Rodolphe (Chapitre 7)
Rodolphe appuya sur une touche de son écran pour fermer la projection sur l'écran géant qu'il regardait en boucle depuis la matinée.
Toujours les mêmes inutiles commentaires, les mêmes images... Un satellite de surveillance avait filmé l'atterrissage catastrophique du vaisseau DREA et maintenant les journalistes se servaient de ces images comme support de tout ce qu'ils avaient à dire.
« La petite Cyndie, princesse de Sagan, est morte dans de mystérieuses conditions... »
« L'adorable enfant aux cheveux blonds et aux yeux larmoyants n'est plus à notre grand regret... »
« Les aînés de l'AM.Erica seraient-ils les responsables de cette incompréhensible tragédie ? »
Rodolphe n'en pouvait plus d'entendre cela et pourtant jusque là il n'avait pas pu résister et ne pas écouter. Il essayait de se contenir depuis le début de la matinée mais ses émotions l'emportèrent au moment où il éteignit la projection.
Il tomba violemment contre le sol, des poils commencèrent à recouvrir son corps à toutes vitesse, des griffes vinrent remplacer ses ongles et un instant plus tard ses vêtements volèrent en éclat, ne laissant qu'un gros loup à la fourrure argentée dans le bureau.
Rodolphe, sans se maîtriser, commença à griffer le sol d'un mouvement convulsif, une part sauvage de lui-même imaginant que c'était les journalistes qu'il venait d'entendre toute la matinée.
Cyndie pour tout le monde n'était qu'une traître ! Pour lui aussi d'ailleurs... Mais brusquement les astrayens se souvenaient de l'enfant seule, pleurant, des grands yeux trop vides... Lui comme les autres.
Et Sibylle ! Sibylle disparue du campement sur Astra, totalement injoignable... Que dirait-elle en apprenant la mort de sa petite cousine ? Rodolphe savait que si elle ne lui avait pas pardonné sa trahison, elle était toujours profondément attachée à l'enfant malgré tout ce qu'elle pouvait bien en dire.
Lui-même se souvenait de Cyndie comme d'une gamine effrayée, mais attachante. Avec son air bourru et ses manière manquant de gentillesse spontanée, il n'avait jamais réussi à totalement gagner sa confiance. Mais il aurait voulu la voir heureuse...
Le loup poussa un sourd grondement rauque et retroussa ses babines, dévoilant ses crocs. S'il ne supportait pas les journalistes qui ne songeaient qu'à faire de l'événementiel alors que lui même souffrait, il haïssait également James et Sandrine, les aînés de sa femme.
Etaient-ils vraiment coupables comme tout le monde semblait le penser ? Rodolphe avait conscience d'être trop fou de colère pour être en mesure de répondre avec objectivité à cette question.
— Rodolphe ?
Le loup se retourna d'un bond vif vers la porte mais ne bougea pas. Que son oncle veuille lui parler après lui avoir laissé toute la matinée pour récupérer n'avait rien d'étonnant... Il pouvait entrer, de toute façon le jeune homme n'avait pas verrouillé son bureau.
Il sentit une grande lassitude l'envahir lorsque le battant se débloqua de l'extérieur et que Saedor entra effectivement dans le bureau, suivi en revanche – ce que Rodolphe n'avait pas prévu et qui ne fit qu'attiser sa colère – de l'ancien roi au visage ravagé par le feu, Orys.
Ses babines se retroussèrent de nouveau instinctivement tandis qu'un grognement s'échappait de sa gorge et qu'il se braquait.
— Grrrrr...
Saedor paraissait avoir vieilli de dix ans mais, fidèle à lui-même, il ébaucha un sourire tranquille avant de refermer la porte et d'aller s'asseoir.
— J'étais certain de te trouver dans cet état Rodolphe. Bien que tu ne contrôle pas suffisamment tes gènes mutants...
Orys pour sa part alla se poster près de la fenêtre, le nez froncé et l'air révulsé. Il ne cachait à personne le fait que la forme non-humaine de l'empereur le révoltait.
— À votre place Majesté j'apprendrai à mieux me contrôler. Tout le monde n'a pas envie de prendre conscience d'être dirigé par une bête...
