Caldion (Chapitre 5)

— Tu retournes à la maison, Shan ?

La zone 14 n'était pas trop éloignée de leur immeuble et son petit frère avait absolument tenu à l'accompagner jusqu'aux barbelés qui délimitaient l'endroit.

Le garçonnet s'agrippa à la jambe de son frère, ouvrant de grands yeux devant les autres adolescents qui s'avançaient vers l'unique porte contrôlant l'accès derrière les barbelés et Caldion dut le soulever dans ses bras pour lui dire "au revoir" et qu'il veuille bien ensuite détaler.

Le jeune homme regarda l'enfant disparaître au bout de la rue entre les bâtiments avec une pointe de presque nostalgie puis il se tourna résolument pour faire face à la fameuse zone 14 dont allait dépendre son avenir.

Un mur de grillages fermaient totalement la rue, n'étant ouvert qu'au niveau d'un portail bardé d'électronique que l'on ne pouvait franchir qu'un par un.

Une file d'une centaine de jeunes majoritairement s'avançaient lentement et l'on entendait les "bip" réguliers des appareils validant les entrées.

Caldion prit place derrière un garçon roux de son âge et il ne s'était pas écoulé plus de dix minutes qu'ils arrivaient déjà à la porte.

Bientôt il ne resta plus que son voisin et une fille entre lui et l'autre côté des barbelés. Au passage de l'adolescente il y eut pourtant visiblement un problème.

Le garde qui braquait sur elle son capteur secoua la tête négativement, sans que l'habituel petit "bip" eut été entendu, et il grogna :

— Dégage, tu t'es déjà présentée la semaine dernière.

— Non ! Non attendez monsieur, vous n'avez pas compris, vous ne m'avez pas bien examinée, je peux aller aux dômes, je veux faire partie de la société de là-bas... Attendez !

Mais le garde avait simplement fait un signe de tête à deux autres hommes en uniforme et ils s'emparèrent de l'adolescente pour la repousser quelques mètres plus loin brutalement sous les regards effarés de toute la file. Caldion ne se rendit pas tout de suite compte que c'était à son tour d'avancer avant que quelqu'un le pousse d'une bourrade dure dans le dos.

Le soldat braqua sur lui son capteur, et le jeune homme sentit son souffle s'arrêter dans sa poitrine.

Mais le petit "bip" rassurant retentit en effet et une lueur verte envahit le petit appareil blanc que l'homme tenait en main, le faisant lâcher d'une voix neutre :

— C'est bon, passe...

Caldion n'arrivait pas à se décider, entendant toujours derrière lui la fille pleurer, recroquevillée sur le sol.

— Pour elle, vous pourriez peut-être simplement...

Il déglutit devant le regard soudain inquisiteur du soldat, froid, qui demanda :

— Nous pourrions quoi ?...

Caldion termina d'une voix terriblement hésitante :

— Lui donner une seconde chance.

— Ça ne marche pas comme ça ici. Dépêche-toi d'avancer ou c'est ton tour que je lui file, à moins que je ne te raye simplement des listes.

Le jeune homme ne répondit plus rien et baissa la tête avant d'avancer sans plus rien dire, mortifié et glacé à la simple idée que l'on puisse lui supprimer cette chance qu'il attendait depuis plus de deux ans.

Derrière les barbelés opaques à cause du mur qui disparaissait dessous se trouvait une grande cour uniforme carrée et Caldion s'aperçut que tous ceux qui avaient déjà passé le barrage s'était mis en ligne à différents intervalles. Le jeune homme ne posa pas de question et se mit en place comme les autres.

Il se passa bien une heure avant que toute l'immense cour carrée soit ainsi occupée de files de jeunes et que la porte d'accès soit refermée derrière eux.

D'après les récits que Caldion adorait écouter de la part de ceux qui étaient déjà venu se présenter mais avaient été refusé, l'analyse de chaque individu se faisait ensuite en quelques minutes par des personnes qualifiées venues du dôme.

