⚜ XXIX ⚜



   Le trajet en train se passa étonnement bien par la suite. Sérim et Hyeongjun s'évitaient dans la mesure du possible, ne parlant que lorsqu'il était question des documents qu'ils avaient à lire. Dans ces cas-là, Mariette était toujours présente pour les rappeler à l'ordre. Elle avait un don pour leur montrer à quel point ils avaient l'air stupide à se défier ainsi. C'était très efficace.
Il continua de parler avec Mariette de ce qu'il ressentait de sa magie. La première vision qu'il lui avait montrée l'avait un peu perturbée, et elle ne savait que faire de ces informations, mais le jour suivant elle était venu préparée. Il était heureux de pouvoir partager le savoir de Rani avec la rouquine. Elle fut étonné que Rani eut su tout ça et souhaita la rencontrer. Hyeongjun lui promit de faire les présentations à leur retour à l'académie.

Bien que tout se passa pour le mieux dans le train, l'absence de Jungmo lui pensait plus que ce à quoi il s'était attendu. Peut-être était-ce dû à la présence d'un autre couple, ou bien du fait qu'ils fussent cinq et que par conséquent qu'il se retrouvait souvent seul. De plus, la proximité avec Sérim lui fit remarquer à quel point Allen et lui étaient proches. Peut-être était-ce un mélange de tout, mais Jungmo lui manquait, son cœur se languissait de le revoir et c'était un sentiment très étrange qu'il n'avait jamais ressenti, ou du moins pas dans cette mesure.

  Dans le wagon commun, Hyeongjun se tenait droit face à une fenêtre. Le paysage avait considérablement changé. Il ne pensait pas que Thalatin était si différent d'Elkia. Tout autour d'eux n'était que plaines et champs, souvent ils traversaient des villes à l'architecture étonnante. Les maisons étaient comme des tours épaisses en pierre sur au moins six étages. Mariette lui avait alors expliqué que plusieurs générations d'une même familles vivaient dans ces tours et qu'habituellement les voisins étaient leurs cousins proches. Les quartiers étaient souvent composés des mêmes familles. Elle lui avait dit qu'une fois marié c'était le mari qui quittait sa famille pour aller habiter avec celle de sa femme, et il se demanda si Seongmin irait vivre en Thalatin avec Mariette dans le futur.

« Nous ne devrions plus tarder à arriver à Thalatopolis ! dit Mariette. »

Elle était excitée comme une puce et se penchait contre la fenêtre un large sourire aux lèvres.

« J'ai hâte ! »

Elle avait l'air d'une enfant attendant un cadeau et elle rayonnait de joie. Seongmin quant à lui, bien qu'heureux pour sa petite amie, était pâle. Allen lui en fit la remarque et ce dernier lui accorda un regard noir. Visiblement, la perspective de rencontrer sa belle-famille l'angoissait.
Mariette se retourna et l'embrassa sous le coup de l'excitation.

« Tout va bien se passer ! Je te le promets, ma famille va t'adorer ! Tu es intelligent, beau et tu es un mage très puissant, je ne vois aucune raison pour laquelle ils ne t'aimeraient pas. »

Hyeongjun se demanda si une partie de Seongmin n'était pas inquiet du fait qu'il ne soit pas issu d'une famille noble comme ses autres amis.

Il se détourna de ses compagnons et continua d'observer le paysage. Doucement, les plaines laissèrent place à de petits groupes de maisons de plus en plus rapprochées. Le train montait en pente douce libérant la vue sur ces maisons étranges aux toits plats et multiples étages. Certaines se collaient entre elles formant de petits paquets compacts comme des amas de quartz. Les murs étaient souvent peints en couleurs selon les quartiers, mais parfois, une maison sortait du lot, peinte en blanc ou en noir.
Le train pénétra dans la ville et tout ce qu'il pouvait voir n'était que des tours épaisses. Il se sentit petit, légèrement étouffé. Il aimait les plaines, les montagnes, mais les villes étaient différentes. Il se sentait petit, mais pas de la même manière qu'il se sentait dans les montagnes. Ici, la magie était différente, teintée de l'esprit des hommes. Il grimaça face au goût qu'elle lui laissait.