Rodolphe claqua des mâchoires pour toute réponse, ce qui ne fit pas même tressaillir Orys. Il fallait reconnaître à ce dernier qu'il avait du cran.
Saedor ouvrit un tiroir d'un meuble juste à côté de lui et en sortit de nouveaux vêtements disposés là par l'un des secrétaires. Ils avaient tous appris qu'avec leur empereur il fallait mieux être prévoyant.
Rodolphe passa derrière le bureau tandis que son oncle balançait les vêtements devant lui, et il se retransforma.
Le changement de peau fut plus difficile que d'ordinaire car il n'avait pas terminé de se défouler et l'envie de rester sous sa forme de mutant était toujours présente. Le jeune homme laissa échapper une grimace en commençant néanmoins de nouveau sous forme humaine à renfiler ses vêtements.
Un instant plus tard il sortait de derrière le bureau, vêtu d'un pantalon déjà, et attrapait le tee-shirt tombé à côté de lui avant de s'asseoir sur la table et de demander froidement :
— Je suppose que vous êtes venus me parler de ma cousine. Oncle Saedor, je pense que pour un tel sujet, amener votre ami, pardon mon conseiller, n'était pas nécessaire.
Sa voix débordait de fiel et ses yeux brillaient de rage. Son oncle ne daigna pas répondre, et Rodolphe sut que sa conduite ne lui plaisait pas.
Il aurait dû paraître plus calme, plus serein, plus « empereur » en un mot. Mais cela était au dessus des forces du jeune homme et Rodolphe se demanda tout à coup qu'elle aurait bien pu être sa réaction s'il n'avait pas appris la mort de Cyndie mais celle d'Aileen ou de Sibylle, les deux femmes qui se partageaient son cœur.
Mais il chassa bien vite cette angoissante question pour se relever lentement et faire quelques pas en direction d'Orys toujours debout près de la fenêtre. L'ancien roi lui tournait le dos et ne le regardait pas.
— Orys, votre fils et votre fille auraient-ils pu tuer l'enfant ?
— Adolescente à ce stade. Elle avait presque quinze ans.
Rodolphe perdit un peu de sa colère, devant la voix étrange de son interlocuteur. Qu'est-ce qui lui échappait ? Sans même s'en rendre compte, lorsqu'il reprit la parole son ton était considérablement radouci.
— Cela n'est pas important. Orys, James et Sandrine auraient ils pu faire cela ?
Quelques lourdes secondes de silence passèrent sous le regard fatigué et sombre de Saedor. Orys répondit enfin sans se retourner toujours :
— Non. Ça ne peut pas être eux les coupables... Parce que comme le démontre assez bien le dérapage de la situation, l'AM.Erica n'avait aucun intérêt à faire cela. Ensuite, tout simplement parce que ni l'un ni l'autre de mes aînés n'aurait eu le cran de tuer Cyndie. Si elle avait été un immense danger pour le pays, ce qu'elle était mais dans une moindre mesure, Aileen aurait peut-être pu le faire... Mais là encore ce n'est pas logique. Et puis, aucun de mes enfants ne l'aurait touchée en connaissant son secret, et je suis certain que James comme Sandrine étaient dans la confidence.
Rodolphe recula d'un pas, palissant tout à coup.
— Quel secret ? demanda t-il d'une voix atone.
Alors seulement Orys se retourna vers lui et son unique œil encore valide laissa percevoir toutes les larmes qu'il retenait.
— Cyndie était ma fille. Je l'ai sauvée deux fois du danger, d'abord sur Sagan puis en renonçant pour elle à ma couronne. Aileen connaissait cette histoire... Les autres aussi. Mes enfants sont ce qu'ils sont, Majesté, mais même Liam, le tyran de Mars, ne touchera jamais à un cheveux de quelqu'un de sa famille. Tenter de prendre la place que sa sœur occupe actuellement, je suis sûr qu'il y a déjà songé. Mais il la mettrait alors en prison, ne la tuerait pas. Ça ne change peut-être rien, mais il y a en vérité un monde de différence. Aucun de mes enfants n'est responsable de la mort de leur demi-sœur, j'en suis certain.
Rodolphe ferma les yeux, lentement, tentant d'enregistrer ce qu'il venait d'entendre. Cyndie, la fille d'Orys ! Pourquoi est-ce que cela ne le surprenait-il pas tellement ? Parce que tout correspondait alors, dont ces risques fous qu'avait pris l'ancien roi pour la sauver...
