Rodolphe (Chapitre 79)
Les marches semblaient danser devant les yeux du prince mais il s'obstinait à poursuivre sa course, se raccrochant à ce que Thomas venait de lui révéler : que leur seule chance tenait dans le fait d'atteindre le toit vivant. Mais les paroles d'Andrei si proche d'eux commençaient à le hanter...
Une bataille rangée entre les soldats et des gamins ? Pour lui ?...
Non, comment pouvait-il seulement le permettre ? Alors pour quelle raison continuait-il mécaniquement sa course vers le haut ?
— Majesté, je... je n'en peux plus.
Rodolphe se retourna et tendit une main à Thomas pour l'entraîner avec lui. Il avait ralentit pour lui permettre de le suivre car sa constitution de mutant lui aurait permis d'aller bien plus vite mais il tenait à ce que le jeune homme le garde en vue.
Ils continuèrent ainsi leur course éperdue et montèrent de deux étages, Rodolphe ralentissant parfois encore plus pour aider son condisciple. Andrei continuait de l'interpeller mais il s'efforçait de ne pas l'écouter pour ne pas sentir ce goût amer au fond de sa bouche.
Il n'avait pas le choix, il devait poursuivre, les enfants d'Astra auraient ils compris qu'il refuse de sacrifier leur vie ? Au regard de Thomas quand il s'était retourné en arrière il avait deviné que ce dernier se ferait tuer plutôt que de le laisser se rendre.
Mais cela n'aidait en rien à soulager l'âme tourmentée de l'empereur qui sentait peser plus que jamais ce titre qu'il porterait pour toujours. Empereur d'Astra.
Un rayon de lumière du jour commença à éclairer l'escalier et Rodolphe s'efforça de revenir à l'instant présent, devinant que l'arrivée aux toits était proche.
S'il voulait tenter d'éviter l'affrontement à venir, c'était maintenant qu'il fallait s'y décider. Mais dans l'angoisse du moment et la peur animale qui lui rongeait les entrailles, Rodolphe n'eut pas le temps de plus y réfléchir que déjà il grimpait la dernière marche menant au grand jour... et au toit plat.
Droit devant lui couraient aussi vite qu'ils le pouvaient Maxime épuisé et Sibylle blessée dans la direction du toit suivant que rien ne séparait de celui-ci.
Rodolphe voulut faire une halte mais Thomas lui ordonna d'une voix rauque de fatigue :
— Continuez ! Courez ! On n'est pas arrivé jusqu'ici pour abandonner maintenant...
Alors le prince obéit sans même en avoir conscience. De part et d'autres se dressaient des jeunes gens portant tous le tatouage d'Astra visible sur leur nuque ainsi que le le haut de leurs bras et ils braquaient des armes en direction de l'ouverture que Rodolphe et son compagnon venaient de quitter.
— Je ne peux pas les laisser faire ça...
Il voulut crier "repli" mais une fille blonde lui lança :
— Fichez le camp d'ici au lieu de vouloir nous sauver Majesté ! On est près à mourir ici pour que vous vous en sortiez...
Et elle ramassa par terre quelque chose qui ressemblait à un énorme morceau de tissus et lorsqu'elle s'en saisit et qu'il se déploya dans le vent une émotion indescriptible s'empara de Rodolphe. Elle ajouta pour tous les autres tandis qu'il se remettait à courir dans la direction qu'on lui désignait :
— POUR ASTRA ET L'EMPEREUR !
Et le drapeau, superbe, aux couleurs d'une patrie qui n'existait plus sur les cartes officielles, se déploya un peu plus dans l'air avant que le bruit d'une première rafale de balles ne déchira l'atmosphère. Il était impossible de distinguer nettement le visage de la fille vu la distance mais Sibylle se tourna vers elle en fronçant les sourcils, faisant même mine de s'arrêter avant de reprendre sa course. Avait-elle cru la reconnaître ?
Thomas s'était immobilisé et Rodolphe oublia ses questions, ne se retournant pas, animé de l'unique pensée que tant qu'il serait présent les autres continueraient la bataille jusqu'à tous mourir.
