Sibylle (Chapitre 5)

— Carlys ! Tu me passes un sandwich ?...

-Ah non ! Tu m'as dit que tu n'avais pas faim, je suis parti du principe que tu me donnais le tien.

Sibylle leva les yeux au ciel en souriant, tandis que les autres jeunes s'esclaffaient. Si leur rapport en avait intrigué plus d'un au départ, ils étaient habitués maintenant et s'amusaient autant qu'elle des bêtises de Carlys.

Ils étaient assis en cercle devant l'une des grandes tentes de dix personnes. Pour le déjeuner l'équipe eriquienne qui s'occupait d'eux leur avait distribué des pique-niques et dans la semaine seraient montées des machines permettant à partir de simples cachets de fabriquer des plats consistants.

En attendant les astrayens s'étaient réunis en petites équipes de dix personnes et ils avaient prévu d'attendre la première semaine avant d'envisager un quelconque projet, de façon à se donner un peu de temps pour récupérer du choc que cela faisait de se retrouver sur Astra même si personne n'en parlait.

Sibylle ne parvint pas à avoir son sandwich mais Carlys accepta de lui donner en échange un gros muffin au chocolat reconstitué, ce qui lui allait tout aussi bien.

Elle était en train de le grignoter sans enthousiasme -elle avait beau se forcer à manger à tous les repas, elle avait rarement très faim- lorsqu'elle jeta un regard au loin et fronça les sourcils.

-Dites, vous avez vu ces nuages de poussière ? C'est la troisième fois que je les vois ce matin...

Carlys se contenta de prendre une nouvelle bouchée de son sandwich avec enthousiasme mais tous les autres jeunes présents se retournèrent pour voir de quoi parlait la jeune femme.

Au loin se détachait en effet sur le ciel bleu un sombre panache de fumée, à l'opposé des restes d'Ivy, donc en face d'eux car par un accord tactique ils déjeunaient toujours sans regarder les décombres car c'était une vision que la plupart d'eux avait énormément de mal à supporter.

-Personne ne sait ce que c'est exactement.

Tous les jeunes présents tressaillirent, sauf Carlys que personne ne surprenait jamais. Sibylle se retourna pour dévisager l'un des gardes eriquiens, sans chercher à cacher son animosité.

-Personne ? Mais alors pourquoi n'avoir pas envoyé une équipe observer ce phénomène de plus près ? Vous n'étiez pas censé être ici pour des recherches justement ?

Carlys leva les yeux au ciel avec un petit sourire devant son ton agressif tandis que les autres jeunes se taisaient mais Sibylle ne se démonta pas et attendit la réponse de l'homme. Elle était en revanche heureuse que les journalistes soient repartis la veille, car elle n'était pas sûre que son agressivité lui aurait donné une bonne image.

-À vrai dire altesse... Nous en avons envoyé deux mais aucune d'elle n'est revenue.

Les yeux de l'homme brillaient méchamment et il arborait un sourire désagréable. Il ajouta :

-Mais peut-être que vous souhaiteriez y aller vous même ?

La jeune femme fronça les sourcils et dévisagea plus attentivement le garde aux sourcils broussailleux et au ventre bedonnant.

Elle murmura une question sur le ton d'une affirmation :

-Je crois que vous avez une théorie sur ces phénomènes...

L'homme laissa échapper un nouveau rire gras avant d'attraper une gourde à sa ceinture. Il sentait d'ici l'alcool et pendant un très bref instant Sibylle ressentit de la pitié pour lui, se demandant ce qu'il avait vécu pour en arriver là. Le soldat surprit son regard cependant et son sourire s'agrandit d'un air narquois après qu'il ait avalée une nouvelle rasade et la princesse perdit toute envie de le plaindre.

Il répondit après avoir reculé et lancé un regard méprisant à la dizaine de jeunes assis au sol, s'attardant plus particulièrement sur Sibylle à la fin de sa tirade :

-J'ai une théorie en effet... Mais tout le monde me croit fou chaque fois que j'en parle. J'ai arrêté du coup... Néanmoins, je suis prêt à vous en parler si les idées d'un homme du peuple comme moi peuvent intéresser une princesse... J'habite dans le quartier des eriquiens, la bicoque 3 si vous cherchez.

