Scène 20
Vingtième Scène.
— Caleçons, chaussettes, pulls, chaussettes, chaussettes, chaussettes, pulls, pantalons, caleçons, chaussettes...
— Eliott, déstresse, on ne part qu'une semaine ! m'exclamai-je.
Il délaissa sa valise qui reposait sur son lit et se tourna vers moi.
— Mais j'ai tellement peur d'oublier un truc, c'est horrible !
— Clairement, je pense que tu n'as rien oublié du tout. Tu as même pris ton maillot, me moquai-je.
— C'est au cas où il fait chaud, tu vois, on ne sait jamais...
— On part en Bretagne pas dans les Caraïbes... et il pleut, là-bas !
Il attrapa la dernière pile de sweats que je lui tendais et la fourra dans sa valise. Rien n'était plié correctement, c'était une horreur.
Hélène passa sa tête par l'entrebâillement de la porte de la chambre et s'exclama :
— Les garçons, votre amie est là ! Vous devez y aller.
Eliott fit un petit saut nerveux et se jeta dans ses bras.
— Je ne veux plus y aller, Maman. Imagine si je meurs en bus.
— Tu ne mourras pas dans le bus, mon bébé ! Ça va très bien se passer tu vas voir. Tu as fini ta valise ?
— Oui.
— Alors allez-y.
Hélène dut presque forcer Eliott à se détacher d'elle. Je me retenais de ne pas éclater de rire. Nous attrapâmes nos grosses valises et nous nous dirigeâmes vers la porte d'entrée. Lorsque nous fûmes enfin prêts à partir pour rejoindre la voiture du père de Céleste qui nous attendait devant l'immeuble, Eliott se jeta à nouveau dans les bras de sa mère. Elle l'embrassa très fort et, finalement, elle le mit à la porte, presque à coups de pied.
— « Je ne veux pas y aller Maman ! », imitai-je Eliott pour me moquer de lui alors que nous descendions les escaliers de l'immeuble. T'es trop mignon.
J'avais réussi mon coup, il se vexa aussitôt.
— Ahah, très drôle.
— Tu ne vas pas pleurer, hein ?
Il me lança un regard noir.
— Je ne te ferai pas ce plaisir.
— Dommage.
Céleste et son père nous attendaient dans leur grosse voiture. Nous mîmes nos valises dans le coffre et montâmes sur la banquette arrière. Je vis Eliott lancer un dernier regard en direction des fenêtres de son appartement. Je crois que c'était la première fois qu'il voyageait aussi longtemps loin de sa famille. Moi aussi, mais je n'avais pas une famille comme celle d'Eliott. Je pris doucement sa main alors que Céleste et son père nous faisaient la conversation, il était tout tendu.
Lorsque nous arrivâmes au lycée, les professeurs nous attendaient vêtus comme des Indiana Jones, avec des sacs à dos énormes et des chaussures Quechua. Nous nous serions crus à une réunion secrète des amoureux de la nature. Carrément flippant. Céleste ne tenait plus en place, elle embrassa son père et se mit à sautiller de partout.
— Ça va être trop bien ! Ça va être trop bien ! ne cessait-elle de répéter. On va manger des crêpes, on va faire du bateau et voir des phoques, on va boire du cidre !
— Sérieux ? se réveilla aussitôt Eliott en entendant ce dernier mot.
— Oui ! Mais on ne le dira pas aux profs.
— Génial !
Et il n'en fallut pas plus pour qu'il rejoigne Céleste et sa chanson :
— Ça va être trop bien ! Ça va être trop bien !
Il me désespérait, il n'y avait pas une seconde il était prêt à fondre en larmes et il avait suffi de lui parler de cidre pour qu'il oublie sa mère. Ce gars était incroyable.
