Sibylle (Chapitre 4)

Sibylle avança sans rien dire dans le bâtiment vers la cabine d'ascenseur qu'on lui désignait.

Elle y entra avec une dizaine d'autres enfants non retenu pour les adoptions et, quelques minutes plus tard, la cabine de verre descendait dans les profondeurs du bâtiment.

Tout était moderne, propre, et la tour devait suffire à accueillir au moins dix milles enfants de son genre. La cabine finit par s'arrêter à l'étage -871 et Sibylle fut la première à en sortir.

Les couloirs étaient lumineux, éclairés par des lampes électriques, et l'on n'avait heureusement pas l'impression d'être dans un souterrain, ce qui était pourtant le cas.

Le jeune homme qui lui avait parlé tout à l'heure rejoingnit Sibylle et grommela :

— Je n'aime pas l'idée d'être autant sous terre...

Sa camarade haussa les épaules. Elle avait visité bien des années plus tôt à l'échelle de sa vie les immenses villes souterraines de Sagan et maintenant l'idée de n'avoir pas le ciel juste au-dessus de sa tête ne la dérangeait pas.

— Quand il y a des bombardements, on est bien plus en sécurité ici.

— Mais la guerre est terminée avec nous comme perdants, tu te souviens ?

Carlys la fixa un instant du regard, avant de lui demander tout à coup :

— Qu'est-ce qui est marqué sur ton tatouage ?

Elle tressaillit, porta instinctivement la main à sa nuque, mais parvint à reprendre son ton calme pour répliquer :

— Rien qui te concerne.

Et elle le planta là pour rejoindre l'homme qui semblait diriger le groupe et qui venait de surgir d'une autre cabine de verre.

Il cria de son ton rauque :

— Les filles, couloir de gauche, les garçons à droite !

Sibylle se dirigea dans la direction désignée, non sans adresser au passage un petit sourire aux deux garçons qu'elle avait surveillés durant le trajet, et se retrouva bientôt à patienter dans une longue queue où des fille de tout âge attendaient.

Du reste, les ascenseurs ne cessaient d'amener de nouveaux venus, et le couloir ne désemplissait pas. La raison parvint très vite à Sibylle : deux guichets de fer barraient l'accès, avec deux femmes derrière, qui demandait à chacun son nom, son prénom, son âge, ses problèmes de santé...

La jeune fille n'avait pas à réfléchir. Il était prévu depuis longtemps, son faux patronyme. Aussi, lorsqu'elle arriva enfin à son tour devant l'une des deux femmes derrière une vitre, elle prononça calmement :

— Sibylle Frael, seize ans. Pas de problème de santé...

La femme, visage sévère, la contempla quelques secondes des pieds à la tête, puis une partie de la vitre coulissa et la secrétaire lui fit signe de passer son bras.

Non sans frissonner, tachant de maîtriser chacun de ses muscles, Sibylle s'exécuta. La femme lui injecta alors une micro puce électronique dans le poignet, et elle lâcha un "aïe" de surprise avant de reculer et de serrer son bras d'un mouvement mécanique.

La guichetière lui désignait déjà un portillon de fer qui s'ouvrait à sa gauche en disant :

— Vous avez accès aux salles communes, au réfectoire, à la bibliothèque, à votre dortoir, le numéro 210, centre 5. Ce sera tout.

Elle avait débité tout cela d'un trait sans y attacher d'importance tandis que Sibylle avançait dans le couloir et qu'une autre enfant la remplaçait devant le visage revêche.

Elle songea avec regret à tous les adoptés du jour. Eux ne découvraient pas comme nouvelle maison un orphelinat...

Elle poussa un soupir, se laissa guider par le flot des jeunes devant elle, jusqu'à arriver à un nouveau barrage. Devant le nouveau guichet, on lui demanda simplement de passer son bras sous un détecteur, puis deux pinces lui tendirent un paquet qu'elle prit d'une main calme.

— Vous avez droit à un écran que vous devez toujours avoir sur vous, deux tenues par semaine, une paire de chaussure, un sweat chaud, une brosse à dent, du dentifrice, le livre du Règlement Intérieur...

Tout cela dit encore une fois d'un ton tellement monocorde...

***

Sibylle laissa échapper un lourd soupir en s'asseyant sur l'une des six couchettes uniformément blanches du dortoir. Elle était la première visiblement et choisit de s'installer sur l'une du bas, car elle aimait la sensation d'avoir les pieds proches du sol.

Elle entreprit alors d'ouvrir le paquet de papier craft marron, un vieux papier remis au goût du jour par les pénuries de la guerre, issu de divers recyclages, et de découvrir une à une les maigres possessions qu'on lui octroyait.

Les deux tenues qu'elle découvrit étaient grises, composées d'un pantalon simple mais élégant, d'un tee-shirt sombre, et d'un sweat à capuche. Elles étaient en revanche rigoureusement identiques, même concernant les sous-vêtements, et un grand numéro s'étalait dans le dos du tee-shirt et du sweat.

Encore une fois, il faudrait bien s'en contenter.

Le dortoir était relié à une salle d'eau et elle attrapa d'un geste preste l'une des tenues avant de se diriger vers les douches.

Elle se déshabilla ensuite, jeta un coup d'œil à l'un des miroirs au passage, observant son dos sur lequel s'étalait l'immense tatouage, avant de se résoudre à passer sous l'un des jets d'eau chaude.

Elle se sentit alors se détendre, rit en sentant les gouttes d'eau s'étaler sur son corps, sur ses cheveux, et goûta le plaisir de se sentir propre en sortant ensuite et en se séchant rapidement à l'aide d'une des serviettes -celle étiquetée à son numéro-.

Elle se sentait mieux, mais en jetant ses vieilles guenilles dans le broyeur, elle fut prise d'un étrange sentiment de tristesse et de regret. Ils étaient les derniers représentants de sa vie d'avant...

Sibylle enfila ensuite rapidement sa tenue, avant de revenir dans le dortoir, pieds nus, pour enfiler les chaussettes et les tennis grises.

Ceci fait, elle s'assit sur sa couchette, posa sa tête dans ses bras, et se mit à réfléchir en fermant les yeux.

Ils avaient quittés Astra il y avait maintenant presqu'un mois. Oui, ça devait être cela, pile un mois.

Elle sentit comme à chaque fois qu'elle évoquait leur départ sa gorge se serrer. Tim avait été tué par l'un des gardes... Il n'avait pas pu contenir sa fureur en voyant les assassins de leurs parents.

Elle, elle était restée calme, le front ruisselant de sueur, parvenant de justesse à se maîtriser. Il fallait s'en tenir au plan, c'était tout, c'était tellement simple...

Son bracelet-écran qu'elle avait mis à son poignet d'un geste mécanique émit alors un petit bruit et s'alluma. Le visage flou d'une femme aux cheveux roux apparu et Sibylle dut écouter le message.

— Vous faites partie du centre 5 qui regroupe actuellement 200 adolescents ayant entre 15 et 18 ans. Sibylle Frael, vous êtes convoqué dans mon bureau pour que nous discutions un peu de votre avenir... Je viens de vous télécharger le plan du site, rejoignez-moi d'ici quelques minutes. Je suis votre directrice d'établissement, ou de centre si vous préférez.

Et l'image s'éteignit. Sibylle laissa échapper un juron tandis qu'un voyant lumineux clignotait sur sa boîte de réception. Bon, elle n'avait pas d'autre choix que d'y aller... Mais elle aurait nettement préféré se reposer un peu.

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