Il se tourna vers Mariette.

« La mages sont-ils courant ici ? »

Elle parut surprise de sa question, puis fit non de la tête.

« Non. La plupart des mages se trouvent certes à Thalatopolis, à l'université, au parlement ou dans les temples, mais dans la population, il y en a beaucoup moins qu'à Eda. Je dirais un ratio de cinq pour cent contre trente à Eda.

— Et cent pour cent à l'académie, plaisanta Seongmin.

— En réalité, à l'académie le pourcentage et de quatre-vingt-dix-huit pour cent. Certains des enfants de domestique n'ont pas de pouvoirs, mais habitent tout de même le palais et y travaillent. Cependant ils portent quand même un brassard à la couleur d'un de leurs parents, c'est pourquoi personne ne le remarque vraiment. »

Elle jeta un coup d'œil à Hyeongjun, peut-être faisait-elle référence aux enfants comme Rani, avant que cette dernière n'assume sa magie hors du commun.

Le train ralentit.

  Ils arrivèrent en gare de Thalatopolis. Un mélange d'excitation et d'appréhension tordait le ventre de Hyeongjun. Seongmin lui avait expliqué dans les grandes lignes comment leur arrivée allait se passer, mais il ne pouvait s'empêcher de stresser. Et pourtant ce n'était pas lui qui allait rencontrer sa belle-famille.
Cependant, l'idée de se trouver face à un nouveau dirigeant, moins d'une semaine après le roi et la reine, lui faisait presque peur. Il savait que dans ces situations, il avait tendance à ne pas savoir quoi dire. Heureusement aujourd'hui ce n'était pas à propos de lui. Le point de focus serait sur Sérim, prince héritier au trône d'Elkia.

La porte du wagon s'ouvrit sur la gare et le prince descendit en premier, Allen le suivant de près. Devant eux s'étendait le quai en pierres blanches. Un groupe d'hommes en robes gris clair attendait, les yeux tournés vers le train. Derrière eux, des gardes se tenaient en formation serrée, limitant l'accès à la foule. Une clameur retentit quand le prince posa le pied sur le sol Thalatin et le groupe d'hommes s'avancèrent.
Hyeongjun ne s'était pas attendu à ce que le peuple se soit rassemblé pour voir le prince. Après la ligne de gardes, les habitants de la cité se poussaient pour mieux voir.

Un homme dans la soixantaine, les cheveux grisonnants, s'avança hors du groupe qui les attendait. Il portait une robe blanche, une ceinture de cuir noir retenant le tissu au niveau de sa taille. Une longue veste blanche elle aussi, lui arrivants aux pieds, complétait son ensemble. Il se tenait droit, un large sourire éclairant son visage anguleux. Autour de son cou pendait un large pendentif en or représentant une épée en travers d'une balance, symbole de la démocratie Thalatine. C'était sans aucun doute, Simon Dregat, le président.
Mariette, Seongmin et Allen s'inclinèrent pour le saluer, et Hyeongjun les imita un peu en retard, se maudissant de ne jamais se rappeler le protocole.

« Bienvenue en Thalatin, dit l'homme d'une voix douce et grave.

— Merci beaucoup, Monsieur le Président, répondit Sérim. »

Les deux dirigeants se serrèrent la main, échangeant des politesses. Le prince présenta ensuite ses compagnons et Hyeongjun fut soulagé lorsqu'il ne précisa rien concernant ses origines. Malgré lui, il envoya une vaguelette de gratitude à Sérim qui lui répondit par un hochement de tête. Il se doutait qu'il ne l'eût pas omis pour lui, mais il en fut tout de même reconnaissant.
À peine eut-il fini les présentations, qu'un autre homme s'avança. Sa robe était grise comme les autres et sa ceinture, blanche. Il était grand et fin portant des lunettes. Son visage avait quelque chose de familier. Ses cheveux blonds, parsemés de mèches grises, étaient bouclés et ce fut lorsqu'il s'approcha d'eux qu'il comprit qu'il s'agissait du père de Mariette.