Il n'y avait pas qu'eux qui étaient surexcités, en fait, nous l'étions presque tous. Les professeurs eurent un mal fou à réussir à nous compter et nous fourguer dans le bus. Nous étions comme des fourmis à s'agiter de partout. Nous partîmes finalement vers neuf heures et la joie qui nous avait habités disparut très vite : nous nous sentions tous tétanisés à l'idée de voir le bus s'éloigner de chez nous. Je m'assis à côté de Gwendal qui insista longuement pour se mettre du côté de la fenêtre. Ma politesse me fit accepter mais je le regrettai très vite lorsque je me rendis compte que la place était inconfortable. Nous attachâmes nos ceintures et le bus se mit à vibrer durant de longues minutes avant de commencer à partir. Nous nous contractâmes tous, et ce fut le départ.
Le voyage en bus fut long. Nous traversâmes la France dans sa longueur et cela prit la journée. A l'arrivée, nous étions tous très secoués. Gwendal avait vomi trois fois. Le bus avait eu quelques problèmes de moteur et nous avions manqué la crise de panique de peu... Heureusement tous les élèves et professeurs arrivèrent sains et saufs sur le sol breton. Enfin, tous sauf ce pauvre Gwen qui vomissait ses tripes dans un sac en plastique. Le mal de mer qu'il avait semblait s'être transformé en mal des transports, tous simplement. Je lui pris sa valise lorsque nous sortîmes du bus pour attendre dans le hall de l'auberge de jeunesse qui allait nous héberger durant la semaine.
— T'es avec qui dans la chambre ? me demanda Thaïs alors que nous tapotions gentiment le dos courbé vers l'avant de Gwen.
Nous étions les deux seuls assez solides pour pouvoir le soutenir dans son mal. Tous les autres avaient créé un périmètre de sécurité autour de lui, comme s'il avait la peste.
— Je me suis mis avec Gwen, Eliott, Maxime et Victor, lui expliquai-je.
— Oh my god, s'inquiéta mon amie. Quelle bande de crétins.
— Tu l'as dit, ris-je.
C'est vrai que ça n'était pas gagné, à nous cinq, il n'y avait que cet idiot de Victorien, que nous appelions Victor, qui savait un minimum se tenir.
— Et toi ? lui demandai-je à mon tour. Je suppose que t'es avec Céleste.
Le visage de Thaïs eut un mouvement de dégoût. Des gouttes de pluie commencèrent à s'écraser sur le trottoir de la rue, derrière les grandes baies vitrées du hall. Signe que nous étions tombés dans la bonne région.
— Ouais, je suis avec Céleste, mais pas seulement.
— Ne me dis pas que tu es avec Marilou ?
— Grnnnnn, grogna Gwendal entre deux vomissements.
— Si..., se lamenta la petite brune. Gwen, boucle-la.
— Je n'y crois pas... l'enfer.
— Tu l'as dit, j'vais pas tenir. Si elle fait une seule remarque je me la joue à la Eliott et je lui fais avaler son gloss cul-sec.
— C'est radical, ris-je.
— Non mais je n'en peux plus de cette fille. Regarde-la.
Nous relevâmes nos regards vers le reste du groupe qui tentait de se protéger de la pluie avec leur sac à dos, courant vers l'auberge. Au milieu, nous pouvions discerner, comme le mouton noir au milieu de tous les blancs, une Marilou aux boucles parfaitement dessinées. Elle nous aperçut alors et nous fit un petit signe de la main en souriant. Elle me dégoûtait. Thaïs ne se gêna pas pour lui faire un doigt d'honneur. Trop forte. Marilou se renfrogna aussitôt, rouge de colère.
Durant les trois premiers jours, le voyage se passa très bien. Marilou semblait avoir instauré avec nous un pack de paix un peu forcé, Gwen avait arrêté de vomir et nous avions fait des tonnes de courses pour pouvoir manger à notre faim, affamés pas la piètre cantine de l'auberge. Le quatrième jour, nous prîmes le bateau pour aller voir des colonies d'oiseaux de l'archipel des Sept-Îles, sur les Côtes-d'Armor, ce qui rendait Céleste ravie. Gwen nous fit alors sa deuxième crise de vomi, ça devenait agaçant.