Plus loin, deux toits plus loin au moins, une enfant qui ne devait pas avoir plus de dix ans lui désigna un nouvel escalier qui s'enfonçait directement dans une nouvelle rue du quartier des entrepôts. Sibylle l'attendait sur les premières marches.
Le prince se retourna juste au moment de s'engager dans l'escalier et ne put tout de suite bouger.
Le soleil éclatant éclairait désormais une scène de cauchemar et l'horizon semblait s'être teint du sang rouge des innocents.
Les soldats, jaillissant du tunnel, bataillaient avec une trentaine de jeunes armés de ce qu'ils avaient pu trouver, accumuler depuis des années, volant les armes dont ils se servaient maintenant, les retournant contre ceux qui avaient osé croire qu'on les dompteraient en leur proposant un nouveau "chez-eux" dont ils n'avaient jamais voulu...
— Non... NON ! AILEEN !
Et c'était le premier hurlement de haine pure qui sortait de sa bouche tandis que quelques centaines de mètres plus loin il voyait le drapeau encore fièrement tendu à bout de bras vaciller dans l'air sous une nouvelle rafale puis lentement tomber sur le côté comme soufflé par un coup de vent trop fort pour la jeune adolescente à la tresse blonde qui le brandissait.
De loin Rodolphe vit l'inconnue morte pour lui tomber du rebord du toit comme à travers un cauchemar qui n'avait pas de nom et dégringoler dans la rue en contrebas, entraînant avec elle le gigantesque drapeau aux couleurs d'Astra qu'elle n'avait pas voulu lâcher.
Alors les paroles terribles d'Andrei revinrent à l'esprit du jeune homme.
"Veux-tu donc qu'ils meurent tous pour toi ?"
Mais il avait tort. Ce n'était pas pour lui qu'ils tombaient ce soir... C'était pour un avenir que Rodolphe faisait réellement sien dès ce jour.
— Tu n'avais pas le droit de faire cela Aileen !...
Et son hurlement se perdit sur les toits tandis qu'il se sentait tiré en arrière vers l'escalier par sa sœur qui l'entraînait dans les marches branlantes dans une descente qui ressemblait à sa chute intérieure.
— Sibylle, laisse-moi, la gamine, il faut l'emmener avec nous !
Mais la petite de dix ans avait déjà disparu du toit, retournant en direction du combat sans qu'il puisse la retenir.
Ce fut alors à travers une brume étrange qu'il se mit à poursuivre la descente des marches derrière sa sœur, ne ressentant plus rien, si ce n'est une colère qui commençait à l'envahir jusqu'aux tréfonds de son être.
Il s'était écoulé environ un quart d'heure lorsqu'ils arrivèrent enfin en bas des marches et gagnèrent la ruelle déserte.
Alors que Sibylle voulait déjà s'élancer pour courir de nouveau, le visage ravagé par les larmes mais rassemblant ce qui lui restait d'énergie, et que les derniers coups de feu résonnaient dans le lointain, Rodolphe agrippa le poignet de sa sœur et demanda d'une voix qui aux accents inflexibles.
— Qu'est-ce qu'elle t'a vraiment fait ? Qu'est-ce qu'Aileen t'a fait petite sœur ?
Elle tenta de se dégager mais un nuage traversa ses yeux.
— Partons d'ici... Ensuite on en parlera si tu veux.
— Maintenant. Je veux savoir maintenant.
Sibylle lui lança un coup d'œil soudain empli d'une tristesse sans nom tandis que dans l'esprit de Rodolphe repassait en boucle l'image de la blonde tombant avec le drapeau ensanglanté d'Astra...
Sa sœur passa sa langue sur ses lèvres desséchées et craquelées avant de lâcher dans un souffle :
— Elle m'a fait mal. Très mal, au delà de tout ce que je pourrais jamais te décrire. Et je souffre toujours comme au premier instant...
Alors seulement, sans répondre, Rodolphe commença à courir, plus lentement car il n'en pouvait plus, le long du canal qui longeait les entrepôts, suivi de sa sœur.
La flamme sinistre et noire de la haine et de la colère venait lui empoisonner le cœur et détruire le peu qu'il restait de beautés dans son âme qui ne croyait maintenant plus qu'en une chose... Le plan 439.
Et la vengeance.
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