Aileen (Chapitre 4)
Les deux gardes venaient de laisser tomber James sans trop de ménagements dans un siège à suspenseurs et celui-ci laissa échapper une grimace tandis que Sandrine s'asseyait à côté de lui.
Les soldats firent mine de rester dans la pièce mais Aileen, debout près de la porte ouverte, leur fit un rapide signe de tête les invitant à sortir.
-Majesté, après ce qu'ils viennent de faire, il serait peut-être plus prudent que vous bénéficiez d'une protection...
James eut un air las lorsqu'il répliqua en ramenant avec sa main l'une de ses jambes devant lui :
-Mais combien de fois faudra-t-il vous expliquer que nous sommes innocents ? Bon sang je l'aimais moi cette gosse !
Sandrine ajouta en ayant l'air d'être ailleurs, plus pâle que d'habitude :
-En effet. C'est elle qui a failli nous tuer, pas l'inverse.
Aileen, restée jusque là silencieuse, sortit de son mutisme pour simplement désigner aux gardes d'un geste sec la porte ouverte. Celui aux yeux bleus parut à deux doigts d'insister mais l'autre lui fit signe de le suivre après s'être incliné devant la reine tout en restant visiblement de mauvaise humeur, farouchement contre le fait de la laisser seule avec ceux qu'il persistait à prendre pour des assassins.
Lorsqu'ils eurent quitté la pièce, Aileen appuya sur la commande manuelle de fermeture de la porte, la gorge toujours serrée d'une tristesse sourde, avant de s'adosser au battant une fois qu'elle eut entendu le léger déclic.
Elle avait auparavant renvoyé avec un sourire Theobald et son fils en avait visiblement été très soulagé. Il lui avait juste chuchoté qu'il n'en pouvait plus et allait se transformer sous sa peau de mutant... Une catastrophe de plus qu'Aileen tenait à éviter.
La jeune femme releva alors son regard sur son frère et sa sœur devenus silencieux et demanda d'une voix ou perçait sa tristesse :
-Alors ? Vous m'expliquez ?
Sandrine passa une main dans ses cheveux, comme Aileen avait tendance à le faire lorsqu'elle était nerveuse ou tendue, et ce fut James qui dû prendre la parole. James, dont elle n'osait même pas regarder les jambes qui ne fonctionnaient plus...
-Aily... Nous étions en route pour Figos et le pilote automatique était enclenché. Sandrine et moi dormions et Cyndie...
Il dû s'arrêter pour contenir ses larmes et Aileen croisa ses bras pour ne pas montrer le léger tremblement qui s'emparait d'elle. Son frère poursuivit, les yeux rivés sur le sol, d'un voix à peine audible.
-Cyndie a dévié la trajectoire du vaisseau à proximité de Sagan. Simplement, elle ignorait qu'il faut maintenant des navettes spéciales pour atterrir là-bas... L'appareil a commencé à être agité d'affreux soubresauts et je me suis réveillé, comme Sandrine. Elle est évidemment arrivé plus vite que moi au cockpit mais je les ai rejointes quelques minutes plus tard en fauteuil à propulseurs. Sandrine a tenté de corriger la trajectoire mais les commandes manuelles ne répondaient plus... Elle nous a alors hurlé de nous accrocher à quelque chose en prévision du choc lorsque nous heurterions la surface de Sagan. Je me suis laissé tombé à terre et j'ai agrippé à pleine main une barre de fer encastrée dans le mur. Simplement, quand je me suis retourné pour vérifier que Cyndie avait obéi, je l'ai vue au milieu de l'allée, immobile, sans réaction, avec simplement un étrange et doux sourire que je ne lui connaissais pas...
La voix du jeune homme se brisa dans sa gorge et Aileen sentit une pensée affreuse l'envahir. Cyndie aurait-elle réagit différemment si elle ne lui avait pas révélé quelques jours plus tôt sur un coup de tête la réalité de ses origines ? La jeune femme eut l'impression qu'un poison se répandait dans ses veines et elle faillit tomber sur le sol et dû se raccrocher au mur.
Ni James ni Sandrine ne s'aperçurent de son trouble et ce fut sa sœur aînée qui termina :
-Elle ne s'est pas accrochée... Et lorsque le vaisseau a heurté Sagan, elle a été projetée dans les airs. Elle est retombée après un choc sur le sol et s'est blessée grièvement. Le temps que j'arrive, elle lâchait un dernier mot en inspirant à fond l'air vicié et lourd de sa planète...
Aileen eut du mal à paraître calme lorsqu'elle demanda d'une voix atone :
-Quel était ce dernier mot ?
James esquissa l'ombre d'un nouveau sourire triste.
-Sagan bien sûr...
La jeune femme releva aussitôt les yeux, comme piquée au vif, et ne put plus contenir son angoisse.
