Scène 15

Quinzième Scène.

      Lorsque j'ouvris doucement mes yeux, la lumière de ma chambre me réchauffait doucement le visage. Il n'y avait personne dans la pièce mais la cafetière hurlait dans la cuisine, à côté.

Bien qu'un peu shooté par les évènements de la journée d'hier, je me sentais parfaitement conscient. La mémoire m'était totalement revenue. De mes angoisses montantes à ma chute, glaciale et quelque peu remuante. J'étais incapable d'expliquer la raison qui m'avait fait tomber. Si j'étais tombé ou si je m'étais laissé tomber. Comme attiré par le fond.

Mais maintenant que j'avais pu me reposer, je me sentais prêt à repartir parcourir le monde hors de ma chambre. Les vacances venaient de débuter.

Pourtant, mes envies de conquêtes s'envolèrent lorsque je voulus sortir du lit, et que je sentis la lourdeur de mes muscles. Je laissai aussitôt ma tête s'enfoncer à nouveau dans l'oreiller trop dur. Je ne m'étais pas reposé du tout.

Capitulant, je fermai alors les yeux et je me mis à penser. Je me mis à penser à Papa. Je pensais toujours à Papa, partout, depuis toujours et n'importe quand. Il aurait pu hanter mes jours comme il hantait mes nuits, mais ce n'était pas le cas, il ne me hantait pas. Il m'accompagnait. J'avais arrêté d'être triste quand je pensais à lui, je ne pleurais plus, je ne le cherchais plus au milieu des autres pères de tous mes copains. J'avais juste besoin de sentir sa présence, comme un devoir de soldat je me devais de ne pas l'oublier, jamais. J'avais aussi arrêté de m'imaginer la vie avec lui, c'était trop douloureux et ça ne m'aidait en rien, juste à rester reclus dans mon monde solitaire et fantomatique.

J'ouvris instantanément mes yeux lorsque la porte de la chambre claqua. La luminosité m'éblouit un instant.

— Salut, grand fou, me sourit Marianne en entrant, un plateau de viennoiseries dans les mains.

Je n'avais jamais été aussi heureux de voir ma sœur.

— Je ne pensais pas te voir réveillé, comment tu te sens ?

Elle vint s'asseoir sur la chaise de bureau qui était restée à côté de mon lit.

— Ça va, grognai-je. J'ai juste tellement honte de ce qu'il s'est passé. Je crois que je ne sortirai plus jamais d'ici.

Marianne pouffa.

— Ça ne changera rien, t'as fait la une des journaux.

— Sérieux ?

— Bien sûr que non, crétin.

Nos yeux rieurs se croisèrent.

— T'es arrivée quand ?

— A l'aube.

Elle avait de gros cernes, chose très rare pour une fille aussi parfaite que Marianne.

— Mais tu n'avais pas du travail ? Et les vacances au ski que tu devais passer avec tes amis ?

Elle se pinça les lèvres. Il fallait avouer que je n'avais pas été fin sur ce coup-là. Quel crétin.

— Le travail et les vacances au ski, je m'en fous. Ange, Maman et toi êtes mes priorités.

Je passai nerveusement mes mains sur mon visage.

— Désolé.

Une bouffée d'angoisse m'oppressa alors les poumons. C'était ma faute, tout ça.

— T'es rentré à cause de moi...

Marianne remonta ses lunettes sur son nez et me sourit faiblement. J'allais lui sourire en retour quand quelque chose se cassa en moi. Son visage semblait tout à coup avoir perdu de son rayonnement. Elle me dévisagea, voilant au mieux son inquiétude, ses yeux dans mes yeux. Alors mon corps se raidit et mon cerveau se ralluma d'un coup dans une douleur accablante. Je sentis l'oxygène me manquer cruellement. Même une dose infinie de médicament n'aurait pu calmer mes nerfs.

Je pris une grande inspiration et posai mon premier pied sur la glace. Soit ça passe, soit ça casse.

— Je crois que j'ai fait exprès de me laisser tomber, lâchai-je d'une traite.

Marianne étouffa son étonnement. J'avais l'impression de vivre ce moment au ralenti.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Mes mains se mirent à tripoter le drap blanc immaculé de mon lit.

— J'ai vu le vide, j'ai vu ces vagues se déchirer. J'ai eu envie de plonger. Tu sais, pour l'y retrouver...

— Papa n'est plus là, Ange. T'aurais rien trouvé d'autre que la noyade.

