Scène 23
Vingt-troisième Scène.
Dimanche midi arriva, Hélène nous fourgua dans sa voiture pour nous emmener chez Mamina. La journée de l'enfer pouvait commencer.
J'avais mis ma fameuse chemise qui faisait bien mais pas trop habillé et j'avais tenté de coiffer mes cheveux du mieux que je le pouvais. Tous les coups étaient permis pour esquiver les remarques cassantes de Mamina. Eliott aussi c'était fait beau mais bon, ça, ça lui arrivait plus souvent.
Dans la voiture, il ne cessait de se retourner vers la banquette arrière pour m'offrir des grands sourires avec les dents. Il était lumineux et, croyez-moi, c'était louche. Eliott était toujours lumineux, mais la lueur qui était allumée dans le fond de ses pupilles durant le trajet, je commençais à la connaître trop bien. C'était l'étincelle du mauvais coup, du je-suis-diabolique-mais-ne-t'en-fais-pas-tout-va-bien-se-passer.
Lorsque Hélène se gara devant la maison de Mamina, Eliott descendit de la voiture à toute vitesse, sautillant sur les graviers. Je le rejoins, de plus en plus nerveux. J'avais l'impression que le col de ma chemise se rétractait autour de mon cou. Cela m'étouffait.
Le grand métis déposa un baiser sur ma joue et m'attrapa par les épaules.
— Déstresse, elle ne va pas te manger, me dit-il d'un air moqueur.
Je ne répliquai rien et nous nous dirigeâmes vers la porte d'entrée de la petite maison, Hélène sur nos talons. Rien n'avait changé depuis ma dernière visite, la vigne vierge recouvrait toujours la façade et des dizaines de pots de fleurs décoraient les fenêtres.
Eliott sonna. Mon cœur s'emballa.
Le verrou grinça. Je sentis mes joues s'empourprer.
La porte s'ouvrit. J'avais envie de disparaître.
— BONJOUR MES AMOURS ! cria Mamina tellement fort qu'Eliott dut me lâcher pour se boucher les oreilles.
— MAMINA ! BON DIEU, ARRÊTE DE HURLER ! cria-t-il à son tour.
Horreur, j'aurais souhaité me téléporter.
Mamina remit son appareil auditif défectueux en place et s'exécuta. Elle nous embrassa tour à tour puis nous fit entrer dans son palace de bric et de broc. C'est là que réapparut la lueur dans les yeux d'Eliott, celle qui lui déclencha tout à coup un sourire. Il attrapa ma main et nous fit traverser la salle de séjour d'un pas rapide. Mamina et Hélène avaient déjà disparu derrière nous. Il s'arrêta devant la baie vitrée donnant sur le petit jardin à l'arrière de la maison et il plongea son regard malicieux dans le mien.
— Tu es prêt ? me dit-il, son éternel sourire en coin scotché sur le visage.
Oui. Non. Quoi ?
— Pourq-
Je n'eus pas le temps de finir ma phrase, ni même de la formuler. Il me tira dans le jardin.
Durant un court instant, les rayons du soleil m'éblouirent et je ne vis plus rien. Jusqu'à ce que j'entende quelques rires et un magistral : « SURPRISEEEE ! » dominé par la voix d'Eliott.
Ma vue revint alors et je les vis tous. Maman, Céleste, Thaïs, Hélène, David, Lily, le petit frère d'Eliott, et même Marianne. Je clignai des yeux, pas sûr de bien comprendre la situation.
— On a décidé de fêter ton anniversaire une semaine à l'avance ! s'exclama mon copain en sautant à mon cou.
Il était surexcité, à tous les coups c'était son idée la petite surprise. Il saisit un chapeau pointu jaune fluo et me l'enfonça sur la tête tandis qu'il enfila le rose. Quel gosse.
Derrière nous, Lily lança la musique, un vieux remix de « bon anniversaire » incroyablement ringard. Tout le monde éclata de rire, et moi avec. J'avais l'impression de déborder de gratitude pour ce qu'ils faisaient pour moi, pour l'attention qu'ils me portaient.
