Sibylle (Chapitre 9)
— Oh non, encore toi ?
La jeune fille leva les yeux au ciel en voyant arriver Carlys. Il sourit en s'immobilisant à côté d'elle et expliqua :
— J'ai demandé à aller dans le même lycée que toi. J'étais certain que tu serais absolument ravie...
Elle lui décocha un regard agacé mais garda le silence. Ils étaient dans un couloir sombre, attendant, lorsqu'une espèce de petite cabine apparut à un tournant à toute allure, pendue à un mince fil métallique au plafond, avant de s'immobiliser devant eux.
Carlys observa avec un rire grave tandis que Sibylle regardait avec inquiétude la petite cabine rouillée de partout dans laquelle elle devait monter :
— Pénurie de guerre encore... Voilà un drôle de moyen de transport...
La jeune fille haussa les épaules, grimpa à l'intérieur, bientôt suivie du garçon. Elle finit par demander dans la cabine encore immobile :
— Nous sommes les seuls à aller à ce lycée ?
— Non mais les autres doivent partir de points de départ différents. Et puis nous ne sommes effectivement pas très nombreux de l'orphelinat, il y avait peu de place d'après ce que notre directeur m'a dit.
— Tu l'as interrogé sur tout ça ?
— Oh, princesse, tu ne te souviens pas du plan ? Avant tout rechercher un maximum d'infos, ensuite être les meilleurs... Si facile. Mais j'aurais pensé que tu t'en préoccupais plus que moi...
Elle n'eut pas le temps de répondre à son sarcasme. Elle avait blêmi en l'entendant l'appeler "princesse" avant de comprendre qu'il se moquait simplement en riant sans rien savoir. Elle se contenta de lâcher d'un ton de nouveau calme tout en agrippant l'une des barre métallique de la cabine :
— Ne m'appelle pas comme ça. Et oui, je compte faire le maximum...
La cabine démarra alors tout à coup sans qu'ils s'y attendent et Carlys tomba sur Sibylle qui le repoussa d'un geste vif, l'envoyant contre l'autre vitre.
Elle n'eut pas le temps de s'interroger sur la "gravité" des possibles blessures qu'elle venait de lui infliger qu'il s'agrippait à l'autre barre tandis que la cabine tournait brusquement dans un angle du couloir souterrain sans aucune douceur.
Pas de doute, pénurie de guerre. Peut-être que les souterrains n'avaient pas que du bon finalement... Sibylle grimaça, retint un haut-le-cœur, tout en sentant de nouveau ses émotions s'emballer durant le trajet infernal.
Elle se contrôla pourtant et son corps ne réagit même pas lorsque la cabine s'arrêta brutalement dans un autre couloir tout aussi sombre, dont le sol n'était que des dalles irrégulière, éclairé par quelques néons clignotants, avant de tout à coup monter en ligne droite, lui soulevant de nouveau l'estomac au passage.
Sibylle n'aurait su dire combien de temps avait duré le trajet lorsque la cabine s'immobilisa enfin. À l'air libre, sur un trottoir au milieu d'une rangée d'autres trous dans le sol, d'autres cheminées infernales... Les passants n'y attachaient aucune importance, et la jeune fille se précipita pour sortir de l'habitacle de verre lorsque les portes s'ouvrirent. Elle s'immobilisa un pas plus loin et lâcha :
— Je ne monte plus jamais dans un engin pareil.
Carlys, pas plus décoiffé qu'à son arrivé, sortit mains dans les poches en sifflotant.
Sibylle le trouva suprêmement agaçant lorsqu'il lança d'un ton désinvolte :
— Vraiment ? Tu peux me rappeler comment on rentre déjà ?
— Mmm...
Il lui fallut néanmoins admettre que le garçon avait un bien meilleur sens de l'orientation qu'elle. Ce fut lui qui les guida pour traverser trois grandes avenues et circuler entre les tours identiques à celles de leur ancienne planète Astra.
Tout était en chantier, partout, et les gens qu'ils croisaient jetaient des coups d'œil fréquents au ciel, ne s'étant visiblement pas encore accoutumés à l'idée de la paix.