La rationalité de ma sœur me surprenait toujours.

— Je sais... Tu me prends pour un fou ?

— Je t'ai toujours pris pour un fou, sourit-elle. Plus sérieusement : ne refais plus jamais ça.

La honte rougit mes joues.

— Promis.

Elle attrapa ma main et la serra très fort. C'était si rare de nous voir aussi proches. Je devrais déconner plus souvent.

J'attrapai un croissant alors que Marianne se levait pour sortir.

— Une infirmière va passer dans l'après-midi pour vérifier que tu vas bien.

J'ouvris la bouche, mais elle fut plus rapide :

— C'est moi qui l'ai appelée, n'essaie même pas de contester. Et tu prendras rendez-vous chez un psychologue. On ne tombe pas d'un bateau aussi facilement que sur un vélo.

Le regard fatigué de ma sœur me défia, mais je ne trouvai rien à répliquer. Étais-je réellement en position de négocier quoi que ce soit ? Elle finit par me sourire avant de sortir pour me laisser en paix. Cette étincelle me fit comme une bouffée d'oxygène dans le cœur.


     Je passai le reste de la journée étalé dans mon lit, mes envies de conquérir le monde tout à coup envolées. Tantôt m'endormant, tantôt passionné par la série que j'avais lancée.

Vers 14 h, j'entendis des voix s'élever du salon et, quelques minutes plus tard, on toqua à la porte de ma chambre.

— Bonjour Ange, chantonna une jeune femme en entrant.

C'était l'infirmière. Elle était vraiment jeune et elle avait de très beaux cheveux bouclés. Elle me sourit.

— Je suis Noémie, ton infirmière attitrée. Comment tu te sens ?

— Bien, mentis-je en me redressant un peu trop rapidement pour lui prouver que j'avais la forme.

Ma tête me tournait. Noémie hocha négativement la sienne et me força à me recoucher.

— Tu as mal à la tête ? me demanda-t-elle comme si elle lisait dans mes pensées.

Je haussai les épaules avant de faire une petite moue.

— Oui.

La jeune femme s'assit sur mon lit et posa sa main contre mon front.

— Sur une échelle de un à dix, tu as mal comment ?

— Quatre, répondis-je sans vraiment y réfléchir.

C'était douloureux, comme si un petit démon s'amusait à tripoter mes nerfs un à un pour jouer un morceau de violon affreusement raté, mais c'était tout de même supportable.

— Mais sinon, tout va bien, insistai-je.

Je trouvais que la situation ne devrait pas demander pas autant de cérémonie. Les secours avaient déjà vérifié si mon état était stable lorsqu'ils m'avaient repêché, et m'avaient même laissé rentrer chez moi dans la soirée. Il fallait juste que je prenne un temps pour me reposer, et tout irait mieux. J'avais envie de m'en aller d'ici et de voir Céleste. Pourtant, ma nouvelle amie Noémie ne sembla pas de mon avis. Elle posa ses yeux bruns sur mon visage sûrement très pâle.

— Tu as fait une mauvaise chute, Ange. Tomber dans l'eau à 10 °C sans s'y être préparé, ça aurait pu être grave. Il faut te reposer.

— Longtemps ?

— Seulement quelques jours.

Elle hésita un instant, puis ajouta :

— Il faudrait aussi que tu prennes rendez-vous avec un psychologue.

— C'est ma sœur qui vous a demandé de me dire ça ? me renfrognai-je.

Noémie ne sembla pas gênée par ma question :

— Oui mais, tu comprends, on veut s'assurer que ton cerveau sorte sain et sauf de cet accident.

Je haussai mes épaules.

Sauf, j'en suis presque sûr sinon je ne me sentirais pas aussi bien. Sain, c'est une autre affaire...

Noémie me sourit.

— Je sais bien, c'est aussi pour ça qu'on veut que tu prennes ce rendez-vous.

— Pour réparer mon cerveau ? Vous lui en voulez décidément.

— Si tu ne le malmenais pas autant, aussi, me dit Noémie en me faisant un clin d'œil.

Je l'aimais bien cette femme, un peu pince sans rire elle semblait prendre beaucoup moins au sérieux mes problèmes que les autres. C'était apaisant.

— Et donc, repris-je, qu'est-ce que vous voulez vérifier pour rassurer ma sœur ?

— Je vais faire quelques contrôles de tes réflexes, de ta mémoire et un petit bilan médical. Puis je te donnerai le numéro d'un bon psychologue.