Le jardin de Mamina avait été joliment décoré de petites guirlandes et une table couverte de nourriture avait été dressée. Et, devinez quoi ? Eliott était déjà en train de s'enfiler les trois quarts du gâteau.
— Ça te va bien le chapeau pointu, tu devrais porter ça plus souvent, me taquina Céleste en m'enlaçant.
Ce jour-là elle avait sorti une robe bleu ciel magnifique. Céleste en robe, c'était une des plus belles choses à voir, croyez-moi. Elle avait laissé ses longs cheveux blonds tomber le long de son corps et ses yeux verts brillaient plus que jamais.
Thaïs ne tarda pas à nous rejoindre.
Lorsque nous nous assîmes tous les trois dans l'herbe, une légère amertume s'empara de nos cœurs. Nous n'en parlions que très peu mais depuis notre dispute, le vide qu'avait créé Gwendal en changeant de camp nous affectait beaucoup. Notre groupe d'amis avait perdu un de ses piliers principaux et même si Eliott, aussi génial soit-il, était là pour passer du bon temps avec nous, il ne portait pas le même bagage de souvenirs. Il nous manquait un élément essentiel et c'était douloureux.
Depuis notre dernière discussion, Gwendal n'avait pas tenté d'entrer à nouveau en contact avec moi. Thaïs et Céleste lui avaient bien fait comprendre que sans excuses, elles ne voulaient plus entendre parler de lui. Mais voilà, il n'était jamais venu s'excuser. Parfois nos regards se croisaient dans la classe ou dans les couloirs du lycée, mais il détournait rapidement ses yeux et moi aussi.
Peut-être qu'au fond j'aurais dû céder, peut-être que j'aurais dû faire le premier pas et m'excuser. Mais je n'avais pas osé et, de toute façon, avait-il envie que l'on se pardonne ?
J'aurais aimé qu'il soit là aujourd'hui, alors que toutes les personnes que je chérissais le plus au monde s'étaient données du mal pour m'organiser une petite fête pour mes dix-sept ans, pour ma dernière année avant l'âge adulte. J'aurais aimé que d'autres soient là également, mais c'était comme ça. L'essentiel était là.
L'après-midi se passa dans la joie et la bonne humeur, tout le monde semblait s'entendre à merveille et je passai sans doute une des fêtes d'anniversaire les plus réussies de ma vie. À un moment, alors que le soleil commençait doucement à décliner, je vis Marianne s'éclipser discrètement du jardin Mamina.
Je la suivis et la rattrapai très vite. Mes baskets s'enfoncèrent dans le sable qui patientait près de l'eau à seulement quelques minutes de marche de la maison.
— Tu vas où comme ça ? l'interpellai-je.
— Le coucher de soleil est magnifique, je ne voulais pas le rater.
Nous fîmes quelques pas le long de l'eau, évitant les vagues qui s'échouaient trop proches. Puis Marianne s'arrêta. Sur la plage, il n'y avait personne et le soleil commençait à décliner, déposant une douce couleur orangée sur la mer et ses reflets.
— J'ai quelque chose pour toi.
Elle plongea sa main dans sa poche pour en sortir une petite enveloppe toute froissée. Elle me la tendit.
— Tiens, cadeau.
Intrigué, je saisis l'enveloppe et tentai de l'ouvrir sans ne rien arracher. Nous ne nous étions jamais offert de cadeau avec ma sœur, c'était étrange.
Je sortis le petit papier qui était plié à l'intérieur de l'enveloppe.
Un sourire s'empara de mes lèvres, le visage de Marianne s'illumina.
— Alors, tu dis oui ?
— Évidemment ! m'exclamai-je, saisi d'une folle envie de l'enlacer.
Mais un tel rapprochement était-il permis ?
— C'est moi qui ai eu l'idée, mais Maman est aussi dans le coup.
— Merci, murmurai-je, ému.
