrebalancer cela par d'ingénieuses esquives pour un débutant.

Comme à chaque pause qu'il leur accordait, le regard aiguisé de Chumbakisa admira le panorama qui se déployait devant ses yeux. Le sakarujam côtoyait ses paysages depuis près de six siècles sans jamais s'en lasser. Son sourire en coin et ses yeux brillants en attestaient sans conteste. Ses disciples l'avaient rejoint, chacun appuyé sur un rocher. Sans se retourner vers lui, le professeur sentit Cyril le détaillait des pieds à la tête. Son regard curieux s'attarda d'abord sur ses très longs cheveux châtains noués en une queue-de-cheval qui dansait au gré du vent.

― Si on m'apprenait que mon professeur était un elfe tout droit sortit du Seigneur des Anneaux, je trouverais ça normal ! songea Cyril.

Cette pensée colla un sourire enchanté sur le visage du vidéaste. Celui-ci s'attarda ensuite sur la couronne de roses noire teintées de rainures rouges entourant le front de Chumbakisa. En se présentant, le démon avait déclaré que l'ornement symbolisait son statut de commandant au service de Sa Majesté. Valérian imita son collègue en se pensant discret. L'objet de sa contemplation lui fit totalement oublier le sixième sens de son professeur.

― L'une de mes flèches a frôlé ton collier tout à l'heure, s'exclama le vidéaste en pointant du doigt le bijou à son cou.

Celui-ci était forgé dans le même métal semblable à de l'étain que les roses qui habillait le front du sakarujam. Ce dernier caressa du bout des doigts l'étoile d'épée qui parait son torse. Son index appuya avec tendresse sur la couronne qui logeait au centre des lames.

― Mes hommes et moi portons l'emblème de l'armée royale à notre cou. La pointe de ces épées touche la couronne d'Amélia pour rappeler le serment que nous lui faisons à notre enrôlement.

― Allégeance et protection, devina Nikolai. Ce monde est si chevaleresque ! plaisanta-t-il en faisant mine de perforer l'horizon de son micro avant de saluer son mentor d'une courbette.

Ces gesticulations firent rigoler l'intéressé. Tout en continuant à frôler son bijou du bout des doigts, il poursuivit :

― Permana a été construit à la fin du Moyen-Âge et les démons n'ont pas la même notion du temps que les humains. Nous avons l'éternité, alors nous ne pressons pas pour changer les choses, même si cela nous donne un côté désuet !

Ce fut au tour des youtubeurs de sourire à l'autodérision du commandant. Même si Chumbakisa se cachait sous sa droiture et son exigence ancestrale, il prenait beaucoup de plaisir à donner des cours au trio. Chacun de ces disciples l'avait remarqué ce qui les faisait apprécier les cours autant que le doyen qui les enseignait.

― J'offre une épée à chaque chef lorsqu'il achève sa formation, compléta le commandant. Sur son manche est gravé l'emblème de son camp. Amélia bénéfice aussi de ce privilège. Elle est l'un des meilleurs escrimeuse que j'ai pu entraîner d'ailleurs !

― Elle est meilleure que Chas ? s'écria Cyril, épaté.

― Oui, elle est plus douée que les kepaja dans ce domaine ! Amélia est tout simplement plus ingénieuse avec une lame qu'avec ses poings en combat.

― Alors ton cas n'est peut-être pas aussi désespéré que cela, Niko ! Tu as encore une chance de battre Amélia, taquina Cyril en donnant un léger coup de coude dans les côtes de son ami.

Celui-ci bomba le torse de fierté à cette idée.

― Amélia a tout de même des années de pratique d'arts martiaux devant elle ! Elle est bien trop compatissante pour vouloir humilier ses amis de la sorte...

Nikolai s'affaissa aussitôt, la mine boudeuse.

― C'est bon, lâchez-moi avec ça ! se résigna-t-il en croisant les bras. Revenons-en aux épées. Pourquoi tu fixes son collier comme ça Val ?

― Il m'est familier je crois, répondit ce dernier en secouant la tête.

Ses yeux revinrent se poser sur le bijou sans qu'il puisse le contrôler. La raison lui revint soudain à l'esprit. Il se recroquevilla aussitôt.

― Les épées des chefs ainsi que celle de notre rani sont également représentées dans l'emblème des rebelles. Elles sont plantées dans l'échiquier de Bastior qui se voit comme la pièce la plus puissante et imbattable du jeu ! murmura Chumbakisa en constatant la détresse de son élève.

― Elle apparaît sur la porte de l'armurerie à Keyaris, ajouta celui-ci resserrant ses mains sur ses cuisses.

Cyril avait rarement vu son aîné aussi ébranlé. Entre son séjour chez leurs ennemis, le suicide de Rubis grâce à ses dons de créateurs et le silence de sa mère, Valérian était infesté de traumatisants souvenirs. Cyril et Nikolai n'étaient pas non plus remis de leurs émotions. Cependant, la conversation avec leur parent avait réussi à panser quelque peu les plaies. 

Cyril se leva pour venir réconforter Valérian. Tout en prenant son ami dans les bras, il reporta son attention sur Chumbakisa en quête d'une idée pour rapidement changer de sujet. Finalement, c'est Nikolai qui en trouva un :

― Tes roses sur la tête, c'est ta couronne de maître d'armes. Pourquoi tout le monde t'appelle comme ça plutôt que commandant ?