Il se présenta comme Gustave Prenell, ministre de la culture, puis salua le groupe avec chaleur, visiblement ravi de les voir. Il irradiait la joie et la bonne humeur. Mariette tirait vraisemblablement ses pouvoirs de lui. Sa magie était subtile mais forte et donnait envie de l'approcher et de lui parler. Hyeongjun se demanda si Sérim le ressentait aussi, Mariette, quant à elle, devait y être habituée. Alors qu'il se concentrait sur la magie de monsieur Prenell, il fut surpris de capter un échange entre lui et Mariette.
Comment pouvait-il parler avec Sérim et Monsieur Dregat de vive voix tout en communiquant via l'éther avec sa fille ? C'était encore plus impressionnant que Mariette qui lisait tout en lui parlant.
Il se rendit compte qu'il avait encore beaucoup à apprendre.

Perdu dans l'analyse de la méthode de Gustave, Hyeongjun fut surpris de voir son petit groupe s'éloigner du président pour s'engouffrer dans la foule, des gardes leur ouvrant un passage.
Il se tourna vers Seongmin et Mariette qui se tenaient derrière lui, mais ils discutaient entre eux et il ne voulut pas les déranger. De plus Seongmin était blanc comme un linge, probablement en train d'angoisser. Mariette devait être en train de le rassurer.
Il se pencha en avant pour demander à Sérim où ils se déplaçaient, mais ce dernier était lui aussi en grande discussion avec le père de la rouquine. Il se décala légèrement pour atteindre Allen qui se tenait à la droite du roi, regardant la foule, à l'affût.

« Où allons-nous ? demanda-t-il. »

Allen se retourna d'un bloc, ses sens étaient en alerte et l'approche de Hyeongjun l'avait surpris.

« Oh ! Ce n'est que toi. »

Il soupira longuement et se retourna vers les habitants de Thalatopolis.

« Nous allons dans la maison familiale des Prenell. »

Il regarda Hyeongjun à nouveau.

« Est-ce que tu peux surveiller la foule sur la gauche de Sa majesté ? »

Hyeongjun soupira mais acquiesça. Que perdrait-il à surveiller les arrières de Sérim ? Au mieux, il verrait du paysage, au pire, il pourrait lui montrer une fois encore de quoi il était capable.

Ils s'avancèrent, non sans encombre — tous voulaient voir le futur roi d'Elkia — et arrivèrent à une large voiture attelée à de gros chevaux noirs. Ils montèrent tous à l'intérieur et le véhicule se mit en marche rapidement.
Le trajet jusqu'à la maison familiale Prenell fut long, non pas à cause de la distance, mais du trafic en ville. Tout du long, Hyeongjun ne prêta aucune attention aux discussions, se concentrant sur l'extérieur, le mouvement de la ville, sa vie effervescente. Il y avait toujours du bruit, toujours quelqu'un qui marchait ou courait. Il ne connaissait pas ce genre de lieu et bien que fasciné, il fut heureux de se trouver dans une voiture et non dehors. Tout cela le rendait curieux, mais l'épuisait aussi.
Ici, la magie d'Elkiris était plus dure et sèche. Plus réfléchie et humaine. Elle s'était adaptée à la présence des hommes. C'était nouveau, et se déplacer entre ses mailles était plus complexe que celles de l'académie où Lyrim était présente pour les assouplir et les réchauffer.

La voiture passa un portail et s'engagea sur une allée bordée de chênes. Lorsqu'elle s'arrêta enfin, ils se trouvaient face à une de ses maisons que Hyeongjun n'avait vu que de loin. La demeure de Mariette était grande et composée de trois blocs distincts peints en vert pâle. Celui du centre était le plus haut et s'élevait sur cinq étages. Les deux autres n'étaient que sur trois et deux. Autour de cette demeure, se tenait un grand jardin pour une maison se trouvant en ville. De grands murs et arbres entouraient le terrain évitant les intrus, mais aussi plongeant le domaine dans un cocon isolé et serein.
Ils sortirent du véhicule sur une placette de graviers blanc qui reflétait le soleil à son zénith. Devant la grande porte du corps principal, en haut de quelques marches, se tenait une vielle femme au dos courbé par les ans. À sa droite, un homme dans la trentaine tenait un bébé dans les bras.

