Rodolphe (Chapitre 16)
Le jeune homme n'arrivait plus à réfléchir au milieu du paysage qui l'entourait. Mais, brusquement, il sembla se décider et se tourna vers Aileen pour lâcher d'un ton pressant :
-Viens, suis-moi !
L'adolescente secoua la tête avant de répondre :
-Non, normalement on est sensé rester ici et attendre un ordre quelconque ou qu'un danger...
-Rien à faire !
Et il se mit à courir sans vérifier qu'elle la suivait. Tout lui était égal soudain tandis que ses pas s'enfonçaient légèrement à chaque foulée dans le sable humide de la plage d'Astra. Il atteignit enfin une dune et commenca l'escalade tandis qu'un souffle régulier se faisait entendre derrière lui.
-Rodolphe ! Qu'est-ce que tu fais ?
Aileen ne savait exactement ce qu'elle voulait. D'un côté il l'exaspérait mais de l'autre elle voulait absolument gagner son amitié... et découvrir ses secrets pour aider son père.
Pourtant, tous ses soucis et ses questions s'envolèrent pour laisser place à un immense désarroi lorsqu'elle rejoignit Rodolphe en haut de la dune, parfaitement immobile.
Il avait une voix brisée lorsqu'il murmura en levant le doigt vers un point sombre du paysage au lointain :
-Là-bas s'élevaient les tours étincelantes du palais, ici, c'était...
Il s'arrêta, et Aileen sentit sa colère se muer en une terrible détresse.
Devant elle, tout le paysage n'était que cendres noircies sur des milliers de kilomètres. Lorsqu'il soufflait un brin de vent, ce n'était que pour apporter une odeur brûlante à leurs narines et leur piquer les yeux. Pas une couleur... Seulement des restes de tours fondues, des arbres brûlés à terre, des impacts de bombes...
Rodolphe ferma les yeux, inspira, et ce fut d'une voix mêlant sa rage et son désespoir qu'il demanda :
-Cette réalité virtuelle... Elle montre la vérité ?
Aileen ne put soudain soutenir son regard et elle détourna les yeux, les baissant jusqu'à revenir aux grains de sable sous ses pieds, qui semblaient eux-même de funeste augure.
-Je... Nous n'avons aucun moyen de le savoir. Mais je... je pense que oui.
Rodolphe leva un peu plus ses yeux étincelants de colère avant de lâcher avec violence :
-Où est l'épreuve là-dedans ? Où est-elle ? À quoi joue ce... ce professeur ? Il n'avait pas à me montrer ça, pas à moi !
Sa colère disparaissait cependant et Rodolphe ne sentit bientôt plus qu'une sourde tristesse dans son âme. Il avait envie de revenir sur la plage, de ne plus voir ce paysage de cauchemars, et particulièrement les restes sombres des tours brillantes du palais où il avait vécu toute son enfance.
Où étaient maintenant le conseiller de son oncle qui lui adressait toujours un sourire ? Cette insupportable commère de tante éloignée ? Ce cousin de vingt ans qui avait pleuré en apprenant qu'il ne serait pas sauvé à cause de son anniversaire tout juste passé ? Morts ! Ils étaient tous morts !
Alors pour Rodolphe tout le plan prenait un peu plus de sens. Il fallait qu'il se venge, jamais il ne pourrait vivre sans cela...
Il voulut alors se tourner vers sa coéquipière lorsque le paysage tout entier commença à vaciller puis à disparaître...
***
Rodolphe rouvrit les yeux dans la petite salle exiguë du départ. Ses bras étaient toujours fixés à ceux du fauteuil, comme ses jambes, et sa respiration était beaucoup trop rapide.
Aileen lui jeta un coup d'œil en coin, sans rien dire, mais le professeur dans leur dos prit calmement la parole.
-Je vous ai ramené plus tôt que les autres tous les deux. Rodolphe, tu dois savoir que les réalités virtuelles sont faites pour déstabiliser... Savoir affronter un paysage peut parfois faire la différence dans un concours. C'est visiblement ta plus grande faiblesse...
Le jeune homme ne desserra les dents que pour demander sans répondre directement à son professeur :
-Était-ce une vraie vue d'Astra ?
Seul le silence lui répondit. Alors il cria :
-Était-ce la vérité, oui ou non ?
Les bras du fauteuil l'avaient relâché entre temps et il put se relever d'un bond. Il lança un regard accusateur au professeur qui répondit enfin après un lourd silence :
-Oui. C'était une véritable vue d'Astra prise par satellite... Mais ce n'est plus chez toi, ça ne représente plus rien, c'est...
Dire qu'il avait cru que ce serait facile de tout faire pour s'intégrer ! Ça ne l'était pas. Fou de colère et de douleur, Rodolphe ne répondit rien mais se rua vers la sortie du bâtiment sans se retourner. Il disparut avant même que Toes le professeur ou Aileen aient pu réaliser.
Pour sa part, la jeune princesse ne s'était jamais sentie aussi mal. Brusquement toutes ses convictions se trouvaient remises en cause...
-Capitaine ?
Il releva un regard triste vers elle.
-Je sais ce que tu vas me demander Aileen... Toi aussi tu refuses d'y croire hein ? Mais je n'ai pas menti : c'est une vraie vue d'Astra. Que croyais-tu ? Tous les adultes ont été tués, exterminés... pas un n'a été laissé en vie ! Alors...? Je répète, à quoi t'attendais-tu ?
La jeune fille recula, les yeux troubles soudain, se cogna au mur derrière elle, avant de parvenir à lâcher :
-Je... Je ne sais pas... Je...
Elle ne put continuer. C'était juste qu'AM.Erica gagne la guerre. C'était merveilleux d'avoir écarté le péril de la coalition Astra et de n'avoir plus besoin de trembler chaque jour en se demandant si vous seriez encore en vie le lendemain...
Mais jamais, jamais Aileen ne s'était mise à la place d'un enfant d'Astra. Et ce qu'elle entrevoyait, à travers l'émotion de Rodolphe devant son pays dévasté lui faisait peur tout à coup.
Et si elle avait tort ? Et s'ils avaient raison ? Comment pourrait-elle alors encore se regarder dans un miroir sans rougir de honte et de désarroi ?
Elle attrapa mécaniquement son sac sur le siège, l'enfila sur une épaule, esquissa un sourire crispé à l'adresse de Toes puis murmura :
-Merci pour vos explication. À la semaine prochaine...
Il la rattrapa doucement par le bras avant qu'elle ne s'enfuit :
-Tu pars en avance ? Tu n'en profite pas pour t'entrainer au maniement de tes armes ?
Elle se dégagea un peu brutalement et se contenta de répondre avant de détaler :
-J'ai quelqu'un à voir...!
Il fallait qu'elle parle à ce maudit Rodolphe. Il le fallait absolument... histoire d'oublier ce doute horrible, ce début de remord affreux qui commençait à se répandre dans ses veines... C'était forcément une erreur, un malentendu, quelque chose n'allait pas.
Ces adultes, ils étaient morts mais c'était juste. Une mesure de sécurité... Ça ne pouvait pas être un simple massacre. Non, c'était impossible.
Et elle se mit alors elle aussi à courir dans la nuit qui commençait à tomber sur le parc du lycée car il était bien sept heures trente du soir maintenant...
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