Le jeune homme n'eut pas à attendre beaucoup plus longtemps, et heureusement pour lui car il commençait à trouver extrêmement fatiguant de rester ainsi en place sans bouger debout.

Une dizaines d'adultes de vingt à trente ans sortirent du bâtiment qui leur faisaient face, tous habillés de la même manière, c'est à dire en blanc de la tête au pied, avec un haut vert pâle, queue de cheval pour les filles et cheveux très courts pour les garçons. Ils avaient tous à la main un appareil plus perfectionné que ceux qui avaient servi à scanner leur puces et Caldion sentit de nouveau son rythme cardiaque s'emballer.

C'était du verdict de ces machines qu'allait dépendre son sort.

Les contrôleurs des dômes commencèrent à se répartir les rangées et, dans un lourd silence, s'approchèrent des premiers individus pour les scanner et les observer.

Pour veiller à limiter tout débordement -Turrand restait effectivement une ville dont une grande partie des habitants était contre le gouvernement du prince Liam- une vingtaine de soldats lourdement armés se tenaient postés le long des murs tout autour d'eux.

Le soleil chaud de Mars commençait à se lever et Caldion sentait sa gorge se dessécher en même temps que son appréhension allait croissant. Pour le moment, aucun des jeunes examinés n'avait été sélectionné.

Mais une fille en uniforme s'arrêta, une rangée devant le jeune homme, scanner braqué sur un garçon de son âge.

Elle cria soudain d'une voix neutre et presque mécanique :

— Résultat positif. Intégration dans le dispositif d'accueil des dômes.

Jamais Caldion ne s'était sentit aussi découragé, triste, empli d'un sentiment aussi amer. Ce garçon totalement inconnu de lui venait de lui voler sa seule chance de réussir. Il avait envie de partir, de tourner les talons déjà même s'il savait n'en avoir pas le droit, malade à l'idée que ce soir dans la ville la nouvelle qu'un adolescent de Turrand avait été choisis circulerait partout.

Caldion s'efforça de se consoler en repensant à son petit frère Shan, à Glycine et à ses parents. Mais c'était peine perdue et il n'arrivait pas à lutter contre sa sensation d'échec...

Visiblement vu l'agitation qui s'était répandue dans tous les rangs et les regards noirs qui suivaient le garçon qui quittait sa file pour rejoindre les gardes, il n'était pas le seul à partager son état d'esprit.

Mais deux porteurs de scanners crièrent pour ramener le calme :

— Arrêtez tous de vous agiter comme ça et laissez-nous terminer l'inspection !...

Tout le monde savait que les envoyés des dômes devaient toujours être obéi et que les gardes pouvaient avoir la gâchette facile. Le silence, tendu, revint, tandis que les regards continuaient de converger vers le chanceux qui avait été pris.

Caldion l'examina sans objectivité, ne comprenant pas comment un physique aussi banal, cheveux blonds, yeux bruns, taille dans la moyenne, et une intelligence qui ne se voyait pas spécialement dans son regard, avait pu faire de lui le candidat idéal.

Il en était là de ses ruminations lorsqu'il sursauta, entendant juste à sa gauche un garçon en uniforme lâcher en direction de sa voisine dans la file :

— Résultat négatif. Recalée.

L'adolescente laissa échapper un tremblement mais, après l'acceptation du garçon, personne ne s'attendait plus à être pris et elle contrôla son émotion.

L'analyseur fit alors un pas et se retrouva face à Caldion. Le jeune homme avait imaginé dix fois ce moment et il s'était attendu à tout sauf à quelque chose d'aussi... Banal.

Le garçon se contenta de braquer sur lui son analyseur mais, au moment où il s'apprêtait à prendre la parole pour annoncer un verdict que Caldion connaissait évidemment déjà, il fronça les sourcils.

Il parut hésiter, longuement, regardant l'écran devant lui puis le visage du jeune demandeur.

Enfin la réponse tomba dans un silence de mort tandis que tous les regards proches s'étaient tournés vers eux :

— Résultat positif. Intégration dans le dispositif d'accueil des dômes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top