Ils eurent à peine le temps de poser le pied à terre qu'Anne Prenell, la femme de Gustave sorti en trombe de la maison. Elle était le portrait craché de sa fille, mais était cependant plus grande et plus ronde. Ses cheveux étaient remontés en un chignon tressé ne laissant échapper aucun de ses cheveux gris. C'était une belle femme, mais le pli strict barrant son front la dépeignait comme quelqu'un de sévère.

« Veuillez m'excuser Votre Altesse, je n'étais pas prête lors de votre arrivée... »

Elle semblait terriblement mal à l'aise de n'avoir pas été là à les attendre. Elle se tourna vers son mari et le réprimanda de ne pas avoir fait venir de messager avant de partir de la gare.

« Ce n'est rien Anne, dit Sérim un sourire aux lèvres. Je m'excuse de n'avoir moi-même pas pensé à vous faire parvenir la nouvelle de notre arrivée proche.

— Oh, mais ce n'est pas à vous de le faire Votre Majesté !

— Voyons Anne, appelez-moi simplement Sérim, comme votre mari, depuis le temps que nous nous connaissons. »

La femme rougit et réajusta sa jupe.
Hyeongjun se rendit alors compte que Mariette n'était plus derrière lui, mais qu'elle se hâtait vers les escaliers pour voir l'enfant. Il sentait son allégresse teinter les mailles d'Elkiris et cela le fit sourire. L'enfant avait clairement moins de deux ans et elle le rencontrait pour la première fois.

« Qui est-ce ? lui demanda-t-il via l'éther.

Mon neveux ! Il est adorable ! »

Le sourire de Hyeongjun s'élargit plus encore, alors que Gustave le regardait du coin de l'œil.

« Vous possédez l'Éther ? »

Hyeongjun sursauta à la question, ne s'attendant pas à ce qu'on lui parle. Il avait réussi à passer relativement inaperçu jusqu'ici. Il regarda qui lui parlait. Anne n'était plus là, elle avait rejoint sa fille et Seongmin, qui étrangement, paraissait plus détendu. Allen aidait le cochet à sortir les bagages. Sérim et Gustave le regardaient.

« Non, dit Sérim de bout en blanc. Comme je vous l'ai déjà dit lors de notre correspondance, personne ne sait réellement quelle est l'origine de ses pouvoirs. La directrice affirme qu'il s'agit de la magie de Bropis, mais je ne préfère pas m'avancer. »

Hyeongjun prit sur lui pour ne pas couper la parole du Prince. Mais cela lui coûta.

« Pour être tout à fait honnête, dit-il, je pense en effet être doué de l'éther, une forme légèrement différente de la vôtre, mais bel et bien l'éther. Comment auriez-vous pu le sentir autrement ? »

Hyeongjun jeta un rapide coup d'œil de défi au prince, mais ce dernier feignit de ne rien voir et continuait de sourire poliment.

« Il est vrai que je viens de sentir que vous parliez avec ma fille. Mais c'est seulement car je reconnais sa façon de tordre l'éther. »

Il sourit et son torse se bomba. Il était fier de sa fille, et il avait de quoi. Mariette était une prodige dans son domaine. Un peu extrême dans ses hypothèses parfois, mais n'était-ce pas là une marque de génie ?

« Je suis désolé d'aborder le sujet aussi abruptement, dit Sérim, mais nous avons que trop peu de temps et tant de choses à étudier. Quand pensez-vous que nous pourrons voir ces textes sur lesquels vos équipes travaillent ? »

Le visage de Gustave s'assombrit.

« J'ai une très mauvaise nouvelle à ce sujet. »

La tension de Sérim se percuta sur Hyeongjun telle une tornade d'appréhensions.

« Que se passe-t-il ? demanda le Prince.

— Il y a deux jours, quelqu'un s'est introduit dans la bibliothèque de recherches... Un meurtre a été commis et une grosse partie des documents a été volée... L'autre a été détruite. »

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