Sibylle (Chapitre 2)
-Ils vont nous séparer, forcément et...
La jeune fille hésita un instant à compléter, puis acheva enfin dans un souffle en direction de son voisin :
-Je ne suis pas certaine d'être suffisamment forte, je ne vais pas y arriver, je...
Elle releva la tête et fixa pourtant résolument ses yeux dans ceux de son frère à sa droite. Il lui serra la main calmement, tandis que les premiers habitants d'AM.Erica commençaient à arriver et à s'approcher de l'immense file d'enfants dont ils faisaient tous deux partis.
Elle avait seize ans, lui dix-sept. Les cheveux de Sibylle étaient châtains, frisés et coupés courts, de manière à lui former comme un casque qui lui couvrait les oreilles et le haut de la nuque.
Lui avait les cheveux de la même couleur, légèrement longs, et ses yeux marrons brillaient d'une tension contenue lorsqu'il les posa sur sa sœur.
-Prends bien soin de toi... Quoi qu'il arrive, on se retrouve, n'est-ce pas ?
-Bien sûr. Tu arriveras à te maîtriser ?
Il blêmit, comme si elle avait mis le doigt sur sa crainte la plus secrète, mais il parvint à se contenir et répliqua :
-Et toi ?
Elle regarda ses mains, dépliant et repliant ses longs doigts, avant d'enfin hocher la tête :
-Je crois que je ne peux que l'espérer. Quand commencerons-nous les préparatifs ?
-Dans deux mois. On en a déjà discuté mille fois...
Il n'y avait aucune colère dans sa voix ni impatience, au contraire, il souriait à sa sœur qui le lui rendit. Elle expliqua alors :
-Je sais mais j'avais besoin de te l'entendre dire de nouveau.
Mais ils se turent rapidement tous deux en voyant s'approcher un vieil homme, qui n'avait visiblement pas tenu à s'assurer des soins d'esthétique, sans quoi il eut ressemblé à n'importe quel homme de quarante ans.
Il fixait d'un sourire grimaçant son frère et Sibylle sentit un froid désagréable l'envahir des pieds à la tête avant qu'elle ne parvienne à se ressaisir. Du reste, l'adulte demandait déjà :
-'Te plairait de porter mon nom jeune homme ?
Sibylle ne pipa mot tandis que son frère hochait la tête, acquiesçant ainsi. Un garde gris arriva, enregistra le fait, et avant qu'elle ait pu saisir la réalité de la situation, Rodolphe s'éloignait déjà derrière l'inconnu.
Il se retourna pourtant quelques mètres plus loin et leurs regards se croisèrent tandis que son cœur se déchirait en mille morceaux. Deux longs mois où ils seraient séparés... mais même après, comment le retrouver ?
Elle retint ses larmes, grimaça, avant de parvenir à se ressaisir et se redresser, nez dans le vent, inspirant au maximum de ses capacités.
Il faisait chaud, et le ciel était d'un bleu limpide. Sibylle ne sut combien de temps, d'heures passèrent, mais il se trouva bientôt beaucoup moins d'enfants dans la rue, et il lui sembla que les gens qui s'arrêtaient devant elle se faisaient de plus en plus rare.
Pourtant, un garçon de son âge ne tarda pas à démentir cette pensée en s'immobilisant à un mètre, la fixant avec une intensité gênante.
Elle parvint pourtant à ne rien dire, restant bien sagement à sa place, avant qu'il ne lâche froidement :
-Alors c'est ça les enfants d'Astra ?
Ne rien répondre. Se contrôler. Sa respiration s'accéléra pourtant nettement et elle sentit ses muscles commencer à changer, à se modifier, pour sa plus grande horreur.
Heureusement, Sibylle parvint à se contenir et son corps redevint en un instant plus normal que jamais. Le garçon n'avait rien remarqué.
Il était plutôt grand, les cheveux entre le blond et le roux, et il s'approcha encore d'un pas d'elle.
-Et moi, je peux t'adopter ?
