Edward (Chapitre 82)

— Il était hors de question que tu fasses ça tout seul, Carlys...

Le jeune homme à côté d'Edward grimaça un sourire amusé avant de répondre en chuchotant :

— Mmm... Mais tu aurais pu m'adjoindre comme co-équipier quelqu'un d'autre qu'un petit prince de pacotille, non ?

Edward eut du mal à retenir un juron, mais il s'obligea à se contenter de le fusiller du regard tout en imaginant les mille et une tortures qu'il aurait aimé lui faire subir. Il chuchota simplement précipitamment en réponse :

— Dis-moi, comment elle te supportait, ta princesse, Sibylle ?

— Très mal je crois. Elle trouvait que j'étais... un brin exaspérant il me semble. Trop nonchalant aussi... pas assez patriotique. Et puis...

Edward l'interrompait d'un geste de la main avant de demander calmement :

— Très bien qu'est-ce qu'elle appréciait chez toi alors pour que vous soyez amis ?

Pour une fois il réussi à faire taire Carlys qui haussa les épaules en répliquant avec son petit sourire habituel :

— Sincèrement aucune idée. Mais j'ai toujours du mal à comprendre mon entourage préoccupé uniquement de choses bassement matérielles...

Ce garçon allait le rendre fou. Mais Edward eut du mal à retenir un commencement d'amusement lui aussi.

— Hum. Je suppose que je lui ressemble, pas vrai ?, et que je suis stupidement patriotique au point de risquer ma vie pour des choses "bassement matérielles" comme ces canons qui pourraient détruire ma planète, c'est ça ?

— C'est un bon résumé.

— Et libérer les prisonniers ça te fait quoi ?

— Disons qu'a priori leurs geôliers sont libres de les réduire en esclavage puisque nous avons chacun tous les droits. Mais j'ai envie d'intervenir, ce qui est mon droit aussi.

— Ah, et le droit de ces hommes est ?...

— De se révolter. Mais si on avait le temps de discuter je te dirais que la chaîne qu'ils portent n'a pas d'importance. Le principal c'est de penser qu'on est libres, parce qu'alors on l'est effectivement. Du coup on n'est plus vraiment esclaves...

— Rappelle-moi de ne jamais compter sur toi pour un raisonnement normal.

— Merci du compliment.

Edward abandonna l'idée d'avoir le dernier mot et se concentra de nouveau sur la situation actuelle.

Il s'était écoulé un jour depuis qu'il avait découvert les canons et la centaine d'hommes qui tournaient les énormes roues pour produire de manière archaïque de l'énergie.

Ils avaient décidé d'attendre la nuit pour agir et les soldats du jeune homme avaient pour mission de supprimer un à un les guetteurs le plus discrètement possible. Edward et Carlys devaient rejoindre les baraquements des esclaves pour les entraîner avec eux. Sans aide, ils ne parviendraient jamais à bout de la cinquantaine de soldats armés qui suivaient les derniers ordres du gouverneur...

Incroyable qu'il continue de leur attirer des ennuis même une fois dans la tombe.

— On a de la chance qu'ils ne travaillent pas comme hier soir, ça n'aurait pas été possible.

Carlys haussa les épaules en le suivant tandis qu'ils se glissaient entre deux buissons, gardant les yeux fixés sur les longs baraquements de bois a quelques mètres à peine derrière deux bouquets d'arbres.

— Je savais que c'était leur jour de repos de toute façon.

— Comment tu as fait ?

— Simple déduction. Les paysans ont dit que les fantômes ne chantaient pas le mardi.

— Superstitions ridicules !

— Mais non, où se situe la réalité ? Que savons-nous d'elle ?

Edward releva la tête tandis que la pluie se mettait à tomber de nouveau comme la nuit précédente, pour fixer Carlys des yeux.

— Je ne poursuivrai pas cette intéressante discussion. Mais, monsieur le débrouillard qui envisage l'existence des fantômes, comment tu nous ferais entrer là dedans ?

Il désigna dans le même temps les bâtiments gardés par quelques hommes Carlys grimaça.

— La pluie pourrait se révéler gênante mais heureusement il a fait chaud dans la journée. Il devrait y avoir quelques branches un peu sèches...

