Rodolphe (Chapitre 71)
Il faisait toujours nuit lorsque Rodolphe commença à s'avancer dans la salle aux colonnades, désertes à cette heure de tous soldats. De toute façon jusqu'ici tous lui avaient obéi sans discuter...
Fou d'une rage, d'une angoisse, d'une peur et d'un regret inexprimable, le jeune homme resserra encore un peu plus ses bras autour de sa sœur toujours évanouie. Il arrivait à la grande porte... C'était l'instant de vérité.
Deux hommes lui crièrent de loin :
— Halte.
Il s'approcha en se contentant de répondre :
— C'est moi, Rodolphe. Le garde personnel de sa majesté.
Il s'approcha de quelques nouveaux pas et reconnut alors sans peine les deux hommes qui avaient failli découvrir son secret ce jour où il avait eu l'imprudence de transporter dans sa sacoche sa couronne.
Il prit une mine sévère et observa :
— Laissez-moi passer si vous ne voulez pas avoir d'ennui comme la dernière fois.
Mais le plus vieux, hargneux, continua de lui barrer le passage.
— Une minute. C'est quoi cette fille ?
Rodolphe songea en un éclair que s'il leur servait le même mensonge qu'aux autres jamais cela ne marcherait. Il pouvait dire qu'il était chargé d'exécuter Sibylle Astra sans que cela manque de crédibilité. Mais il ne pouvait certainement pas laisser entendre qu'il s'apprêtait à la faire sortir du palais.
— C'est l'une des coiffeuses de sa majesté qui s'est trouvé mal. Elle a reçu des vilains coups d'un imbécile de garde ivre qui doit être en prison à l'heure qu'il est. Je suis chargé de l'emmener à l'hôpital de la capitale où sa famille pourra plus aisément la voir.
Il y eut une demi-minute de silence qui parut durer une éternité à Rodolphe qui perdit encore le peu de couleur qui lui restaient au visage.
Mais le plus âgé des gardes lâcha alors :
— Ça va, passe. Tu ne prends pas un aéronef ?
— L'hôpital est à deux pas et l'énergie est toujours précieuse.
Il franchit le seuil et se trouva en haut du gigantesque escalier. Une bourrasque de vent frais lui souffla au visage et Sibylle laissa échapper un gémissement dans ses bras, commençant à revenir à elle.
Non... Non surtout pas maintenant... Au moindre geste surpris de sa sœur il était perdu. Il s'apprêtait à descendre la première marche lorsque le plus jeune des gardes demanda d'un cri :
— Tu ne veux pas d'aide ? Non parce que même si l'hôpital est tout proche... elle doit être quand même un peu lourde.
—Restez à votre poste. Je devrais m'en sortir très bien, je reviens d'ici dix minutes...
Les deux gardes haussèrent les épaules, sans se préoccuper davantage d'insister pour l'aider. Rodolphe, affreusement crispé, commença alors à descendre l'immense escalier d'un pas qu'il s'obligea à rendre normal et non trop rapide.
Et pourtant à chacun des paliers le toisaient des gardes immobiles mais qui n'intervenaient pas puisqu'on l'avait laissé passer plus haut.
Rodolphe n'en revenait toujours pas d'être toujours libre. L'histoire qu'il avait sortie aux deux hommes... elle n'était pas vraiment crédible. Alors ? Fallait-il en déduire qu'ils s'étaient contenté d'obéir à l'ordre d'Aileen "accomplissez la moindre de ses volontés".
Probablement. Et c'était un poignard dans le cœur du jeune homme que de penser encore à la jeune femme qu'il adorait.
Deux larmes roulèrent sur ses joues tandis qu'il descendait de nouvelles marches. Chaque pas l'éloignait un peu plus définitivement d'elle...
Deux grands yeux s'ouvrirent alors et se posèrent sur lui. Un éclair d'incertitude traversa le regard de Sibylle puis elle laissa échapper dans un murmure :
— Je... Je rêve !...