Pour le coup elle recula, avant de grincer des dents.
-Ce n'est pas drôle.
-Oh, que si ! Mais c'est vrai que toi et les tiens, vous n'avez pas vraiment le sens de l'humour. Comment sont morts tes chers parents dis-moi ?
Elle ferma les yeux. Elle sentait une démangeaison terrible commencer à lui remonter le long du bras. Lorsqu'elle rouvrit les paupières, ce fut pour remarquer que ses ongles commençaient à changer de couleur.
Une nouvelle fois, elle parvint pourtant à garder le contrôle. Mais l'autre continuait, sans deviner la tension qui l'habitait :
-Alors ? Une balle entre les deux yeux ou pire ? De toute façon, ils n'ont eu que ce qu'ils méritaient... Des va-nu-pieds, des moins que rien... Comme vous... Alors, dis, tu l'as entendue crier ta mère ?
Alors, Sibylle oublia tout. Elle se précipita sur le jeune homme et ils roulèrent tous les deux à terre sur le sol poussiéreux, se donnant des coups de poings, criant.
La jeune fille ne put dire combien de temps dura leur escarmouche car ils furent vite séparés par deux gardes. L'inconnu cria :
-C'est elle ! Cette furie m'a attaquée lorsque j'ai dit qu'elle était une enfant d'Astra !
Sibylle n'eut pas le temps de dire que c'était faux, de se défendre. Déjà le garde qui la tenait l'entraînait vers un petit groupe d'enfants, la poussait vers un responsable, et lâchait :
-Pas d'adoption pour toi gamine !...
Elle trébucha, se rattrapa de justesse à une main secourable, un adolescent, avant de se redresser et de détourner les yeux tandis qu'on inscrivait son nom sur une liste, celle des indésirables. Elle retint de justesse de nouveau ses larmes, songeant qu'elle avait magistralement raté la première étape : réussir à s'intégrer.
Elle se mordit violemment la lèvre tandis qu'une pensée s'insinuait en elle. Elle n'avait peut-être pas réussi à être parfaite... mais elle avait au moins limité les dégâts. Elle ne s'était pas transformée...
Cela, personne ne devait l'apprendre. C'était un secret, et elle n'en partageait le poids qu'avec son frère... maudites mutations !
Un homme d'aspect maussade s'approcha alors d'elle et lui désigna deux gamins :
-Tu t'en charges en tant qu'aînée jusqu'à notre arrivée à l'orphelinat...
Sibylle les regarda, eut soudain pitié des deux enfants, et demanda :
-Qu'ont-ils fait ?
L'homme lui lança un regard mauvais avant de répondre.
-Tu apprendras vite qu'à moi on ne pose pas de question. Mais pour ta gouverne, ces deux-là ont refusé d'être séparés... Ils sont frères.
Aussitôt, un élan d'affection l'envahit pour ses deux protégés. Sibylle, malgré toutes ses inquiétudes, leur lança un sourire, tandis que l'homme s'éloignait et que l'adolescent entrevu tout à l'heure la rejoignait.
Il lui sourit, et demanda :
-Je m'appelle Carlys. Tu as fais quoi pour te retrouver ici ?
-Une bagarre.
Son œil s'alluma d'une lueur rieuse tandis qu'il murmurait :
-Tu as l'air de quelqu'un de calme et de gentil pourtant... Moi, c'est pour insulte à un citoyen d'AM.Erica.
Elle grimaça. Elle avait été provoquée, elle, et si elle n'avait pas eu si peur de ce qui pouvait arriver, elle se serait contenue. Elle trouvait stupide le jeune homme soudain pour sa légèreté. Elle souffla :
-Tu te souviens du plan ?
Il se rembrunit avant d'hocher la tête.
-Personne ne risque de l'oublier. Ils l'ont gravé sur notre peau, n'est-ce pas ?
Sibylle ne put alors s'empêcher de repenser, comme son interlocuteur, au tatouage qui leur ornait à tous le dos...
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