En même temps il sorti de sa poche un briquet et l'alluma. La flamme devait les rendre visibles à des lieues à la ronde. Edward, habitué à tout de la part de son co-équipier, demanda avec un brin de lassitude :

— Là tu as décidé que notre mort à tous les deux était une expérience intéressante ?

— Tout à fait. Enfin, sans rire, je suis en train de te créer ta diversion, remercie-moi.

— Merci.

Carlys ne parut pas saisir l'ironie de la réponse et Edward abandonna tandis qu'une branche s'enflammait près du jeune homme grâce au briquet.

Si la pluie n'augmentait pas en intensité, normalement le feu n'allait pas tarder à gagner en ampleur... Mais déjà l'arbre mort que Carlys avait allumé commençait à flamber comme une torche et des cris jaillirent devant eux :

— Là ! Aux armes, deux intrus !

Edward songea que cela lui apprendrait à avoir cru rien qu'un instant que l'on pouvait sans risque suivre les plans de Carlys.

— Tu avais prévu que cela allait nous éclairer ? Quelle est ta solution là ?

— Pas prévu non. Courir votre altessissime grandeur...

Et Carlys prit ces jambes à son cou, se dirigeant droit vers sa droite comme s'il arrivait à se repérer extrêmement facilement sans éclairage. Edward se mît à le suivre, butant sur chaque touffe d'herbe ou d'épines qui dépassaient un peu des autres, tandis que son co-équipier n'avait pas l'air le moins du monde gêné. En tout cas, la diversion avait pleinement réussi.

La plupart des gardes n'étaient plus devant les bâtiments mais pas non plus en train de se diriger vers le feu... Ils étaient à leurs trousses !

Mais alors qu'il s'apprêtait à lâcher un énorme juron qui n'aurait servi à rien, Edward remarqua devant eux une ombre noire qui se détachait légèrement à travers la pâleur des deux lunes.

Les baraquements... Carlys les y ramenaient !

Magnifique, mais ils avaient moins de quelques minutes pour mettre hors de combat les deux gardes du premier et pour forcer la serrure... ensuite ils n'avaient plus qu'à espérer que les prisonniers soient très réactifs.

Edward n'eut absolument pas le temps de réfléchir lorsqu'il se retrouva face à la première porte. Il dégaina son âme et tira deux coups, qui firent s'écrouler le garde. Carlys, fidèle à son pacifisme, n'avait pas seulement sorti son pistolet de son étui mais il frappa le second garde qui se précipitait vers le prince, l'envoyant directement dormir un peu, totalement évanoui.

Edward aurait pourtant juré que le jeune homme avait lâché en frappant : "Désolé je ne pouvais pas éviter ce léger incident".

Hum. De toute façon, il fallait qu'ils trouvent un moyen d'ouvrir le cadenas de l'énorme porte métallique du baraquement, et vite.

Edward se rua vers le premier homme à terre, tâtonnant sa ceinture dans l'espoir d'y trouver les clefs (système rudimentaire d'ouverture) mais ce fut Carlys qui les attrapa sur le deuxième.

Ensuite ils se précipitèrent tous deux vers l'énorme porte tandis que les soldats chargés de garder les canons arrivaient de partout.

Ceux d'Edward commençaient comme prévu à dévaler les flancs de la vallée pour les rejoindre mais visiblement il y avait quelque chose qui n'allait pas dans leur plan de base car ils étaient beaucoup trop loin pour pouvoir les protéger et tellement peu nombreux...

Une première clef dans le cadenas ne fonctionna pas, puis une deuxième, et encore une...

Il y en avait bien une dizaine au trousseau et Edward songea que lui n'aurait jamais pu avoir le flegme incroyable qu'affichait Carlys en les essayant une à une comme si leur vie n'en dépendait pas.

Derrière la porte, le même chant que la veille, sinistre et lourd, étouffant, angoissant, se faisait entendre de plus en plus fortement, repris par tous les prisonniers et le prince songea que leur espoir ne résidait qu'en eux, mais qu'ils avaient peut-être fait une erreur de jugement...

Les aideraient-ils ?...

La clef tourna. Les soldats n'étaient maintenant plus qu'à deux mètres et hurlaient des injures tandis qu'au loin une partie de la végétation commençait à bien prendre feu. La pluie s'était arrêtée et l'atmosphère n'avait jamais paru autant sur le point... d'exploser.

Pour quelqu'un qui voulait arrêter à tout prix des canons, le paradoxe était presque ironique.

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