Sibylle (Chapitre 95)
Il était maintenant huit heures du matin et les derniers ténèbres de cette nuit de janvier s'écartaient pour laisser place à une matinée au ciel gris et à l'atmosphère pluvieuse.
Sibylle se tenait debout au centre du parc devant une immense statue de pierres sculptée sans avoir répondu à la question de ces camarades lui demandant si elle connaissait réellement Heather. Son attitude ne parlait-elle pas d'elle-même ?
Les deux jeunes gens se tenaient légèrement en retrait tandis qu'elle ne pouvait pour sa part encore relever la tête vers la statue mais restait les yeux fixés sur l'inscription dorée gravée sur le marbre de la pierre funéraire.
À Heather Quarant, morte au service de la cause en laquelle elle croyait.
L'AM.Erica n'avait probablement pas autorisé plus...
Ne pas pleurer. Sibylle sentit tout son corps se contracter dans l'effort qu'elle faisait pour ne pas laisser échapper une larme et elle se força à lentement relever les yeux vers la statue. Celle-là, visiblement, les eriquiens ne l'avaient pas contrôlée.
Car elle représentait bien fidèlement Heather. Mais l'image de la jeune fille avait été gardée dans la pierre telle qu'elle était morte : dans une attitude pour entraîner les autres, un gigantesque drapeau d'Astra sculpté dans ses moindres détails à la main. Le drapeau était en revanche dépourvu de tous symboles, sans doute censuré.
Son visage fin était tel que dans les souvenirs de Sibylle et la gorge de la jeune femme se serra encore plus lorsqu'elle ne put plus écarter cette pensée de son esprit : Heather était morte pour elle et son frère ce jour de la fuite sur les toits... Et elle ne l'avait même pas reconnue de loin ! N'avait même pas pu échanger avec elle un dernier mot...
Alors la princesse tomba à genoux sur le sable humide, malgré la douleur qui la soulageait presque de ses remords à cet instant, et releva lentement la main pour déposer parmi toutes les fleurs couvrant la tombe celle qu'elle avait apportée.
Un mince sourire éclaira ses traits contractés et elle se demanda un instant en s'obligeant à toujours retenir les larmes qui menaçaient de la submerger à tout moment ce que son amie aurait pensé de l'honneur qui lui était fait d'avoir sa tombe au milieu du parc et une statue.
La seule chose qui aurait compté à ses yeux probablement aurait été le drapeau que tenait son effigie... Astra même s'il fallait deviner.
Une patrie valait-elle que l'on meurt pour elle ? Comment écarter cette pensée devant la détresse que Sibylle ressentait au plus profond d'elle-même ?
Astra n'était qu'une planète parmi les milliers du système et de la galaxie... Et une vengeance. Sibylle se releva lentement alors, les mains vides, les yeux rivés sur ceux de pierres d'Heather et elle se pencha pour déposer un baiser sur la joue de pierre de celle qui avait été son amie.
— Adieu. Je ne t'oublierai pas...
Peut-être qu'elle ne pourrait jamais se battre aveuglement pour une patrie sans question comme Rodolphe mais le mot de vengeance, lui, avait un sens.
L'un de ses gardiens, Yonne en l'occurrence, prit alors derrière elle la parole tandis qu'elle reculait d'un pas, le cœur au bord des lèvres :
— Maj... Je veux dire, mademoiselle, il faut que nous allions. Nous ne pouvons pas prendre le risque de rester trop longtemps ici.
Sibylle se retourna pour acquiescer et la jeune femme qui venait de parler commença à tourner les talons pour s'éloigner dans l'allée, visiblement tendue, ne faisant probablement pas confiance à la vieille femme de l'heure précédente, mais le garçon, Pierrick, resta immobile, les joues couvertes de larmes devant la statue et le regard brûlant.
Lorsque Sibylle arriva à son niveau elle lui posa une main sur l'épaule, calme, sans tenir compte de la brûlure qui se répandait dans ses veines par ce simple nouveau contact et murmura d'une voix douce :
— Je la connaissais et c'était une fille merveilleuse. Elle n'aurait pas aimé qu'on pleure mais qu'on organise la suite... Viens.
— C'était l'une des nôtres ! C'était une héroïne !
