Sibylle (Chapitre 24)

Le loup marchait silencieusement derrière Carlys. Le jeune homme se retournait de temps en temps pour vérifier que l'animal le suivait et Sibylle sentait sa peur se muer en agacement.

Actuellement, elle n'était à priori pas en danger. Un gros chien venant de nulle part, et c'était tout... Mais bon sang, pour quelle raison le jeune homme lui attirait-il toujours des ennuis ?

S'ils avaient été seuls, elle se serait débrouillée pour faire comprendre à Carlys qui elle était. Malgré toutes ses manies agaçantes, et ses philosophes à la noix -il avait toujours son cher Voltaire à la main- elle le considérait comme un véritable ami même si ce n'était que maintenant qu'elle s'en rendait compte.

Il savait qu'elle était princesse et à sa connaissance il n'en avait rien dit à personne. En revanche comment réagirait-il s'il apprenait en plus qu'elle était un loup-garou ? Une affreuse mutante ?

Son cœur se remit à galoper dans sa poitrine et sa peur revint s'infiltrer dans chacune de ses veines tandis que Carlys passait son bras sous l'un des détecteurs devant l'une des portes.

Sibylle était obligée de le suivre... Elle n'avait aucune envie d'être pris en chasse par la moitié des élèves. Mais si seulement elle avait pu lui fausser compagnie seulement quelques minutes pour réussir à se retransformer ! Une minute... Il allait aussi falloir qu'elle se procure accessoirement des vêtements.

À cette idée, la jeune fille se sentit presque rougir, et elle était certaine que si elle n'avait pas été sous sa forme de loup cela aurait été le cas.

Mais, avant qu'elle ait eu le temps de plus réfléchir, la main de Carlys se posa sur son cou, l'entraînant en avant dans le bureau de celui qui devait être son directeur.

Elle suivit, sans savoir pourquoi, et lorsque la porte se referma derrière elle, elle fit défiler dans sa tête les milliers de conseils d'oncle Saedor. "Ne révèle jamais la vérité, ou le moins possible", "aies toujours confiance en toi", "n'oublie pas que tu es l'héritière de ton frère, c'est une position dangereuse par les temps qui courent..."

Aucun de ces conseils ne pouvait l'aider pour le moment. Elle aurait tellement aimé pourtant... Être avec oncle Saedor sous sa forme de loup était un jeu, ou avec Rodolphe, mais là maintenant elle sentait chacun des poils de sa fourrure se hérisser sur son échine, rendant encore plus visible le bleu électrique et la rendant plus impressionnante.

Carlys pour sa part s'était assis dans un fauteuil face à un homme d'apparence d'une quarantaine d'années -ce qui voulait sûrement dire qu'il était plus vieux, même si le prix des soins de beauté avait considérablement augmenté durant la guerre-.

Le bureau était une réplique masculine de celui de la directrice de Sibylle. À peu près les mêmes meubles, mais plus froid, moins chaleureux et des couleurs variant tout au plus du blanc au gris.

-Qu'a-t-il à gronder comme ça votre chien ?

Pour toute réponse Carlys commença à caresser le loup entre les deux oreilles dans l'espoir de le calmer et Sibylle se tut instantanément. Elle ne s'était pas rendue compte que par réflexe elle avait les babines retroussées et qu'un sourd grondement sortait de sa gorge.

Le jeune homme, pensant le "chien" calmé, retira sa main et se tourna vers le professeur avec son petit sourire.

-Excusez-moi monsieur mais je tiens à mettre les points sur les i. Cette imposante bestiole ne m'appartient absolument pas... Je l'ai juste trouvée dans le couloir près du bâtiment six...

-Peut-on savoir ce que tu faisais dehors à cette heure-ci ?

Il n'y avait aucun reproche particulier dans la voix du directeur mais plutôt un brin de lassitude. Sibylle pensa soudain qu'il avait déjà dû recevoir Carlys au moins plusieurs fois dans son bureau pour diverses bêtises...

-Je lisais Voltaire.

-Ce récit archaïque ? Tu y comprends quelque chose ?

Là il y avait dans sa voix une petite note admirative et le sourire amusé de Carlys s'agrandit sur ses lèvres.

-Pas tout. Mais j'ai un dictionnaire sur l'écran-livre pour les mots de trop vieux astrayen. Ou français la vieille langue...

Le directeur parut alors se rappeler le sujet de l'entretient et lança un bref coup d'œil à Sibylle qui se maudit une nouvelle fois d'avoir réussi à se mettre dans une telle situation.

Chacun des muscles de son corps de loup était tendu à l'extrême et, rendue très forte par tous les entraînements d'oncle Saedor, elle savait qu'elle aurait pu les mettre, Carlys et lui, tous deux hors de combat en quelques minutes. Mais en quoi cela l'aiderait-il ?

-Bon bref jeune homme. Je ne préfère pas savoir comment tu as fais pour obtenir les accès de nuit aux couloirs... Ni tout ce que tu as pu avoir d'autre. La seule chose qui m'intéresse là c'est ce que tu compte faire exactement de ton drôle de chien. Une sacrée manipulation génétique quand même... Un loup au poil noir et bleu ! Ce qu'on ne va pas inventer quand même pour nos animaleries...

-Il doit être précieux professeur. Un tel animal pendant la guerre... Il est probablement perdu. Vous ne pourriez pas chercher son propriétaire ?

Le directeur parut de nouveau lasse avant de répondre.

-A mon avis son propriétaire est mort tout simplement. Et depuis son chien erre dans la nature... On a eu pas mal de cas comme celui-ci.

-Que pouvons-nous en faire alors ?

Sibylle ne respirait plus depuis quelques minutes. Au départ elle avait trouvé agaçant qu'ils discutent presque du prix de sa fourrure, mais maintenant elle attendait avec une anxiété grandissante la réponse du directeur.

-Peut-être que le zoo de Graël le prendrait. Mais c'est peu probable... Non, je crois que nous n'avons qu'une solution, tuer cette bête. C'est malheureux mais en ce moment personne n'a de crédits à jeter par la fenêtre. Ni les moyens d'entretenir un animal pareil...

Il sortit alors d'un des tiroirs de son bureau une arme, un fin pistolet, et Sibylle sentit son cœur s'arrêter pendant quelques secondes. Un nouveau sourd grondement lui échappa tandis qu'une peur puissante et destructrice s'emparait de tout son être.

Maintenant ! Il voulait la tuer maintenant !

Sans en avoir conscience, elle se ramassa alors sur ses pattes, retrouvant l'instinct primitif du loup en elle, puis sauta d'une bonne détente jusqu'à l'homme sur lequel elle s'écroula, toutes griffes dehors...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top