Rodolphe (Chapitre 70)
Rodolphe se redressa brusquement en sursaut, l'air déboussolé et perdu. Que venait-il d'entendre ? Un coup d'œil à l'écran mural où ne brillait que dans un coin une faible lumière lui permit de voir qu'il était trois heures du matin.
Pas encore le moment de quitter Aileen pour continuer de cacher leur relation. Il tourna la tête sur sa gauche pour la regarder un instant. Elle était encore profondément endormie et ses longs cheveux se répandaient sur les oreillers en même temps que sa chemise de nuit se soulevait au rythme régulier de sa respiration.
Mais il entendit alors de nouveau un cri, lointain, venant des tréfonds du palais. Et il sut alors avec certitude que ce hurlement affreux, c'était sa sœur qui le poussait.
Un désarroi profond l'envahir, sans qu'il sache tout de suite comment réagir.
— Aily... Dis mois que ce n'est pas vrai...
Elle n'entendit pas son chuchotement et il se pencha un peu plus pour déposer un léger baiser sur sa joue. Petit à petit l'évidence s'imposa à lui. Elle ne lui avait jamais dit ce qu'il était advenu de la princesse faite prisonnière en Egrabe...
Lui avait osé s'imaginer qu'elle était encore sur l'autre planète ! Il avait préféré un instant vivre son rêve aux côtés de la femme qu'il adorait... Jamais réveil n'avait été plus douloureux ni plus destructeur.
Sa respiration s'accéléra devant cette unique certitude. C'était sa sœur qui venait ainsi de hurler dans la nuit. Il ne l'avait entendu crier de cette façon qu'une fois dans sa vie. Ils avaient cinq et six ans et elle avait rêvé qu'elle mourrait et qu'il n'arrivait pas à la sauver alors qu'il était tout près...
Rodolphe jeta un dernier coup d'œil à sa femme, n'arrivant pas encore à se lever. Faire ce qui venait de lui traverser l'esprit... C'était la perdre pour toujours. Une douleur poignante le saisit à la poitrine et le traversa avec violence, lui laissant un grand vide à l'intérieur de lui-même.
Qu'elle était belle à ses yeux... et comme il l'aimait ! Ils avaient passé ensemble quatre jours et nuits depuis leur mariage. Et c'était déjà la fin du rêve...
Rodolphe ne sut jamais comment il parvint à se lever doucement du lit. Il attrapa alors comme à travers un nuage ses vêtements et s'habilla en quelques gestes précis. Un instant plus tard il était vêtu de pied en cap et terminait de boucler ses chaussures et d'ordonner son uniforme de garde.
Il commença à se diriger vers la porte de la pièce mais lorsqu'il posa sa main sur le battant, il sut qu'il n'y parviendrait pas.
— Je ne peux pas partir comme ça. Pas sans lui expliquer...
Il se retourna, l'âme déchirée en un million de morceaux. Aileen dormait toujours, un léger sourire heureux aux lèvres. Pas un instant ne lui traversait l'esprit de la détester pour ce qu'il commençait à deviner de ce qu'elle avait fait à sa sœur, même s'il savait qu'il risquait probablement de changer d'avis, confronté à la réalité, comprenant ce qu'il n'arrivait pas encore à bien intégrer.
Elle avait cru accomplir son devoir. Qu'aurait-il fait à sa place ? Mais il y avait des choses qu'un frère ne pouvait pas accepter. Il ferma les yeux, inspira, s'exhorta au courage sans y parvenir et ce fut à ce moment que ses yeux se posèrent sur l'écran mural.
Il laissa échapper un murmure entre ses dents serrées :
— Un message...
Il sursauta lorsqu'il entendit Aileen pousser un long soupir mais elle ne se réveilla pas. Il était son mari... S'il devait tout tenter pour sauver sa sœur, il devait quelque chose à sa femme : la vérité. Jamais il ne pourrait la quitter sans cela, même s'il savait que son oncle n'aurait pas pu comprendre son geste, de même que la plupart des enfants d'Astra qui l'aurait considéré comme une trahison.
Il revint pourtant vers l'écran.
***
— Place. Place, je viens de la part de sa majesté.
Le cœur battant la chamade, Rodolphe avançait dans les couloirs souterrains du palais en se faisant conduire par une jeune garde au regard craintif.
— Vous... Vous ne devriez pas être ici.