— Je le sais. Viens... nous leur apprendrons à tous à ne pas oublier son nom... Crois-moi.
Il releva alors son regard noir vers le sien et il acquiesça, avant de poser sa main sur l'épaule de la jeune femme et de répondre simplement :
— Merci...
Sibylle se dégagea un peu brusquement, la douleur devenant par trop insoutenable, puis s'engagea dans l'allée de sable pour rejoindre Yonne qui les attendait un peu plus loin.
Ni elle ni Pierrick ne se retournèrent vers la statue d'une femme à la tresse blonde brandissant un immense drapeau, figée pour l'éternité...
***
Sibylle avait regagné avec ses deux compagnons leur quartier général, c'est-à-dire le petit appartement miteux, et ils étaient tous trois réunis avec en plus Rodolphe et quatre autres jeunes autour d'une vieille table métallique.
Yonne prit calmement la parole, rompant le silence qui s'était installé entre eux et pointa le doigt vers la carte affichée par la vieille table, image incertaine et vacillant parfois à cause de l'ancienneté du matériel numérique.
— Pour partir de Graël nous ne pouvons certainement pas de nouveau risquer une bataille en plein air... Ni non plus emprunter un aéronef. Même en arrivant à en voler un, nous serions beaucoup trop facilement repérables. Ils nous restent comme unique solution les souterrains, le réseau d'abris nucléaires...
La jeune femme se redressa et ses yeux firent le tour de la table, s'attendant visiblement à voir une objection se peindre sur l'un des visages mais personne ne dit mot immédiatement. Sibylle lança un coup d'œil interrogateur à son frère mais celui-ci ne la regardait pas.
Depuis l'annonce stupéfiante d'Aileen à la télévision, il avait radicalement changé sans que la princesse parvienne à comprendre en quoi et pourquoi.
Qu'Aileen attende un enfant était une nouvelle sans grand intérêt... si ce n'est que cela ne devait pas plaire à tout le monde, cette histoire de liaison cachée avec son commandant. Pourquoi Rodolphe prenait-il cela tant à cœur ?
Et Sibylle, une fois de plus, senti un soupçon étrange l'envahir. Il avait été au palais après tout... pouvait-il avoir été amoureux de la reine ? Pouvait il jalouser cet homme ?
Mais non, c'était ridicule... Pourtant, devant le regard fixe de son frère et ses traits contractés, Sibylle n'arrivait pas tout à fait à ôter cette idée de son esprit. Et cela lui semblait tellement contre nature vu la haine qu'elle-même vouait à Aileen...
Mais soudain Rodolphe se tourna vers elle et lui adressa un petit sourire calme qui lui fit penser que ses soupçons étaient ridicules et il demanda :
— Qu'en penses tu petite sœur ? Les souterrains ?
Il fallut un instant à la jeune femme pour rassembler en un ordre cohérent ses pensées et lui répondre. Bizarrement, elle songea tout à coup que si Carlys avait été à ses côtés il aurait lancé l'une de ses stupides plaisanteries qui la faisait pourtant rire et Heather aurait secoué ses cheveux pâle en souriant... mais elle était morte et lui perdu quelque part dans les étoiles.
La gorge serrée, elle s'obligea à répondre d'une voix ferme :
— Nous n'avons pas le choix de toute façon. Mais il va falloir être extrêmement prudent car il y a encore des soldats qui circulent dans les abris et les gardent... Où irons-nous d'ailleurs ?
Pierrick haussa les épaules avant de jeter un regard de connivence à Rodolphe comme s'ils en avaient déjà discuté, ce qui ne dérangea pas Sibylle, habituée et d'accord avec l'idée que c'était lui l'empereur.
— Princesse, vous irez à Karassante. Une ville proche d'ici mais assez éloignée tout de même pour vous mettre en sécurité. Les enfants d'Astra de là-bas sont prévenus...
La jeune femme acquiesça avant de songer fugitivement que dans les prochaines années leur vie risquait de n'être qu'une longue suite de fuites et de courses-poursuites. Qui gagnerait ?
Aileen ? Ou eux ?...
En tout cas pour le moment elle pouvait se raccrocher à cette certitude : ils auraient une sécurité relative à Karassante.
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