― Maître d'armes désignait autrefois la fonction de ceux qui enseignaient les arts martiaux aux nobles d'Europe. Nos ancêtres l'avaient entendu durant leurs voyages terrestres et ce terme est resté dans notre culture. Au départ, je ne faisais qu'inculquer ce savoir à mes frères et sœurs les plus âgés afin qu'ils puissent protéger nos dirigeants. Ce n'est qu'après la première tentative de coup d'État de Bastior visant à renverser les parents d'Amélia que ces derniers ont décidé que j'enseignerai également l'escrime. Nos dirigeants n'avaient pas prit la mesure de l'appétence développé par les rebelles pour les armes blanches, dont une partie volée aux sorciers au prix de leur vie.

Un frisson parcourut Valérian aux réminiscences de l'arsenal entreposé à Keyaris. Son malaise s'intensifia lorsqu'il crut ressentir l'acier froid du poignard qu'on lui avait remis entre les mains en inspectant l'armurerie de plus près. Valérian desserra précipitamment les poings pour se défaire de cette sensation. Cyril le remarqua aussitôt. Il posa délicatement ses doigts sur les poignets de son collègue. 

Le regard de tous les démons se tourna à l'unisson vers le lieu le plus symbolique de Permana perché sur la seconde montagne du royaume. Niajadis semblait admirer les efforts de ses enfants, planqué dans le dos des parisiens comme une ombre.

― Maître d'armes ou commandant, peu m'importe le nom que l'on me prête. Je ne suis pas né pour avoir un titre à la différence de mes soldats tatoués !

Cyril fronça les sourcils face à l'humilité de son comparse. S'il avait bien saisi les cours d'histoire de Chas, Chumbakisa avait joué un rôle déterminant dans l'histoire de Permana.

― Si je me souviens bien, tu étais là à l'époque où tout a commencé pour les mundur. Ils n'étaient que des enfants qui vivaient dans des souterrains auprès d'un roi qui exigeait que chacun lui rapporte du sang d'humains qu'il avait torturé dans ses rêves. Certains enfants se sont découvert des dons très particuliers et une absence de goût pour le meurtre d'innocents. C'est à toi que les ancêtres doivent l'idée de l'exil Chumba ?

― Je n'ai fait qu'écouter la légende des dikirim.

― Ce sont des soldats également ? interrogea Valérian.

― Les dikirim sont à la fois neutres et pacifiques lorsqu'il s'agit d'empêcher des guerres dévastatrices de se produire ! Si certaines espèces magiques existent encore aujourd'hui, c'est uniquement grâce à leur intervention. Ils reviennent des entrailles du passé pour prévenir des peuples de la destruction et du chaos que leur bataille va causer. Les chefs de guerre les plus intelligents courent signer des traités de paix dans l'heure qui suit ! Et il y a ceux qui n'écoutent pas les dikirim. Ceux-là, on ne les revoit jamais et leur troupe non plus...

― Je peux comprendre qu'on voue un culte à des créatures pareilles, ce sont presque des interventions divines !

― Les dikirim sont parfois plus faciles à trouver qu'on ne le croit. Ils ont la cupidité de leur espèce, c'est pourquoi ils sont payés pour rendre certains services en dehors de leur rôle divin ! Mais en effet, dans les heures les plus sombres, ces créatures sont un symbole de mauvais augure. Elles sont respectées et adulées pour cela à travers les dimensions et le temps. J'ai proposé à mes compatriotes de s'exiler car nous n'avions pas notre place auprès des humains. Cela est toujours vrai. La magie n'est qu'un outil au service d'une créature. Si celle-ci a de terribles desseins, la coloration de son âme corrompra sa magie quelle qu'elle soit. Il a des accomplissements bien plus grands que mes actes passés !

Décidément, ce chat était encore plus modeste qu'il ne le paraissait. Cyril était bien décidé à lui rafraîchir la mémoire.

― Tu as négocié l'exil auprès du roi de Neraka au côté de Perkoui et Rosalyva, les deux premiers enfants à avoir compris qu'ils n'avaient plus leur place dans ces souterrains. En tant qu'aîné, tu les as presque élevés au sein de Niajadis. Depuis, tu diriges l'armée et tu as formé tous les plus grands de ce monde au combat ! Mais tu as raison, ce sont des choses si banales qu'on les fait tous les jours nous aussi ! s'exclama Cyril en adressant un clin d'œil complice à Valérian.

Celui-ci lui répondit par un sourire amusé en hochant la tête.

― Ouais, tous les jours ! taquina Nikolai en posant une main affectueuse sur l'épaule du chef des armées.

― Et je ne suis pas le seul à reconnaître ton importance ! souligna Cyril. J'ai vu ta statue dans les couloirs de Niajadis, bien ancré aux côtés de ceux que tu as élevés, les griffes parées à les défendre. Tes compatriotes t'estiment bien plus que tu ne le fais toi-même Chumba !

Celui-ci fut profondément touché par la sincérité qu'il décerna dans les paroles de son compère.

― Merci chaton ! gratifia-t-il en posant la main sur son cœur.

C'était le surnom affectueux qu'il avait donné à Cyril. Celui-ci découlait à la fois de leur énorme différence d'âge pour des êtres d'un même clan et de la petite taille presque enfantine du vidéaste.

― On est tous admiratifs de ton parcours et de ton habileté, que tu le veuilles ou non Chumba ! conclut Nikolai en renforçant la pression de sa main toujours nichée sur l'épaule de son professeur.

― Merci mes frères, je suis vraiment ravie de vous entraîner ! La pause est finie à présent, vous avez encore beaucoup de choses à apprendre ! décréta le maître d'armes d'un ton inflexible.

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