Aileen (Chapitre 3)
Que s'était-il passé ? Les équipes de secours envoyées par la station orbitale Vatican II venaient de fournir leur rapport concernant l'état de l'appareil : c'était un miracle qu'ils aient pu se poser mais a priori ce dernier n'avait aucune avarie avant d'être dirigé vers Sagan.
Qu'est ce qui les avaient pris d'aller dans cette direction avec un appareil non-adapté ? Aileen aurait peut-être pu se permettre de pleurer sa demi-sœur si elle n'avait été aussi submergée par la panique. Mais elle devait paraître forte et de toute urgence reprendre partout le contrôle, notamment en AM.Erica même où les astrayens n'étaient jamais autant passés pour des martyrs.
Elle n'avait personnellement aucun doute quant à l'innocence de son frère et de sa sœur dans la mort de Cyndie, même si Aileen ne comprenait pas encore complètement la situation.
Ils étaient tous les deux réellement attachés à l'adolescente frondeuse et par dessus tout, tenaient comme elle pour sacré la famille. Ni James ni Sandrine n'aurait touché à un cheveux de Cyndie en connaissant la nature des liens qui les unissait. Alors ?
-Maman... Ils vont bien oncle James et tante Sandrine ?
Son fils avait froid, debout à côté d'elle en haut du parvis des immenses escaliers extérieurs du palais d'AM.Erica mais elle avait tenu à ce qu'il l'accompagne avec quelques gardes pour attendre le retour de son frère et de sa sœur.
C'était maintenant une question de minutes pour qu'ils n'arrivent, car leur vaisseau avait décollé quelques jours auparavant déjà. Et Theobald avait un don pour calmer par sa seule présence une bonne partie de la foule composée majoritairement d'eriquiens en contrebas des escaliers.
Aileen resserra doucement sa main sur celle de l'enfant avant de se tourner vers lui avec un sourire tandis qu'il rabattait sur ses oreilles son capuchon. Il neigeait en effet quelques légers flocons depuis un instant, et la jeune femme voyait ses longs cheveux bruns se couvrir de fines gouttelettes d'eau sans pour autant se protéger. Elle avait toujours détesté la sensation d'une capuche ou qu'un garde lui tienne un parapluie.
-Ils vont bien normalement. C'était simplement un accident Théo, rien de plus.
-Mais Cyndie est morte.
L'enfant était très pâle en disant cela et elle le vit claquer des dents. De froid ou de peine ? Aileen n'aurait su le dire et elle regretta qu'ils ne soient pas seuls pour qu'elle puisse le serrer dans ses bras et l'inviter à se laisser aller, pour pouvoir le consoler. Theobald avait beau ne s'être jamais attaché à Cyndie qui ne lui avait témoigné aucune amitié particulière, il était suffisamment sensible pour être révolté par le sort qui venait brusquement de la frapper.
Aileen sa baissa devant lui pour être à sa hauteur, écarta d'un geste de la main quelques flocons de neige du haut de son pull, puis fit remonter jusqu'à son menton la fermeture de son manteau fourré.
-Je sais, chéri. J'aurais aimé qu'il en soit autrement moi aussi... répondit-elle d'une voix triste.
Quelqu'uns des gardes s'agitèrent autour d'elle mais la jeune femme les ignora en se relevant. Elle savait que la plupart d'entre eux ne l'avaient pas crue lorsqu'elle avait officiellement certifié que la mort de Cyndie n'était qu'un accident...
Elle sentit de nouveau la peine et la colère l'envahir et resserra autour d'elle d'un geste mécanique son manteau blanc, heureuse d'avoir opté dans la matinée pour des bottes fourrées plutôt que pour les talons que sa femme de chambre voulait absolument lui faire mettre pour recevoir un émissaire. Elle avait à peine écouté l'homme du reste... C'était la même chose chaque année. Il venait de la part d'une contrée de l'AM.Erica, pour réclamer leur indépendance. Les indépendantistes étaient extrêmement minoritaires et de toute façon Aileen détestait les raisons qu'ils invoquaient... Principalement que la population avait majoritairement la peau plus foncée dans ces régions... Alors qu'elle les jugeait aussi eriquiens que les autres.
Parfois Aileen avait envie de résoudre ce genre de problème inutile à la façon de son frère Liam, en envoyant l'individu dans une cellule au mieux, mais elle repensait alors à tout ce qui faisait d'elle ce qu'elle était : ses idéaux. Rien que pour cela elle se contentait de répondre non, consciente qu'elle entendrait la même demande l'année suivante de quelqu'un qui n'avait jamais réussi à se faire simplement élire représentant de Quarataz, la région en question, ne totalisant à chaque fois que des scores pitoyables de l'ordre de deux à trois pour cent des votants...
-Majesté, le vaisseau est en approche !
Aileen recula aussitôt instinctivement avec son fils, se mettant devant lui et levant les yeux vers le ciel.
L'appareil prêté par Vatican II pour le retour était une petite navette, véritable bijou technologique, capable de se déplacer dans l'espace mais aussi d'atterrir à la verticale sur un petit espace comme c'était ici le cas.
En regardant l'engin s'élever dans le ciel pour lentement redescendre en visant la plateforme devant eux, Aileen eut juste le temps de songer avec un sourire triste que Cyndie était peut-être enfin heureuse.