— J'ai déjà vu un psychologue, râlai-je. Je n'ai plus besoin de ça.

Noémie approcha une petite lampe pour vérifier la dilatation de mes pupilles, j'espérais qu'elles étaient en bonne santé, je les aimais beaucoup.

— Si tu veux mon avis, je pense que tu devrais y retourner. Ça ne peut t'être que bénéfique.

— Je ne sais pas, je ne crois pas que ça m'aide beaucoup.

— Qu'est-ce qui t'aide, alors ?

Elle laissa mes pupilles tranquilles mais continua de fixer mes yeux. Je me sentis intimidé tout à coup, j'avais l'inquiétante sensation qu'elle était capable de lire en moi alors que nous ne nous connaissions pas il y a à peine une heure.

— Mes amis. Quand je suis seul, je pense trop alors que, quand je suis avec eux, je vis vraiment. Je ne m'enferme pas dans ma propre bulle. Et puis il y a le théâtre aussi, là je suis quelqu'un d'autre, et c'est mieux.

— Tu étais dans ta bulle tout à l'heure, avant que j'arrive ?

— Oui.

— Et tu pensais à quoi ?

Je fronçai les sourcils.

— En fait, vous êtes psychologue ?

Elle éclata de rire.

— Non, mais tu m'intéresses.

— Dommage, vous m'auriez plu, souris-je.

Nous commençâmes alors une série de mouvements pour vérifier que mon corps soit en parfaite forme. Noémie me fit bouger les doigts, les jambes, les orteils, les articulations. Je m'en sortais très bien.

— Tout à l'heure, je pensais à mon père, finis-je par lui avouer. Je pense souvent à lui, et même tout le temps.

— Il n'y a pas de mal à ça.

— En fait, dès que je réalise quelque chose dans ma vie je me demande s'il aurait fait comme moi, ou s'il aurait été d'accord avec mon choix. J'ai toujours peur qu'il me regarde et qu'il soit déçu. Il avait l'air merveilleux.

Noémie m'aida à me rallonger sur le lit.

— Je crois qu'on a la même passion : il voulait être comédien. Maman n'a jamais voulu me l'avouer, mais j'en suis certain. J'espère le devenir, pour lui, et pour moi.

— Pense d'abord à toi.

Je m'enfonçai dans mon oreiller.

— C'est difficile, quand on est moi...

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas, j'ai tout le temps peur.

— De quoi ?

— De tout, mais surtout de perdre. J'ai peur de perdre ma mère.

Les mots sortaient de ma bouche plus vite que je l'aurais voulu. Mes sentiments semblaient plus faciles à avouer à cet instant.

— Est-ce qu'elle est venue ? demandai-je finalement.

— Qui ?

— Ma mère.

— Je crois, me répondit Noémie de sa voix douce. Elle n'était pas là quand je suis arrivée.

Je l'aimais décidément de plus en plus cette infirmière. Ça me faisait du bien de lui parler.

— Elle fait une dépression, réalisai-je pour la première fois. Je crois que ça nous tue de nous voir déprimer chacun de notre côté. Je n'arrive pas à être là pour elle et elle n'est pas là pour moi non plus. Quand elle est triste ça me rend triste, et ça me tue. Alors je comprends qu'elle ne soit pas là, vous savez.

Mon infirmière hocha la tête.

— Ange, je crois qu'il va falloir que tu ailles voir ce psychologue.

— Je crois aussi, m'avouai-je.

— Il sera gentil.

— J'espère bien.

Noémie me sourit puis s'éloigna vers la porte.

— Je dois te laisser, j'ai d'autres patients qui m'attendent. Bonne nouvelle : tu n'as pas de fièvre et tu m'as l'air en parfaite santé. Repose-toi quelques jours, sois sage et ne pense pas trop.

— Ça va être compliqué, vous n'auriez pas des médicaments pour ça ? souris-je en remontant ma couette jusqu'à mon nez.

— Non, tes réflexions c'est ton boulot, à toi d'en prendre le contrôle.

Plus facile à dire qu'à faire. Noémie partit alors et me laissa seul avec mes pensées. C'était insupportable. Cette chambre était exactement le lieu qui semblait inspirer à la réflexion : allongé tout seul sur mon lit je n'avais d'autre choix que de me retrouver avec moi-même.

Là-haut, ça tournait à fond la caisse. 

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