Caldion (Chapitre 10)

—... Comme vous pouvez le constater, la gare est imbriquée dans la ville et pour gagner le centre nous n'avons qu'à rejoindre l'un des couloirs avec les salles de transfert. Veillez me suivre.

Zalia. C'était le nom de leur guide insupportable qui ne cessait de jeter à Caldion des regards condescendants.

Mais cela n'empêcha pas le jeune homme d'écouter religieusement tout ce qu'elle disait en même temps qu'il regardait tout autour de lui depuis qu'il était descendu sur le quai.

Le train était contenu dans un gigantesque tube de verre qui comprenait aussi les trottoirs pour la petite foule qui se pressait partout et des cabines ovales circulant sur des fluides magnétiques bleutés permettaient d'amener les passagers aux salles de transfert situées dans un long couloir parallèle au tube.

C'était là que venaient d'arriver Caldion et Serge, pressés de toute part par la foule mais un sourire béât au visage, tout en jouant des coudes pour ne surtout pas perdre leur guide.

— Le centre ! Serge elle nous emmène vers le centre ! Et si on allait habiter dans la tour du prince ? C'est là que vivent toutes les célébrités...

Mais ce sujet n'intéressait visiblement pas son ami qui se contenta de lever les yeux au ciel avec un sourire comme si Caldion n'était qu'un gamin trop excité.

Le jeune homme songea que c'était peut-être effectivement ce qu'il était mais cela lui était totalement égal pour le moment. Il avait simplement envie de profiter au maximum de tout ce qui s'offrait à ses yeux de son immense joie.

Les salles de transferts... Des carrés de lumière au sol précédés d'une file d'attente de gens pressés. À Turrand elles avaient été supprimées il y a à peine deux ans car elles étaient trop coûteuses en énergie et que celle fournie par les villes sous dômes ne suffisait pas.

Caldion, qui savait l'argent que coûtait l'énergie justement, point central de l'économie, était d'autant plus admiratif de la centaine de points de transfert présents dans l'immense couloir gris terne.

Il serait ainsi resté des heures à observer ce qui l'entourait si Zalia ne s'était pas retournée vers lui pour lui jeter un coup d'œil exaspéré en même temps que Serge le tirait par le bras en murmurant :

— Dépêche-toi, c'est notre tour !

Zalia passa son poignet devant un détecteur planté sur un piquet et le portillon permettant l'accès aux espaces de transfert s'ouvrit pour les laisser passer.

Caldion rejoignit rapidement les deux autres et, un instant plus tard, il avait à peine eu le temps de fermer les yeux qu'il les rouvrait sur une salle radicalement différente.

C'était un hall, immense, renvoyant une lumière presque aveuglante, décoré de doré partout et semblant monter jusqu'au ciel. Le jeune homme, malgré tous ses efforts, ne parvenait pas à apercevoir le plafond. Des escaliers couraient à tous les étages en cercle autour de la salle, et Caldion songea fugitivement qu'il était probablement au centre de Tertirus dans la tour même du prince.

Une foule dense se pressait ici aussi et il fallut de nouveau que Serge le tire de sa contemplation pour qu'il quitte la zone de transfert où il se trouvait toujours.

Zalia lui lança un regard noir puis leur fit signe à tous deux de nouveau de la suivre. Il prirent des escaliers cette fois-ci, qui tournaient toujours le long des murs, immense et couverts de luxueux tapis rouge de fabrique probablement saganaise et datant d'au moins une bonne cinquantaine d'année donc d'autant plus précieux.

Caldion heurta des dizaines de personnes tant il avait du mal à s'arracher à sa contemplation de tout ce qui l'entourait, des faux paysages renversants représentés par les écrans muraux (il faillit emprunter une porte qui n'existait pas en réalité) aux tableaux vieux comme le monde et affichés là par centaine comme s'ils ne valaient rien.

Pourtant, le jeune homme eut l'impression qu'il devait s'être écoulé un siècle lorsqu'ils franchirent une bonne demi-heure plus tard une porte métallique menant visiblement à des appartements privés comme il y en avait partout dans la tour du prince.

La recrutante ne tarda pas à les arrêter devant une porte, numéro 212, et elle se tourna vers Serge en lui demandant visiblement de tendre le poignet.