— Alors, la version donnée par Aileen doit être la vraie. Que Cyndie a elle-même détourné le vaisseau pour se poser à Sagan...
Ils étaient cousins par alliance en quelque sorte, même sans lien du sang. Cette révélation ne changeait rien pour lui, mais il comprenait que ce dangereux secret ait été gardé si longtemps... Aileen. Prononcer son prénom était toujours aussi douloureux, et à l'éclair qui avait brièvement illuminé les prunelles de son oncle, Rodolphe fut certain qu'il avait senti son émotion. Mais face à la mort d'une enfant, somme toute perdue dans une guerre où elle avait perdu sa place depuis longtemps, l'empereur songea que cela n'était qu'un détail. Il se tourna de nouveau vers Orys, affrontant son visage révulsant dû aux blessures.
— Cyndie connaissait-elle la vérité ?
Rodolphe vit le doute dans les yeux de l'homme et une sourde angoisse.
— Je le crois. Et j'ai l'impression qu'elle est morte en maudissant mon nom qui la séparait de Sagan...
L'empereur aurait pu rire de la souffrance de cet homme qu'il détestait mais il n'y parvenait pas. Tout cela ressemblait trop à ce qu'il partageait avec son fils... Si un jour Theobald mourrait, en plus en le détestant, comment réagirait il ? Tout son être se révoltait à cette seule idée et Rodolphe ne parvenait même pas à imaginer comment Orys pouvait toujours tenir debout avec ce poids sur son âme. Peut-être en se raccrochant à l'image de ses autres enfants en vie.
L'empereur reporta alors son regard sur le visage fatigué de son oncle et hésita avant de reprendre la parole. Lui aussi devait souffrir de la perte de sa nièce... La mère de Cyndie était sa sœur, au même titre que le père de Rodolphe et Sibylle était son frère.
— Qu'attendez-vous de moi tous les deux ? Vous êtes venus me voir dans un but précis... demanda enfin Rodolphe.
Orys et Saedor échangèrent un regard puis ce dernier se décida à répondre.
— Astra a toujours été réputé pour sa justice Rodolphe.
L'empereur le savait et y puisait un certain réconfort les jours où il ne savait plus pourquoi il se battait. Il voulut acquiescer mais Saedor ne lui en laissa même pas le temps et poursuivit :
— Nous nous sommes dit qu'il n'était pas normal que deux innocents qui avaient aimé et apprécié ta cousine soient condamné... Tu peux prendre leur défense. Si toi, tu soutiens Aileen, les charges qui pèsent contre eux ne tiendront pas longtemps. Cela peut paraître contraire au plan... mais e crois que ce geste publique de justice fragilisera encore plus l'AM.Erica qu'une condamnation de ta part.
Rodolphe se retourna alors vers Orys et fronça les sourcils.
— Vous m'avez dit que vous étiez venus à mes côtés pour racheter votre passé de roi. Qu'essayer-vous de faire à cet instant ? Me servir ou sauver deux de vos enfants ?
L'ancien roi ne se déroba pas mais répliqua avec un air de droiture étrange sur son visage ravagé.
— L'un n'empêche pas l'autre. Sandrine et James sont innocents et vous avez le pouvoir de les sauver. On m'a dit que l'empereur Rodolphe était juste... Si pour une fois je ne suis pas conseiller mais quémandeur, qu'y trouverez vous à redire ?
Rien. Parce qu'il y avait Theobald entre eux, et que l'image du petit garçon au joli sourire ne cessait de repasser devant le regard de Rodolphe. Quand il serait grand, l'empereur voulait que son fils puisse être fier de son père s'il connaissait un jour son identité.
Et il comprenait parfaitement ce que ressentait Orys à cet instant. Il venait de perdre l'un de ses enfants... et deux autres étaient en danger pour avoir tenté de l'aider. Rodolphe s'entendit répondre comme à travers un nuage, sans regarder ni son oncle ni l'ancien roi :
— J'irais à la première du procès demain. Je défendrais vos enfants, en mémoire de Cyndie, qui l'aurait voulu je suppose. Et parce que Astra sera un jour appelée la planète des Justes...
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