Sibylle (Chapitre 68)

— Sibylle...

Elle ne pouvait pas dormir et était assise sur le sol car elle ne tenait plus sur ses jambes, mais s'efforçait de ne surtout pas s'allonger pour ne pas encore augmenter l'effroyable douleur.

— Oncle Saedor ? Que voulez-vous me dire ?

Il vint vers elle, et s'agenouilla face à elle dans la même position pour souffrir le moins possible mais se reposer un minimum.

— Sib'... Demain ou dans les jours ils reprendront les interrogatoires.

— Non...!

Le cri avait jailli de sa gorge sans qu'elle réfléchisse et elle détourna les yeux avant de revenir à son oncle et de demander la gorge sèche :

— Que me proposez-vous ?

— De décider ce que tu vas faire.

— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Ce que je vais faire ?

Alors il plongea son regard gris et rassurant dans le sien et se contenta de poser une simple question.

— Vas-tu leur donner tous les renseignements qu'ils veulent savoir ou non ? Sibylle, ne réponds pas sans réfléchir. C'est une vraie réponse de ta part que je veux.

Elle resta un instant saisie par le ton sérieux de son oncle puis elle détourna les yeux pour lâcher enfin froidement au bout de quelques minutes :

— Je les hais. Pour tout ce qu'ils m'ont pris, nous ont pris. Jamais je ne leur donnerai ce qu'ils veulent.

— Alors...

Une larme roula sur la joue de Saedor et Sibylle sentit l'appréhension l'envahir un peu plus ainsi qu'un terrible désir de le rendre heureux et de pouvoir faire apparaître un sourire sur ses traits.

— Alors entraîne-toi, termina son oncle d'une voix sans appel. C'est ce que j'ai fais. Tu dois souffrir, maintenant.

Le régent d'Astra avança sa main jusqu'à l'arrêter à un centimètre du bras de Sibylle. Elle comprit en un éclair ce qu'il voulait faire et quelque chose comme une dernière supplique muette traversa ses yeux avant qu'elle ne se reprenne, ne cherche au fond de sa colère la force qui lui manquait pour incliner résolument la tête en signe d'accord.

Alors Saedor posa carrément sa main sur son bras et un instant après il serra ses doigts sur sa chair. La douleur fut encore pire qu'il y avait seulement quelques minutes.

— Nooooon !...

Mais son oncle ne la lâcha pas alors même qu'il pleurait en serrant son bras.

Ce ne fut que qu'un instant plus tard qui parut un siècle à la jeune femme qu'il la relâcha.

Elle s'écroula sur le sol, et immédiatement elle eut l'impression que des milliers de poignards la transperçaient de part en part mais elle ne bougea pas. Elle rouvrit les yeux et leva la tête vers son oncle.

— Ne me touchez plus.

— Sibylle je...

— Non vous ne comprenez pas, murmura-t-elle d'une voix douce en se redressant légèrement. Je ne vous en veux pas le moins du monde, pas à vous. Seulement quand vous serrez mon bras... vous souffrez autant que moi en même temps n'est-ce pas ?

— Ça n'a pas d'importance, cela...

— Ça en a pour moi mon oncle. Je ne vous laisserai pas vous faire de mal pour moi.

Et résolument ce fut avec ses propres mains qu'elle enserra ses jambes, provoquant de nouveau une douleur qui la rongea de l'intérieur avec la violence d'un feu que l'on ne peut jamais éteindre.

Tout en roulant sur le sol comme une damnée, couverte de sueur, elle trouva encore le courage de crier :

— Que peuvent-ils me faire d'autre... Sa... Saedor ?

Il la regarda d'un œil si triste qu'elle eut envie de nouveau de le consoler sans en avoir évidemment le pouvoir.

— Ils vont te dire qu'ils t'enlèveront l'appareil si tu parles.

Sibylle laissa échapper un hoquet et ses mains vinrent instinctivement s'agripper à son cou d'un geste désespéré.

— Mais ce n'est pas vrai... Oh, j'aurais tout donné pour que jamais ils ne te fassent subir cela... Sibylle, j'en ai acquis la certitude. Personne ne pourra jamais nous enlever cet appareil...

Non ! Non, cela ce n'était pas envisageable !

— Comment pouvez-vous le savoir ?

Elle avait conscience que sa voix avait pris un accent suppliant mais Saedor poursuivit de sa voix triste.

— J'ai entendu un garde le dire il y a longtemps.

Curieusement, la jeune femme n'en douta pas. Cela semblait le summum de la torture de savoir que plus jamais elle ne pourrait vivre heureuse, vivre comme les autres ! Mais sa rage, sa colère et sa haine augmentèrent encore dans son âme et elle s'efforça de serrer de nouveau ses jambes dans ses mains, tachant de surmonter la douleur.

— Je... ne... parlerai... pas !

— Il y a une dernière chose qu'ils pourront faire Sibylle. Mais je crois que tu comprendras l'ordre que je vais te donner...

La jeune femme se redressa pour tâcher de prêter une oreille attentive à son oncle, le cœur à l'envers et l'esprit embrumé toujours de fièvres.

Un ordre. Jamais dans ses plus vieux souvenirs son oncle ne lui en avait donné sans que la situation ne soit extrêmement grave. Aller dans les souterrains... Se ressaisir après la mort de ses parents pour Astra... Des images pleines de violence la traversèrent en un instant avant qu'elle ne se fasse violence pour demander :

— Que voulez-vous de moi oncle Saedor ?

— Ne cède rien pour moi. Ils ne nous ont pas mis ensemble pour rien dans la même cellule enfant... Comprends-tu ce que je veux dire ?

Il s'était approché d'elle et lui avait pris le menton dans sa main pour la forcer à le regarder. Étrangement le geste tout en la faisant souffrir était empli d'un tel amour filial qu'il apaisait un peu son âme tourmentée.

— Vous ne pouvez pas m'ordonner cela.

— Si. Ne sacrifie jamais ton frère ou le moindre des enfants d'Astra pour moi, d'accord ?

— Mais si vous deviez mourir, si...

— Sibylle.

Sa pression s'accentua sur son menton avant qu'il termine dans un chuchotement si bas qu'elle dû tendre l'oreille pour l'entendre.

— Ils ne peuvent plus rien me prendre si ce n'est vous deux, toi et ton frère. Et chacun des enfants d'Astra. Tu comprends cela ? Toi seule devrait saisir ce que j'essaie de te dire. Cela fait presque quatre ans que je survis chaque jour à ce poison qui me ronge de l'intérieur... Crois-tu que j'ai peur de mourir ? S'ils te font du chantage avec ma vie, jure-moi de ne rien dire quand même !

Sibylle pleurait. Les larmes se mêlaient à la sueur qui dégoulinaient sur son visage et dans son dos mais elle lâcha d'une voix qui ne semblait décidément pas être la sienne :

— Je le jure.

C'était une partie de son âme qui s'en allait avec ces quelques mots lui semblait-il. Mais Saedor eut alors un sourire, unique, et, l'espace d'un court instant tout fut oublié.

Les murs froids de la cellule, la douleur, il n'y avait plus que la joie d'avoir retrouvé ce parent si cher...

Elle se précipita dans ses bras et, tandis que des milliers d'aiguilles se plantaient dans leurs chairs par ce seul contact, elle lâchait :

— Oh ! Qu'est-ce que vous m'avez manqué !

Pour quelle raison ces mots sonnaient ils comme un adieu ?...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top