— Je t'en supplie, Gwendal, contrôle-toi, on est en train de tout rater ! lui dis-je en le soutenant devant la cuvette des toilettes apocalyptiques du bateau.
Celui-ci ne faisait que tanguer et les fous de Bassan poussaient des cris au-dehors. J'avais très envie d'aller les voir. On avait beau dire, les petites séances dans la nature avec Antoine l'intervenant m'avaient fait prendre goût à celle-ci. Et puis, ce voyage était une des sorties les plus importantes du programme écologique du lycée, il était dommage de tout rater. Durant les trois premiers jours, nous nous étions baladés au bord de l'océan, et nous avions randonné sur les côtes, passionnés par la faune et la flore locales. La géologie de la région avait elle aussi absorbé Mme Hillary, qui nous avait fait étudier en détail les granites rosés, taillés par les vagues depuis des millénaires. C'était un pays magnifique.
— Vas-y sans moi, arriva à articuler Gwen avant de vomir à nouveau. Jre vrais meg défrouiller.
J'avais vraiment envie de l'abandonner là, mais je ne pouvais le laisser seul, il tenait à peine sur ses genoux
Heureusement pour moi, Thaïs ne tarda pas à débarquer à son tour dans les toilettes. Nous nous serions crus au salon de thé.
— Je viens prendre la relève ! s'exclama-t-elle.
Gwendal ne vomissait plus mais il suffoquait. Le pauvre, le mal des transports allait finir par l'achever, si ce n'était la gastro. Son visage était aussi livide que ses cheveux étaient roux.
— Ils sont beaux, les oiseaux ? arriva à prononcer Gwen.
Thaïs haussa les épaules.
— Ce sont des oiseaux, quoi. Ils ont des yeux, un bec et des plumes, a-t-elle simplement dit.
Gwen se redressa en tanguant. On aurait vraiment dit un mort vivant. Il fit trois pas, nous passa devant et poussa la porte des toilettes.
— Je vais voir les piafs, elles sont vraiment dégueulasses ces toilettes.
Il tangua à nouveau et sortit, me laissant seul avec Thaïs. Nous restâmes bouches bées.
— Je pense qu'on devrait aller le chercher, ça va mal tourner.
— On n'est pas ses baby-sitters, s'il vomit sur le pont c'est son problème.
Les lèvres de Thaïs laissèrent transparaître un sourire amusé et elle me tapa l'épaule.
— Comme tu veux, moi je retourne sur le pont.
Elle sortit d'un pas assuré alors je finis par le suivre. Dehors, les fous de Bassan, oiseaux migrateurs qui venaient passer la saison de la reproduction sur l'archipel des Sept-Îles, nichaient par centaines sur l'île en face de nous. Le bateau en faisait le tour, nous laissant admirer la vue.
Je pris la précaution de ne pas m'approcher trop du bord, au cas où l'océan déciderait à nouveau de me jouer un tour. Mon regard se porta vers l'horizon au ciel bas, aux tons nuancés de gris. Une tempête devait s'abattre, là-bas au bout du monde. Un frisson me parcourut.
Pense d'abord à toi.
Les mots de ma mère résonnèrent en moi, et Céleste me sortit alors de mon spleen sans fin :
— Regardez, là-bas ! s'exclama-t-elle tout à coup.
Elle pointait du doigt des rochers aux abords de l'île.
— C'est quoi ? murmurèrent quelques élèves en venant se pencher à la rambarde du bateau pour observer de plus près la chose qui se mouvait lentement sur les rochers.
Mme Hillary déboula, surexcitée.
— Bravo Céleste, bravo ! s'écria-t-elle. C'est un phoque, les enfants, venez voir, c'est un phoque !
— Mais madame, il est échoué, il faut l'aider ! s'horrifia Thaïs, les mains plaquées contre sa bouche.
L'animal semblait inerte sur la roche. Les vagues se fracassaient autour de lui.