Il tournait déjà les talons lorsque Sibylle fit deux pas pour le rejoindre et l'interpeller :

-Attendez ! Je veux bien entendre votre théorie, maintenant...

Le soldat se contenta de hausser les épaules avant de jeter un coup d'œil aux autres astrayens toujours assis à terre qui les dévisageaient. Il ébaucha un odieux sourire laissant sentir une haleine désagréable avant de lâcher :

-Vos p'tits amis me prendront pour un dingue aussi je gage... Mais pas vous.

Sibylle ne bougea pas et ne fit pas un geste de recul lorsque l'homme redevint brusquement sérieux pour s'approcher d'elle d'un pas.

-Pourquoi serais je différente des autres ?

Le soldat appuya brusquement sa main sur son bras sans qu'elle s'y attende et la douleur qui déferla en elle fut assez insupportable pour vaincre ses résistances habituelles et la faire hurler. Carlys était déjà debout pour venir à son secours, ainsi que deux filles et un autre garçon, mais l'homme recula avec un sourire narquois.

-Pour cela altesse. J'ai connu une personne avec un ravageur... elle a tenu sept jours et c'était beaucoup. Vous, vous êtes toujours debout. Mais vous devez être totalement désespérée et prête à tout pour en terminer au plus vite...

En terminer au plus vite. Sibylle ne fit pas un geste signifiant qu'elle comprenait, mais un échange de regards suffit à l'homme pour voir qu'il avait raison. Elle voulait mener à bien tous ses rêves, et surtout le retour à Astra pour tout le monde... et ensuite enfin tout laisser tomber. Mourir.

Mais cela, c'était une pensée qu'elle ne pouvait pas partager avec ceux qui l'entouraient, elle n'était pas sure déjà d'apprécier la figure inquiète de Carlys, trop capable de parfaitement la comprendre sans qu'elle lui ait rien dit pourtant.

Le jeune homme demanda en désignant le garde :

-Tu es sûre de vouloir entendre ce qu'il a à dire ?

Sibylle ne quitta pas des yeux le soldat et inclina gravement la tête, sentant sans trop savoir pourquoi qu'il allait réussir à la surprendre. Celui-ci ne souriait plus et ses deux mains tenaient d'un geste soudain un peu nerveux sa flasque de vin.

-Eh bien puisque vous désirez m'entendre et que je suis assez soûl pour vous confier ma théorie... Je crois qu'il y a eu des survivants à Astra.

Une fille à la gauche de la princesse poussa un cri et pâlit considérablement avant de hurler avec colère et violence :

-C'est faux, c'est impossible, et vous le savez très bien ! Les acides ont détruits tout être humain et...

-Tttt... Qui parle d'humains ici ? Ne penses tu qu'à ta race ? N'est ce pas Astra qui était connue dans toute la galaxie pour ses créatures intelligentes ?

Sibylle n'était pas sûre encore de bien comprendre où l'homme voulait en venir. Elle fronça les sourcils, calma d'un regard la fille qui s'apprêtait à répliquer, fit signe aux autres de se taire avant de laisser Carlys demander :

-Vous pensez que les responsables de ces nuages de poussières et de la disparition de vos équipes de recherche sont des survivants d'Astra ? Quelles créatures intelligentes ? Les robots ?...

Le garde secoua la tête avant de porter sa gourde à sa bouche et d'en boire de nouveau une gorgée. Il croisa alors le regard de Sibylle et esquissa un sourire froid et cynique quand il eut fini de boire avant de lâcher en tournant les talons :

-Votre princesse a compris mon idée je crois bien... Elle est p't'être plus intelligente qu'il n'y paraît...

Lorsqu'il commença à s'éloigner, tous les jeunes présents se mirent à parler sans que Sibylle entende. Elle était ailleurs, perdue dans ses souvenirs, lorsqu'elle releva son regard vers Carlys silencieux en face d'elle.

Elle se dirigea vers lui, sans que personne ne fasse spécialement attention à eux, chacun cherchant à comprendre sans l'interroger car elle n'avait rien dit, et Sibylle put demander :

-Techniquement... Les dragons pourraient-ils avoir survécu ?

Quelles autres créatures intelligentes auraient eu la masse nécessaire pour déclencher de tels nuages de poussière ?

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