Marianne me serra dans ses bras. Elle avait développé une jolie photo de nous que Céleste avait prise sur la plage au début du mois d'octobre, alors que nous y étions venus pour y passer un bel après-midi, qui avait vite mal tourné. C'était le jour de ma première rencontre avec Mamina, c'était le jour de ma première bagarre, et surtout, c'était le jour de mes retrouvailles avec ma sœur. Au dos de cette belle photo, elle avait gribouillé un petit message dans lequel elle m'invitait à venir passer des vacances chez elle, à Paris, cet été. Elle avait réservé des places de spectacle dans les plus grandes scènes de la ville, mais sans me dire lesquelles. C'était la plus belle chose que j'aurais pu avoir, un peu de temps avec elle, des souvenirs qui se graveront à jamais en nous.
Nous rendant compte que le soleil commençait sérieusement à disparaître, nous décidâmes de reprendre notre promenade pour rentrer chez Mamina. Je rangeai la précieuse photo dans la poche de mon jean. Au bout de cinq petites minutes de silence apaisantes, je me finis par me décider à lui dire ce que j'avais sur le cœur depuis quelques jours, mais que je n'avais encore avoué à personne. Je pris une grande inspiration.
—Il faut que je te parle de quelque chose, déclarai-je, ma voix défaillant un peu par peur de sa réaction.
Sans hésiter et ne me laissant même pas le temps de finir ma déclaration, elle me rassura subitement :
— Je ne dirai rien à Maman, cette fois. C'est promis.
Je restai un instant muet.
— Q-Quoi ?
— Tu peux tout me dire, ça restera entre nous. J'ai compris ma bêtise.
— OK, répondis-je, déboussolé. Mais ça, tu pourras le lui dire.
Elle leva un sourcil et j'hésitai. Ses yeux me dévisageaient comme s'ils avaient déjà pleinement conscience de ce que j'allais dire. Mes mots restèrent pourtant pendus à mes lèvres quelques instants, jusqu'à ce qu'ils osent enfin pénétrer l'atmosphère. Ils l'entrechoquèrent avec tant de force que mon corps eut du mal à soutenir leur poids.
— Je... J-J'ai postulé un stage au Cours Florent pour cet été. Après ça, je pourrai participer à une audition et entrer dans leur formation, après le bac.
Elle ouvrit la bouche, puis le referma.
— Tu es la première personne à qui j'en parle, continuai-je.
J'attendis alors sa réponse, le cœur battant à tout rompre. Ça faisait des jours que je portais le poids de ce secret seul, me faisant des films avec moi-même. Pour moi, ça semblait être la plus géniale des idées, ou alors la plus ridicule. Mais je n'avais jamais entendu le point de vue des autres.
— Cool, a-t-elle finalement laissé échapper. J'espère qu'ils te prendront.
Je fis une grimace.
— Tu ne trouves pas que c'est une mauvaise idée ?
Ma sœur sourit.
— Ange, je ne t'aurais vu nulle part ailleurs.
— Mais je ne suis même pas sûr d'être accepté, et puis ça coute cher.
— T'en fais pas, j'en toucherai deux mots à Maman. Tu es né pour ça.
Mon cœur ne s'arrêtait plus de me jouer des tours. Marianne poussa la porte de la maison de Mamina, mais s'arrêta pour me dévisager. Un énième sourire illumina son visage. À présent le soleil avait totalement disparu.
— Mon petit-frère sera comédien, si ce n'est pas formidable ça, déclara-t-elle seulement.
Puis elle poussa la porte d'entrée et s'enfuit.
Il n'y a de mot qui pourrait décrire la sensation de légèreté qui m'habita après ça. Comme si rien n'avait changé, et en même temps, tout. J'avais enfin levé l'ancre pour voguer vers de nouveaux mondes. Libre de faire ce que j'aimais, enfin. Pour une fois, les pièces commençaient à s'emboîter et tout reprenait peu à peu de son sens. J'arrivais à voir mon futur plus clairement, à imaginer ma vie avec toutes ces personnes qui m'entouraient avec autant d'amour, celles qui étaient là pour m'organiser des fêtes et croire en moi.
Je jetai un dernier regard vers l'horizon et son soleil qui avait disparu, je fermai les yeux, laissant ce bonheur m'envahir.
Où que tu sois, Papa, sache que j'étais bien, ici. J'avais trouvé ma place et je respirais, enfin.
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