Sibylle (Chapitre 19)
Il faisait nuit dans le petit dortoir et tout le monde dormait, excepté Sibylle, son écran emprunté à la bibliothèque dans ses mains.
Il projetait une faible lueur bleutée, à peine suffisante pour lire, modifiable dans les réglages mais à laquelle la jeune fille ne voulait pas toucher, de peur de déranger les autres.
Cela faisait un bout de temps qu'elle lisait et relisait le titre sans se résoudre à cliquer dessus. Que pouvait-elle bien apprendre de nouveau ? Mais elle ne pouvait s'empêcher d'espérer contre toute attente.
Le prologue du document expliquait en quelques mots ce que Sibylle savait déjà parfaitement bien même si elle prit tout de même son temps pour le lire.
Mutation - effets des nouveaux rayonnements iadium
Ces nouveaux éléments chimiques et les ondes qu'ils dégagent apparurent au début du trente-deuxième siècle avec les premières bombes mH. Ces bombes furent pourtant rapidement abandonnées par la plupart des pays qui les créaient parce qu'il fut découvert quelques années plus tard des prototypes encore plus puissants... et qu'elles avaient un terrible effet. Elles entraînaient pour un temps d'exposition extrêmement court d'importantes mutations -en sachant que la bombe même, c'est à dire en caisse, non lancée, projetait déjà des radiations suffisantes presque impossible à contrôler. L'arme était donc dangereuse pour ses propres créateurs. Divers cas de mutations ont été observés et analysés dans ce livre, et c'est ce que nous souhaiterions étudier avec vous aujourd'hui.
Sibylle releva la tête dans le noir, puis revint à l'écran. Elle fit coulisser le sommaire avec son doigt avant de s'arrêter sur un chapitre. "Effets sur des mères attendant des enfants".
Elle cliqua sans réfléchir et se plongea cette fois-ci directement dans la lecture. Elle sauta les premiers passages, des détails qu'elle connaissait par cœur, mais s'arrêta vers le milieu du chapitre pour relire plus attentivement quelques lignes.
Les effets les plus étranges ont sans conteste été observés sur des femmes enceintes. Les enfants naissaient avec d'étrange particularités mais, à ma connaissance, aucun n'a survécu à ses mutations.
La jeune fille releva de nouveau la tête, cliqua sur l'écran pour l'éteindre, le mit à côté d'elle et laissa sa tête retomber contre la couchette.
Il y avait au moins un enfant qui avait survécu ainsi. Sa mère... et qui aurait cru que la mutation était transmissible ?
Sibylle grimaça dans le noir. Arriverait-elle à s'endormir aujourd'hui ? Au bout d'une heure elle ne se sentait toujours pas fatiguée et elle se décida à se laisser tomber sur le sol près de sa couchette. Alors qu'elle gagnait la porte sur la pointe des pieds pour ne pas faire de bruit, Heather demanda d'une voix ensommeillée derrière elle :
-Où vas-tu ?
Sibylle se retourna et esquissa un petit sourire calme avant de répondre :
-Juste me promener un peu pour trouver le sommeil.
Cela parut suffire amplement à Heather qui se rendormit presque aussitôt et la jeune princesse put s'éclipser sans autre remarque.
Elle ne savait pas exactement ce qu'elle comptait faire en marchant dans les couloirs... Même si une idée commençait à se faire jour dans son esprit. Cela faisait beaucoup trop longtemps qu'elle ne s'était pas transformée... Elle en avait besoin.
La jeune fille traversa plusieurs couloirs déserts, avant de s'arrêter dans l'un d'eux. Elle vérifia à plusieurs reprises qu'il était bien complètement vide, puis se dirigea vers un endroit non éclairé du couloir.
Là, elle ôta rapidement ses vêtements avant de fermer les yeux et de mobiliser son esprit.
Ça lui fit un bien fou de sentir de nouveau la métamorphose... Ses mains se transformèrent petit à petit en longues pattes griffues, sa tête s'allongea, ses yeux changèrent de couleur, une chaude fourrure la couvrit bientôt entièrement et, quelques minutes plus tard, il n'y avait plus qu'une louve dans le couloir.
Un gros animal, au poil brillant dans la faible clarté des néons.