— Pas d'inquiétude, nous rassura alors notre professeure. Il est simplement en train de faire la sieste.
— Sur un caillou ? s'étonna Maxime. Bonjour le confort.
— Et où voudrais-tu qu'il dorme, sinon ? s'impatienta Céleste. T'as déjà vu un oreiller pour phoque ?
Maxime capitula, penaud.
— Lorsque la marée descend, ils se laissent échouer sur les rochers pour se reposer, et une fois que l'eau remonte, ils plongent à nouveau pour partir à la conquête de nourriture, nous expliqua Mme Hillary. Ça n'est pas rare de pouvoir en apercevoir par ici, je suis ravie que nous en ayons vu un aujourd'hui !
Mais alors que l'euphorie de cette rencontre nous emportait, des cris de colère percèrent la joie. Le capitaine du bateau déboula, furieux, de la cabine de pilotage. Mme Hillary se figea.
Fuyant vite le cœur de la scène, je rejoignis mes amis. Adossés contre la rambarde du bateau et le regard fixant la mer aux couleurs sombres, Eliott, Céleste et Thaïs semblaient broyer du noir. Leurs anoraks étaient trempés.
— Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? m'inquiétai-je. Et il est où, Gwen ?
— A tes pieds, grogna Eliott.
Effectivement, mon ami agonisait sur le sol et tenant fermement la rambarde du bateau dans ses bras. Je redirigeai mon attention vers mes trois autres camarades qui tiraient toujours la tronche.
— Alors, qu'est-ce qu'il se passe ? Je n'ai rien vu.
Entre les cris du capitaine et ajoutés aux excuses désemparées de Mme Hillary, j'entendis le rire hypocrite de Marilou. Mes yeux roulèrent dans leur orbite, Céleste se massa les tempes en fermant les yeux.
— Tu as raté le magnifique one-woman-show de notre bien aimée Marilou qui a décrété qu'elle détestait cette journée en bateau, commença par m'expliquer Eliott.
— Tu la connais, elle a toujours ce qu'elle veut, continua Céleste.
— Et comme les profs ne voulaient pas la ramener sur terre, elle en a fait trois tonnes, ajouta Thaïs.
— Et alors, qu'est-ce qu'elle a fait ? m'impatientai-je, à peine surpris que ce soit elle qui ait causé la mauvaise humeur générale qui planait à présent sur ce vieux bateau à moteur.
— Elle a trouvé malin de faire le ménage dans son sac à dos.
— Et comme la poubelle se trouvait à vingt mètres d'elle et que c'était beaucoup trop loin pour la princesse qu'elle est...
— ... elle a profité que Mme Hillary soit absorbée par le phoque et elle a tout balancé par-dessus bord.
— Plouf.
— Mais elle est malade ! m'égosillai-je.
— Ça n'est pas nouveau, se lamenta Céleste. On a tout vu mais on n'a rien pu faire, elle a fait ça si vite.
Cela expliquait que le capitaine du bateau, qui avait vu la scène, était en train de s'énerver rouge et insultait les profs en leur rabâchant que c'était un site protégé. Sous la colère, il employait un patois qui nous était inconnu. Marilou ne semblait pas en être effrayée, elle gardait son air fier, niant tous les faits.
— Je ne comprends pas comment il est possible d'être aussi égoïste, soupirai-je. Cette fille a un grain.
— À ce stade c'est même plus un grain, c'est son cerveau entier qui y bon pour la déchetterie, me fit remarquer Eliott, la mine dépitée.
La sentence finit par tombermalgré toutes les excuses que put prononcer Mme Hillary : le capitaine nous virerait de son bateau aupremier port qui se trouverait sur notre chemin. Notre professeure, dans undernier espoir, tenta de le supplier de nous laisser rester, quitte à enfermerMarilou au fond d'un placard à balais, mais il n'y eut rien à faire. Lecapitaine avait pris sa décision, ce qu'avait fait Marilou était impardonnable.
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