Il s'exécuta, et elle braqua sur lui un petit appareil qu'elle avait à la ceinture. Un instant après un petit "bip" se fit entendre et Zalia lâcha sans sourire :

— Accès débloqué à ton appartement privé. Tu es ingénieur du bâtiment comme tu le souhaitais et tu trouveras à l'intérieur sur ton écran mural toutes les indications nécessaires à ta journée de demain.

Le visage de Serge s'éclaira d'un immense sourire en même temps qu'il se tournait vers le scanner à la gauche de l'entrée pour y passer son poignet.

La porte coulissa aussitôt, révélant une superbe pièce à vivre de belles dimensions et occupée d'un mobilier dernier cri. Caldion posa une main sur son compagnon de voyage presque devenu un ami et prit la parole d'une voix franche :

— Bravo à toi et à bientôt si on se revoit !...

Serge acquiesça et lui serra amicalement la main avant de répondre joyeusement :

— Bien sûr, j'ai hâte de voir tout ce que tu feras dans FDR !

Caldion ne répondit que d'un nouveau sourire car Zalia venait de lui lancer un énième regard exaspéré, désirant visiblement qu'il abrège les adieux et la suive, ce que fit le jeune homme après un dernier salut à son ami qui pénétra dans son appartement avec un air de propriétaire.

Leur recrutante entraîna Caldion une bonne centaine d'étages plus haut, le faisant monter dans une capsule-ascenseur, et elle s'arrêta bientôt devant un nouvel ensemble d'appartement après avoir franchis la porte d'accès.

Le jeune homme sentit une appréhension sourde l'envahir. Ils avaient traversé des étages encore plus luxueux que celui de Serge, mais là où ils se trouvaient...

Passé la porte d'accès superbe uniquement sur sa façade extérieure, Caldion se tenait dans un petit couloir miteux où flottait une vague odeur désagréable de désinfectant et de peinture alors que visiblement aucun des murs sombres n'avait subit de ravalement frais.

— Heu...

Mais Zalia ne lui laissa pas le temps de trouver des mots à mettre sur sa pensée. Elle se dirigea vers le premier appartement à leur gauche, numéro 345 678, et lui demanda de tendre le poignet comme avec Serge quelques minutes plus tôt.

L'adolescent s'exécuta, incapable de réfléchir comme si l'on avait bloqué ses pensées, et il entendit à peine le petit "bip" de l'appareil.

La recrutante lâcha alors froidement avec presque pourtant une once de pitié dans ses yeux marrons :

— Appartement débloqué. Métier d'agent d'entretien, vous trouverez toutes les consignes sur... sur l'écran de votre poignet, vous n'en avez pas de mural.

Alors seulement, tachant de sortir de ce cauchemar, Caldion retrouva ses mots et cria presque :

— Attendez ! Il y a bien des robots pour le ménage ?

Zalia esquissa une légère moue dégoûtée.

— Oui, mais en nombre insuffisant. Vous devrez les programmer, mais aussi nettoyer vous même. Vous êtes une petite dizaine pour toute la tour donc vous ne manquerez pas de travail... Le gouvernement ne veut pas de robots intelligents dans ce domaine depuis qu'il y a eu une révolte. Donc... Bon courage, monsieur.

Et elle le planta là, laissant Caldion totalement sous le choc, fixant la porte miteuse, qui tenait à peine en place, de son tout nouvel appartement.

Puis, songeant amèrement à tous ses rêves brisés soudain et se rappelant de l'avertissement "aucune réclamation ne sera tolérée", il murmura encore sous le choc :

— Nettoyeur... Balayeur... Il... Il doit y avoir de l'avenir dans le métier.

Il éclata alors d'un rire dépourvu de toute joie, ironique envers lui-même, et s'écria, seul dans le couloir :

— Oh avec un peu de chance je finirais chef de service... des agents d'entretien !

Alors il passa son bras sous le détecteur. Sa porte s'ouvrit en grinçant abominablement et ce fut seulement à l'intérieur de son appartement qu'il se laissa s'écrouler au sol, se mordant violemment le poing pour tenter de retenir inutilement les larmes de rage et de désespoir qui roulaient sur ses joues.

Posée en évidence sur une couchette rouillée, visiblement figée en une position inconfortable, se trouvait une combinaison informe de travail, bleue électrique, et Caldion fut secoué d'une nouvelle vague de sanglots de colère et de dégoût irrépressible.

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