-C'est à cause de moi ? Sandrine, James, c'est à cause de ce que je lui ait dit ? Sans moi, peut-être qu'elle n'aurait pas fait cela et...
Et peut-être qu'elle aurait toujours sa demi-sœur et pourrait tenter de la comprendre pour la première fois depuis qu'elle avait débarqué dans sa vie.
Sandrine se leva alors de son siège et la rejoignit près de la porte en quelques pas. Elle l'entoura dans ses bras d'une éteinte et pendant quelques secondes Aileen ne fut plus la reine mais juste une petite sœur ayant besoin d'être consolée. Son aînée sentait un curieux mélange de son habituel parfum de fleur d'oranger et de transpiration dû à la tension des dernières heures. Aileen éprouva comme un sentiment de vide lorsque la jeune femme recula et lâcha en la regardant droit dans les yeux :
-Ne te sens pas coupable, Cyndie aurait appris la vérité un jour ou l'autre de toute façon. Je comptais la lui révéler pour être honnête, pensant qu'elle serait heureuse de comprendre qu'elle avait encore une famille... Tu m'as devancée de peu, mais le résultat aurait été le même. Cyndie vivait pour Sagan, et nous avons été fou de la laisser seule dans le vaisseau face à sa planète perdue. Il n'y a pas de coupable dans cette histoire... Juste des regrets.
Aileen ne put qu'acquiescer, soulagée d'apprendre que Sandrine comptait révéler à Cyndie son secret mais en même temps amère vis à vis d'elle même. Si seulement elle avait tenté d'aimer l'enfant ! De s'y attacher... La situation aurait-elle été aujourd'hui différente ?
Sandrine retourna s'asseoir et James rompit alors le silence pour demander d'une voix sans timbre :
-Il va y avoir un procès ? Contre nous ?
Aileen eut l'impression d'être brutalement revenue dans le présent et son cœur s'alourdit un peu plus dans sa poitrine tandis qu'elle vrillait son regard dans celui de son aîné.
-En effet. Je vous défendrai de tout mon pouvoir mais...
James acheva en baissant de nouveau les yeux :
-... Tu n'es pas sûre que cela suffise.
Quelque chose dans la froideur soudaine du jeune homme ranima la colère d'Aileen contre lui et elle demanda soudain du même ton en faisant un pas en avant vers lui :
-Au fait, quel est le problème concernant tes jambes ?
James hésita quelques secondes et ce fut Sandrine qui répondit après un soupir.
-Allergie aux médicaments... ça a nécessité une intervention. Il ne voulait pas te donner ce soucis de plus...
Aileen eut envie de hurler, mais parvint à se contenir, en bonne reine qu'elle commençait à devenir. Elle pâli pourtant et ce fut sans un sourire qu'elle répliqua :
-C'est pour cela que vous n'êtes pas venu me dire adieu... quand donc cesserez vous de vouloir me protéger ? J'ai comme vous mes faiblesses et je les assume, mais j'ai besoin d'être certaine que vous allez bien et de le savoir dans le cas contraire pour pouvoir vous aider ou au moins croire que nous partageons quelque chose comme une vraie famille. James... Je suis désolée pour toi. Je suppose que... que ce doit être dur.
Le jeune homme laissa échapper un léger sourire, mais ses yeux ne riaient pas et restèrent tristes.
-Ça semble n'avoir aucune importance après la mort de Cyndie...
Personne ne répondit, Aileen encore moins que les autres. Son frère avait perdu ses jambes après l'attaque astrayenne menée par Rodolphe pour lui enlever son fils Theobald... Devait elle en vouloir à l'homme qu'elle aimait toujours ? Si elle le faisait, elle était sûre de devenir complètement folle...
La gorge serrée, elle se détourna donc sans reprendre la parole et activa l'ouverture de la porte. Sandrine fit un geste pour la suivre, souhaitant peut-être ajouter quelque chose, mais Aileen lâcha sans se retourner avant de sortir de la pièce :
-Au fait, je n'ai pas eu le choix. Vous êtes consignés dans cet appartement et n'avez pas le droit d'en sortir jusqu'à nouvel ordre.
Alors que la porte se refermait déjà derrière elle sous le regard choqué de Sandrine, elle eut le temps d'entendre son frère lâcher :
-Nous sommes prisonniers donc.
Aileen aurait tant aimé pouvoir leur affirmer que ce n'était pas le cas ! Mais en passant devant les deux soldats qui gardaient la porte, elle prit conscience une fois de plus qu'être reine ne signifiait malheureusement pas avoir tous les pouvoirs et faire ce que l'on voulait.
Le parlement accusait James et Sandrine d'assassinat, dans l'espoir de calmer les astrayens. Et Aileen n'avait aucune idée de la façon dont elle allait se débrouiller pour les sortir de là.
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