Sibylle en ressentit une amère satisfaction avant de se reprendre tandis qu'ils arrivaient en vue du lycée qu'ils étaient assignés à fréquenter. D'après Carlys, tous les lycées de cette planète étaient construits exactement sur le même modèle, ce qui amena la jeune fille à dire que les eriquiens, ou les habitants d'AM.Erica manquaient singulièrement d'originalité.
***
Le premier professeur de la journée était une femme de trente ans, qui n'arrêtait pas de jeter des regards plein de pitié aux six enfants d'Astra de la classe.
Sibylle trouvait cela exaspérant, et elle avait la sensation que Carlys à côté d'elle ressentait exactement la même chose.
Il lui demandait cependant toutes les deux minutes comme les quatre autres adolescents :
— Que dit-elle ?... Je n'ai pas compris là... Désolé mais pourrais-tu traduire...
Sibylle s'exécutait sans discuter. Elle profitait de sa chance de savoir parler la langue et ne voyait pas de problème à aider ceux de son pays.
La professeur d'ailleurs se tournait maintenant vers elle chaque fois qu'elle voulait s'adresser à l'un d'eux. Mais lorsqu'elle reprit la parole, ce fut bien à Sibylle qu'elle demanda, attirant ainsi l'attention de toute la classe :
— Mademoiselle, je fais partie de l'association « défendons la paix »... Vous savez, j'étais tellement contre cette guerre... Pourriez-vous témoigner de ce que vous avez vécu ?
Il y avait dans ses yeux une étincelle de curiosité mauvaise, d'envie d'apprendre une bonne histoire bien horrible qu'elle pourrait colporter.
Mais en plus de cela, il y avait une fierté stupide d'appartenir au groupe « défendons la paix ».
Ce fut cela que Sibylle ne put supporter. Elle se leva, en silence, sentant le poids de tous les regards sur elle. Seul celui de Carlys ne débordait pas de curiosité ou d'appréhension. Il semblait juste un peu ailleurs, comme s'il était perdu très loin, dans un rêve qu'il était seul à partager. La jeune fille prit la parole, dans la langue eriquienne :
— Madame... Je n'ai pas envie de témoigner.
Il y eut quelques soupirs de déception, les écrans allumés pour enregistrer disparurent des tables, et la professeur eut une moue désolée. Mais Sibylle continuait déjà :
— ... En revanche je tiens à vous dire ce que je pense du groupe "défendons la paix"...!
Ah oui. La si belle idée qui l'avait elle-même séduite quelques années plus tôt... Une association sans frontière, réunissant tous les partisans de la paix à travers les planètes... Jusqu'au jour où la façade dorée s'était écroulée. Sibylle poursuivait déjà d'une voix dure, les yeux secs :
— Votre groupe comme vous dites... Le monde entier sait ce qu'ils ont organisé il y a quatre ans !
La professeur changea de couleurs car elle venait de comprendre où la jeune fille voulait en venir.
— C'était pour la bonne cause et...
— C'était stupide ! Tous les dirigeants de la galaxie s'étaient réunis au milieu de la guerre pour discuter, c'était déjà un miracle, et "défendons la paix" s'est dit qu'en les supprimants tous ce jour-là... Ils se sont dit que la guerre serait terminée...
Sibylle ferma les yeux. Elle s'obligea néanmoins à terminer :
— L'empereur et l'impératrice d'Astra sont morts, les roi et reine de Sagan aussi, même le roi d'AM.Erica, qui a alors dû être remplacé par son fils qui venait de perdre sa femme dans l'attentat ! Et d'autres dirigeants encore... Tous réunis au nom de la paix ! C'est la faute de "défendons la paix" si nous sommes encore... si la guerre ne s'est terminée que maintenant.
La professeur la regarda bouche bée. Elle voulut répondre, ne trouva pas ses mots, et se contenta de dire :
— Euh... je... c'est...
Lorsqu'elle se rassit, Sibylle se surprit à jeter un coup d'œil à Carlys. Il murmura :
— Je n'ai pas tout compris. Mais je crois que j'ai saisi l'idée principale. Tu as du cran pour une fille qui ne rêve que de s'intégrer et de suivre le plan !...
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