Elle avait personnellement donné son autorisation pour que l'adolescente soit enterrée sur la terre natale qui l'avait tuée... mais qu'elle avait voulu retrouver, car Aileen était au moins certaine d'une chose : cette idée folle de faire une halte sur Sagan ne pouvait venir que de leur demi-sœur.
Cela n'aidait pourtant pas à retenir cette sourde tristesse qu'elle n'aurait pas pensé être capable de ressentir pour Cyndie mais qui ne la quittait tout de même pas depuis qu'elle avait appris la nouvelle. Lorsque l'appareil termina enfin de se poser devant eux, Aileen devina en contrebas des grands escaliers plus qu'elle n'entendit les flashs des appareils des journalistes. Elle avait catégoriquement refusé qu'ils soient là pour l'accueil des aînés de la famille eriquienne, devinant que Sandrine comme James seraient totalement à bout à leur arrivée.
Lorsque la porte de l'appareil s'ouvrit quelques secondes plus tard -la main de Theobald serra un peu plus la sienne et le visage des gardes s'emplit de tension- la foule en contrebas commença à hurler des mots qu'Aileen ne pouvait pas distinguer mais dont elle comprenait très bien le sens : des injures à l'égard de Sandrine et James.
De fait, ce fut sa sœur qui fut la première à s'extirper de la navette. Pendant un très court instant, Aileen crut qu'elle n'allait pas reconnaître sa sœur. Celle-ci avait les traits pales et défaits et surtout sa tenue était sale et déchirée alors que la jeune femme mettait d'ordinaire un point d'honneur à être toujours parfaite.
Aileen ne réfléchit même pas et ouvrit instinctivement en grands les bras, lâchant la main de son enfant. Elle regretta quelques secondes plus tard son geste, certaine que Sandrine allait reculer, mais à sa grande surprise sa sœur vint se jeter dans ses bras en laissant sa tête tomber sur son épaule et en murmurant entre deux sanglots, craquant devant les gardes sans s'en soucier :
-Oh, Aileen, c'était affreux tu ne peux pas savoir !...
La reine n'avait pas l'habitude de voir l'armure de Sandrine disparaître et elle ne sut que dire. Pour toute réponse elle la serra plus fortement dans ses bras avant de finir par murmurer :
-Si... Si je crois que je peux comprendre. Essaie de repenser aux souvenirs heureux Sandrine...
La neige tombait un peu plus fortement maintenant et un fin manteau blanc couvrait le sol. Theobald laissa échapper un éternuement et deux gardes toussèrent sans pouvoir se contenir. En contrebas la foule était redevenue silencieuse et Aileen devina soudain que cette embrassade entre sœurs les avaient ému sans qu'ils s'y attendent.
La jeune femme n'eut pas le temps de plus y réfléchir que Sandrine reculait déjà, reprenant une partie de son empire sur elle-même, pour se tourner à son tour vers l'appareil avec un pâle sourire.
James en sortait... soutenu par deux gardes. Aileen poussa alors un cri d'horreur et de surprise et voulut courir vers lui mais glissa sur le marbre couvert de neige. Un garde s'avança presque aussitôt pour l'aider à se relever et la reine put rejoindre à pas plus lents son frère aîné pour lâcher d'une voix défaite, sans assimiler ce qu'elle voyait :
-James ! Que t'est-il arrivé ?
Lui aussi était méconnaissable et Aileen eut l'impression que le fantôme de Cyndie flottait entre eux, les séparant sans leur permettre de se comprendre. Son frère ébaucha pourtant un pâle sourire dépourvu de joie et répondit d'un ton las :
-Je t'expliquerai tout Aily... Mais à l'intérieur, qu'en dis tu ? Il y a trop de monde ici et il ne fait pas exactement... chaud.
Des mots lâchés d'un ton badin pour cacher sa peine. Aileen connaissait cette manière d'agir pour la partager. Elle ne répondit rien mais acquiesça simplement et les gardes firent avancer le jeune homme en le soutenant en direction des grandes portes de la salle du trône.
En bas, la foule s'était remise à huer les aînés d'Orys et Aileen fut prise d'une violente envie de vomir qu'elle eut du mal à contenir. Pourquoi jugeaient ils tous sans rien savoir, sans même se rendre compte de la peine qu'ils ressentaient pour leur demi-sœur ? Ah, parce qu'ils ne connaissaient pas ce détail évidemment... Faudrait-il le leur révéler ?
Aileen prit soudain conscience du fait que cette idée la révoltait... Cyndie aurait voulu mourir princesse de Sagan au moins dans l'esprit des gens et la reine avait envie de lui offrir ce dernier cadeau comme linceul.
Elle fit un geste aux pilote-prêtres de la navette sortis pour la saluer et ceux ci revinrent aux commandes de leur appareil. Un instant plus tard, celui ci décollait de nouveau dans le ciel poudreux et Aileen faisait demi-tour, rentrant à l'intérieur suivie de ses gardes sans un regard pour la foule hurlant toujours.
La neige serait plus efficace que tous ses ordres pour leur faire évacuer la place et elle n'avait pas le cœur à se battre, même verbalement, contre eux. Elle aurait eu envie pour une fois de se laisser aller mais Aileen afficha au contraire un sourire sur ses traits, cachant sa tristesse intérieure et soulevant dans ses bras son enfant au regard pour l'heure malheureux, sans qu'il comprenne pourtant l'étendue de leurs problèmes.
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