Louis avait beau être revenu physiquement, les choses ne s'étaient pas déroulées comme prévu. Le mariage et la vie parisienne leur coûtaient cher. Lisa s'était vue obligée d'accepter un poste dans un collège de banlieue tandis que Louis peinait à les faire vivre de ses écrits. Ses pièces n'étaient pas lues, ses poèmes critiqués, et en sa prose il perdait confiance. S'obstinant à ne jouer qu'au théâtre, choisissant avec minutie les pièces les plus profondes, il lui arrivait d'obtenir quelques maigres rôles mais les spectacles n'obtenaient jamais beaucoup d'entrées. Louis n'avait pas commencé à suivre les mêmes cours à l'université que Lisa après avoir repassé son baccalauréat, ils n'arrivaient pas à travailler assez pour mettre de l'argent de côté et s'offrir leur théâtre depuis si longtemps rêvé. Ils s'étaient retrouvés à vivre dans les appartements qu'ils pouvaient se permettre.

Ils vécurent ainsi des années, dans l'attente d'un revenu pour payer le loyer, Louis enchaînant les petits boulots, baissant ses exigences, entre déménagements et livraisons, le théâtre quittant peu à peu sa vie.

Mais Lisa et Louis étaient ensemble, c'était le principal. Ils s'étaient enfin retrouvés et arrivaient à vivre heureux dans cette nouvelle vie qui s'offrait à eux.

Lisa avait fini par obtenir l'agrégation, obtenant un poste de professeure à l'université. Elle s'était mise à enseigner le théâtre et la poésie pendant que Louis courrait à droite à gauche dans l'espoir de vendre les droits d'un de ses textes.

Parfois elle le regardait avec tristesse, il n'avait pas changé et malgré les obstacles que la vie lui avait envoyés, il gardait toujours son sourire et ses yeux rêveurs d'adolescent. Lisa se disait que dans la tête de Louis, le monde devait être rose, quoi qu'il arrive. Il semblait toujours heureux, avec elle.

L'arrivée dans leur vie d'une troisième personne obligea Louis à ravaler la fierté de sa fugue, et de demander de l'aide à son père. L'instabilité de leur quotidien devait être revue. Alors, en 1995, le père de Louis le muta au Havre, afin d'occuper un poste qui s'était libéré sur un de ses pétroliers. Cette nouvelle l'avait laissé indifférent. Qu'ils partent habiter loin de la capitale ou qu'ils y restent pour s'y perdre, ça lui importait peu, la vie qu'ils s'étaient promis de vivre prenait un autre tournant, tout aussi doux.

Été 1995.

— Parfois, je me dis qu'on est dans une pièce de théâtre. On profite du spectacle en redoutant le lever fatal du rideau.

Lisa était assise sur les genoux de Louis. Installés sur leur balcon délabré, les deux amants regardaient les bateaux rentrer au port sous le crépuscule d'été. Le jeune homme avait posé sa tête sur le ventre arrondi de sa femme.

— Alors je crois avoir choisi la plus belle des pièces, avait-il souri.

— Tu ne regrettes aucune scène ? Aucun acte ? avait murmuré Lisa en caressant sa chevelure blonde.

— Aucune. J'aime tout ce que je vis.

Lisa avait ri. Elle repensait à tous les moments qu'ils avaient vécus depuis leur rencontre, depuis leur adolescence où leurs rêves semblaient encore accessibles. Les rêves que Lisa avait décidé de ranger à présent dans sa boite à merveilles et qui prenait la poussière.

— Pour toi, même le lever de rideau te paraîtra magnifique.

— Bien sûr, mais je ne l'attends pas pour tout de suite. Il nous reste encore de nombreux actes à vivre.

Il avait souri.

— Moi, j'aurais aimé que notre pièce ressemble à Antigone, lui avait alors avoué Lisa. J'aurais aimé que nous nous révoltions contre nos pères, j'aurais aimé que nous ne laissions jamais les autres nous dicter nos conduites.

— Tu aurais aimé que je me révolte ? Que je dise « non » à mon père ?

Lisa avait haussé ses épaules.

— Nous aurions eu un théâtre. Tu aurais été comédien.

— On l'aura, Lisa, avec l'argent qu'on met de côté tous les mois nous nous offrirons tout ça. Grâce à mon père et au pétrole.

Et Lisa l'avait cru, elle avait caressé son ventre arrondi en se promettant que tout allait se passer pour le mieux maintenant que leur famille s'agrandissait. De nouveaux rêves s'offraient à eux.