Sa fourrure était noire sombre, mais, étrange détail, le bout des poils était d'un bleu électrique qui détonnait avec le reste.
Sibylle adorait cette forme d'elle-même lorsqu'elle ne la mettait pas en danger. Elle pouvait alors courir, vite, terriblement vite, même si elle atteignait des vitesses similaires sous sa forme humaine. Mais ce n'était pas pareil, pas les mêmes sensations...
Le loup frissonna de plaisir, releva ses babines comme pour sourire, avant de tout à coup démarrer une course à fond de train dans le couloir.
Sibylle ne pensait plus à rien. Elle humait les odeurs, enregistrait chaque détail, et courait, courait...
Elle ne sut bientôt plus du tout où elle était. Restant sous sa forme de fauve, elle commença alors à arpenter un à un les couloirs. Peine perdue.
En revanche, des heures plus tard, elle faillit rentrer dans un jeune homme assis sur le sol, une tablette à la main.
La première chose que le regard acéré du loup accrocha fut le titre bien visible sur l'écran tombé à terre. "Intégrale-Voltaire".
Il n'y avait qu'une personne pour lire ça... Et en effet lorsqu'elle releva la tête, Carlys la contemplait avec de grands yeux et il lâcha dans un souffle :
-Je... Je rêve ! Un loup !
Il se dressa d'un bond mais ne s'enfuit pas immédiatement. Il guettait les mouvements du fauve, cachant bien sa peur s'il en éprouvait une, et fit même mine de ramasser son précieux "Intégrale-Voltaire" avant de se raviser.
Pour sa part, Sibylle était absolument paniquée. Il fallait qu'elle s'enfuit, maintenant, mais...
-Ahhh c'est quoi ce truc ?
La voix avait retentit derrière elle et le loup se retourna d'un bond, babines retroussées.
-Grrrr...
Le garçon qui avait jaillit dans le couloir, un blondinet, rentra immédiatement à l'intérieur en refermant la porte non sans lâcher :
-Comment tu as fait Carlys pour te mettre encore dans des ennuis pareils ? Comment tu as eu ce... cet énorme chien ? Et cette couleur bizarre c'est vraiment d'un ridicule ! Les manip' génétiques n'étaient pas passées de modes ?
Loup-garou, pas chien, pensa Sibylle. Mais elle ne pouvait plus s'enfuir car d'autres étudiants commençaient à sortir dans le couloir. En clair, il devait être bien plus tard qu'elle ne le pensait... Le matin probablement.
Pour le coup elle paniqua mais à cet instant précis, Carlys posa une main sur son museau et elle fut si surprise qu'elle faillit la lui arracher d'un coup de dents.
Agenouillé maintenant à son niveau, lui souriait comme à son habitude. Il avait ramassé son Voltaire.
-C'est vrai ça... Un gros chien. Comment ai-je pu te prendre pour un loup ? Ridicule, l'espèce a disparu depuis des années...
Il haussa les épaules avant d'ajouter en lui gratouillant doucement les oreilles :
-Tu t'en fiches pas vrai vieux ? Dis donc qu'est-ce que tu fais ici ?
Un cercle d'adolescents s'était maintenant formé autour d'eux et Sibylle ne s'était jamais sentie aussi prise au piège. Jamais elle n'avait eu autant peur, d'autant qu'elle sentait l'émotion commencer à tenter de changer de nouveau son métabolisme... et pas question de se retransformer là comme ça devant tous.
Mais un bruit la fit soudain sursauter : un léger vrombissement au poignet de Carlys. Celui-ci lut à haute voix le message tandis que quelqu'un commentait à côté de lui :
-Les nouvelles vont vite dis donc !
-En effet... Je suis sensé me présenter là maintenant devant le directeur avec mon chien ? Heu, ça n'a jamais été le mien. Mais bon, après tout pourquoi pas, cela me promet un certain divertissement...
Le jeune homme se tourna ensuite vers le loup et Sibylle sentit son sang se glacer un peu plus dans ses veines tandis qu'il disait avec un sourire :
-Bon, allez viens. On va voir ce qu'en dit le directeur... Car je serais vraiment curieux de savoir d'où tu sors !
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