Sibylle (Chapitre 74)
Sibylle n'avait jamais été aussi déboussolée. Elle était folle d'une joie encore presque irréelle d'avoir pu retrouver son frère et réussi à fuir le palais... mais Rodolphe semblait si triste sans qu'elle en comprenne la raison...
Avait-il compris le mal qui la rongeait et qu'elle s'efforçait de lui cacher sans tout à fait y parvenir ?
La jeune femme s'efforça de sortir de ses pensées agitées pour revenir à leur situation présente. Ils avaient pour l'heure fait halte dans une grande rue sombre où il n'y avait encore personne mais il était déjà neuf heures du matin... combien de temps avant que quelqu'un les retrouve ?
Et pourtant à la simple idée de devoir une nouvelle fois s'accrocher au cou de son frère sous sa forme de loup, de sentir l'affreuse douleur au moindre frottement... elle manquait s'en évanouir d'avance et dire à son sauveur qu'elle ne pouvait plus continuer. Elle ne parvenait que de justesse à se retenir.
Au contraire ce fut elle qui se tourna vers le jeune homme, toujours sous forme de loup, pour lâcher :
— On s'est reposé une heure. C'est déjà beaucoup trop... On repart ?...
L'animal qu'était Rodolphe semblait épuisé, à bout de souffle après leur course infernale dans l'immense capitale mais il prit sur lui pour incliner le museau et se rapprocher d'elle pour lui permettre de grimper sur son dos.
Elle regretta une nouvelle fois de ne pas avoir la force de se transformer elle aussi pour pouvoir courir à ses côtés plutôt que d'être une charge pour son frère.
Mais elle n'avait pas le choix... et elle savait qu'il n'accepterait jamais qu'ils se séparent alors qu'il aurait pu aller bien plus loin seul.
La jeune femme se releva et s'approcha en tremblant de l'échine du loup. À peine avait-elle posé sa main sur son échine que la douleur se retrouva multipliée une nouvelle fois dans des proportions intolérables.
Mais elle parvint au prix d'un effort surhumain à n'en laisser presque rien paraître et grimpa d'un geste qui se voulait ferme sur le dos de la bête.
— Allons-y...
Rodolphe acquiesça de nouveau d'un mouvement du museau puis s'élança dans la rue, rassemblant ses forces avant de bondir en avant. Sibylle s'agrippa à son cou, pleurant de douleur tout en étant soulagée de pouvoir lui cacher son visage.
La rue traversait un carrefour et l'une des plus grandes avenues d'AM.Erica. Il y avait évidemment des personnes présentes à cette heure et Rodolphe pila brusquement pour ne pas s'y engager.
Il fit demi-tour sans la concerter, elle était de toute façon d'accord, pour se diriger vers l'autre bout de la rue tout en évitant de revenir sur leurs pas par le chemin perpendiculaire qu'ils avaient emprunté.
Mais l'autre bout arrivait également à une trop grande avenue envahie déjà d'une foule matinale.
Alors profondément découragée Sibylle murmura à son frère qui s'immobilisait :
— On n'a pas le choix, il faut qu'on attende la nuit. Et qu'on reste cachés ici...
Le loup ne fit pas un geste pour signifier qu'il l'avait entendu mais un instant plus tard il faisait de nouveau demi-tour et ils s'arrêtaient tous deux dans un recoin sombre où brillait une porte digitale en mauvais état, visiblement peu utilisée.
Sibylle se laissa tomber à terre, retenant un cri, et elle vint s'asseoir en se rencognant dans l'ombre. Le loup vint s'installer près d'elle, s'allongeant sur le sol et déposant son museau entre ses pattes avant.
Ils restèrent ainsi immobiles et silencieux un temps qui leur parut à tous deux une éternité et ne furent tirés de leur apathie que par un appel des hauts-parleurs géants de la rue.
Sibylle se releva même lentement, prenant garde à ne pas se cogner au mur, pour s'avancer un peu sur le sol de dalles blanches pour ne rien perdre de l'appel.
— Alerte ! Alerte ! On recherche l'empereur d'Astra et sa sœur. Prière de communiquer tous vos renseignements au 324. Ils sont considérés comme hautement dangereux. Ce sont a priori tous les deux des mutants qui peuvent se métamorphoser en loup et vous trouverez leurs portraits affichés sur tous les écrans publicitaires. Nous attendons votre aide qui pourrait se révéler précieuse. Je répète...
Sibylle n'arrivait plus à avoir peur, même à l'écoute de ce message. Il lui semblait que de toute façon elle avait déjà touché le fond du gouffre et qu'elle n'était pas certaine de s'en sortir un jour...
Mais il y avait Rodolphe... Elle revint sur ses pas pour s'agenouiller devant le loup toujours allongé. Le fauve vrilla ses yeux d'or dans les siens sans montrer d'autre réaction.
Comment aurait-elle pu deviner que son frère ne pouvait penser qu'à une chose, que cet appel géant scellait sa séparation d'Aileen ? Et qu'il ne souhaitait pas se changer de nouveau en humain et montrer ses émotions...
— Rodolphe, ils connaissent tout de nos secrets maintenant...
Elle avança la main vers le loup et lui caressa les oreilles avec un sourire triste. Ignorant le feu qui se répandait dans ses veines, elle acheva sa pensée d'une voix brisée :
— Même si nous leur échappons... Les astrayens voudront-ils encore de nous ?
N'avaient-ils pas grandis en apprenant à considérer qu'ils étaient presque des monstres ? Ce rejet qu'elle redoutait était le dernier coup qu'elle n'était pas prête à subir.
Rodolphe ne fit pas un geste pour lui montrer qu'il avait entendu. Il se contenta de pousser un sourd grondement, dévoilant au passage ses impressionnantes canines :
— Grrr...
— Tu te souviens quand nous jouions sur la plage à Astra ? Avec le sable qui volait partout sous nos pas !
Une nouvelle fois, Sibylle avait besoin de s'accrocher au passé. Parfois lui venait quelques doutes sur le bien-fondé du plan et elle se demandait s'ils ne vivaient pas tous un mirage impossible...
Si elle ne vivait pas enfermée dans un passé qu'elle ne pourrait jamais faire renaître. Et cette idée était l'une de ses pires hantises. Sibylle ne voulait seulement pas imaginer que son monde était terminé pour toujours et appartenait à quelque chose de révolu.
Alors elle évoquait invariablement ses plus beaux souvenirs pour se dire que même si la bataille était perdue d'avance, ce qui était après tout peut-être le cas, elle valait le coup d'être jouée.
Elle en était là de ses songeries lorsque son frère parut se réveiller de son apathie et se redressa en un éclair pour bondir devant elle et former un barrage de son corps entre elle et la rue.
— Rodolphe ! Qu'y a-t-il ?
Elle les vit alors. Deux garçons de peut-être vingt ans, leur âge environ, qui les fixaient d'un regard indéfinissable juste en face d'eux à quelques mètres.
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