Rodolphe répondit en bougeant à peine ses lèvres et en restant sur la défensive. A priori il n'en avait plus que pour un quart d'heure maximum pour terminer de descendre le colossal escalier.
— Non. Mais tais-toi s'il te plaît où nous y restons tous les deux.
Elle hocha la tête sans plus rien dire et referma les yeux. Les minutes s'égrenèrent, lent supplice, tandis que le cœur du jeune homme battait à tout rompre dans sa poitrine.
Dernière marche. Il l'avait atteinte ! Une joie intangible l'envahir brusquement à l'idée de pouvoir peut-être enfin espérer s'en sortir en vie, et surtout sauver sa sœur, en même temps qu'un goût amer emplissait sa bouche encore un peu plus, ne lui laissant aucun répit.
Il se retourna une dernière fois vers l'immense escalier et ses yeux cherchèrent à droite du bâtiment une pièce qu'il pouvait deviner la connaissant. Aileen... Aileen était là-haut, à la fois si proche et perdue pour toujours.
Que dirait-elle quand elle lirait le message qu'il avait pris le temps de lui laisser ?
Il ferma les yeux quelques secondes avant de se reprendre, s'efforçant d'intégrer la douloureuse vérité. Elle lancerait ses hommes à leur poursuite pour obtenir sa mort... La mort de son mari.
Quel était cet étrange jeu du destin ? Mais Sibylle toucha légèrement son bras pour le ramener au présent, ignorant évidemment tout de ses pensées, et il acquiesça avant d'augmenter son pas pour se diriger vers la tour devant eux. Dès qu'il aurait dépassé l'angle ils seraient déjà hors de vue des gardes et pourraient se parler...
Lorsqu'il fut derrière le mur de pierre de la première rue, il s'empressa de s'agenouiller et de déposer sa sœur contre le mur tout en ravalant ses larmes.
Elle le dévisagea un long moment, parfaitement revenue à elle mais laissant parfois échapper une grimace de souffrance.
— Rodolphe... C'est pour moi que tu pleures ? Ça n'a pas d'importance tu sais, je vais m'en remettre... je vais m'en remettre.
Il ne trouva rien à dire si ce n'est poser sa main sur l'épaule de sa sœur qui fut alors agitée d'un long frémissement comme si elle ne supportait pas ce simple contact.
— Que se passe-t-il ?
— R... Rien. J'ai un peu mal c'est tout. Rodolphe, comment as-tu pu me tirer de cet enfer ?
Le jeune homme se redressa et désigna d'un geste froid son uniforme.
— J'étais garde au palais. Plus maintenant je pense. Allez viens avec moi, on discutera de tout ça plus tard, acheva-t-il gêné à l'idée de mentir à sa sœur mais sans pouvoir se résoudre à lui révéler toute la vérité.
Elle acquiesça et tenta de se relever sans y parvenir, titubante.
Rodolphe la regarda quelques secondes sans rien dire.
— Tu pourrais tenir sur mon dos ou pas ? finit-il par demander. T'accrocher à moi ? Il faut qu'on parte le plus vite possible...
Alors elle acquiesça lentement, les traits crispés en une grimace de douleur et le jeune homme n'attendit pas une minute de plus pour laisser sa haine, sa peur et son désespoir de perdre Aileen s'emparer de lui tout entier.
Ses membres commencèrent à se modifier, un fin museau apparu, ses bras se couvrir d'une douce fourrure gris éclatant, argentée et ses vêtements explosèrent pour laisser place à un énorme loup.
Alors Sibylle à bout de force pourtant s'approcha de lui et vint grimper sur le dos du fauve. Un instant plus tard elle enserrait dans ses bras son cou couvert de poils soyeux et le loup poussait un léger grognement, jetant un dernier regard en arrière avant de brusquement démarrer sa course rapide dans les rues brumeuses de la ville se réveillant aux premières lueurs du jour.
Face au soleil renaissant, Rodolphe n'avait jamais eu autant l'impression qu'à cet instant de courir droit vers un futur d'ombre et de ténèbres sans aucune joie.
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