Il écarta l'argument d'un geste.
— Vous connaissez les ordres de la reine. Vous devez faire tout ce que je vous demande, elle a confiance en moi. Remettez-vous cette confiance en doute ?
La femme s'empressa de secouer la tête d'un geste de négation avant de débloquer l'accès d'un nouveau couloir. Les gardes sur le côté les regardèrent d'un œil curieux et méfiant mais Aileen leur avait bien fait la leçon : obéir aveuglément à son garde du corps favori.
Rodolphe songea amèrement que s'il s'en sortait vivant, ce serait uniquement grâce à elle...
Il fit signe à la garde que ce n'était plus la peine de l'accompagner et commença à s'avancer dans le couloir. Un homme finit par s'interposer devant la dernière salle.
— Une minute vous...
— Je viens de la part de la reine. Elle ordonne dans le plus grand secret le départ de la prisonnière Sibylle Astra.
— Quoi ? Mais nous n'avons reçu aucun ordre tel...
Rodolphe fronça les sourcils, utilisant toute son autorité naturelle.
— Combien de fois sa majesté devra-t-elle vous dire de m'obéir aveuglement ? Ce genre de mission n'a besoin d'aucune publicité. Dois-je parler plus clairement ? Je suis chargé de l'exécution de la jeune femme.
— Oh ! Je...
Il ne trouva rien d'autre à dire et Rodolphe passa son poignet devant le détecteur de la porte. Son cœur battait à cent à l'heure, tant il était pratiquement certain d'échouer en même temps qu'il avait la sensation que son monde s'écroulait.
— Attendez. Vous devriez dire à la reine que...
— Que ?...
Il était si pressé et ce maudit garde trouvait encore le moyen de lui faire perdre du temps... Mais un seul faux geste pouvait tout perdre.
— La fille elle a du cran. Elle n'a pas parlé malgré la torture. Sa majesté je crois qu'elle admirera cela...
Oui, probablement. Mais pour le moment la seule chose qui importait à Rodolphe était de sortir au plus vite sa sœur d'ici.
Il se contenta de froidement hocher la tête avant d'inspirer, braquant tous ses muscles pour contrôler le moindre de ses sentiments. Pas question de tout mettre par terre en se transformant brusquement.
Le battant s'était totalement ouvert et il fit un pas en avant. Il ne vit d'abord rien dans la salle trop éclairée par rapport à la pénombre du palais dans cette nuit sombre et puis ses yeux commencèrent à distinguer une forme allongée sur une couchette, les bras pendants, l'air sans vie.
Il résista à peine à son premier mouvement de courir vers la jeune femme et ce ne fut qu'à grand-peine qu'il parvint à maîtriser sa peur pour elle.
Deux hommes s'avancèrent alors en le voyant et le premier prit la parole d'un ton désolé comme s'il n'était pas surpris de le voir au milieu de la nuit.
— Je suppose que la reine vous envoie. Nous n'avons malheureusement pas réussi à lui arracher la moindre information... Même en frappant son oncle devant elle.
— Je vais m'occuper du problème dorénavant, bande d'incapables !
Rodolphe parvenait à simuler une colère que toute une part de lui éprouvait en s'approchant de sa sœur évanouie et ensanglantée par les nombreux coups qui avaient plu sur son corps. Il remarqua immédiatement l'appareil d'argent sur son cou mais il ne pouvait se trahir en demandant ce que c'était, ce qu'il était peut-être censé savoir pour ces hommes.
Il commença en quelques gestes un peu trop fébriles mais tout en s'efforçant d'avoir l'air calme de dénouer les liens de la jeune femme qui l'attachaient à la couchette et un instant plus tard il la soulevait dans ses bras musclés.
Elle était maigre à faire peur et si légère !
Les deux gardes présents avaient reculé, effrayés de l'expression de Rodolphe lorsqu'il passa devant eux et persuadés qu'il était furieux de les avoir vu échouer à obtenir les informations désirées.
Alors même que le loup en lui cherchait à ressurgir et que s'il s'était transformé effectivement, il n'aurait pas donné cher de la vie de ces deux hommes... Il les détestait, mais ne parvenait pas à en vouloir encore à sa femme.
Il franchit la porte, son fardeau dans les bras, et commença à marcher dans le couloir. Parviendrait-il seulement à sortir de ce maudit palais en vie ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top