Edward (Chapitre 67)
Deux jours s'étaient écoulés de galops effrénés et les hommes n'en pouvaient plus.
Ils se reposaient tous dans une bicoque à seulement un kilomètre de Thyr lorsqu'Edward entendit quelqu'un toquer à la porte de la petite pièce qu'il s'était adjugé.
— Entrez.
Ce fut Carlys qui poussa la porte. Edward constata qu'il était trempé de la tête aux pieds mais n'en fut pas étonné outre mesure. Le jeune homme était incadrable et il n'était pas plus surpris que cela de voir qu'il était sorti dans la nuit malgré ses ordres.
— Qu'est-ce que tu as trouvé ?
Carlys redressa la tête et Edward constata qu'il ne souriait pas. L'ami de la princesse astrayenne était indiscernable pour le prince qui avait parfois énormément de mal à le comprendre, comme en ce moment, mais pour qu'il n'ait pas encore l'air de se moquer du monde entier, fallait-il qu'il se passe quelque chose de grave !
Il sentit l'appréhension l'envahir et insista.
— Carlys... Tu as vu les canons ?
Son visiteur inclina la tête et répondit d'une voix grave qui ne lui ressemblait pas.
— Il faut que tu viennes avec moi Ed'...
Edward corrigea machinalement :
— Altesse. Prince Edward.
Puis il haussa les épaules sachant que de toute façon il n'arriverait jamais à rien avec Carlys. Il ajouta alors :
— Je réveille les autres et on te suit.
— Non. Juste toi.
Edward sentit les poils de sa nuque se hérisser. Il était dur de ne pas s'exaspérer tout de même... Et il en avait assez de ne pas comprendre, d'autant qu'il ne faisait pas totalement confiance à l'astrayen. Encore heureux qu'il parle leur langue, s'étant donné la peine de l'apprendre ces dernières années.
— Pourquoi ? Tu veux m'attirer dans un piège ?
Carlys parut sincèrement interloqué qu'on puisse l'imaginer fomenter un complot et répliqua avec franchise
— Parce que je suis astrayen et toi l'un des princes eriquiens ? Crois-moi, ça m'est égal tout ça. Si je te demande de me suivre maintenant c'est parce qu'il fait encore nuit et que nous serons protégés par l'obscurité. Si tu réveilles les autres, on sera trop nombreux et immédiatement repérés.
Edward se retourna pour jeter un coup d'œil à la fenêtre. Le ciel était noir et une pluie glacée dégoulinait sur les vitres sans discontinuer.
Il ne sut jamais ce qui le poussa à répondre sans demander davantage de précisions.
— C'est bon, je te suis.
Il attrapa sa veste sur laquelle brillait quelques-unes de ses insignes et l'enfila rapidement. Il rabattit la capuche sur ses boucles de cheveux sombres tandis que Carlys dévalait déjà les petits escaliers de bois de la bicoque.
Un instant plus tard, Edward le rejoignait. Le propriétaire les attendait en bas, paraissant inquiet.
— Quelque chose ne va pas mon prince ?
— Un détail à régler, ne vous inquiétez pas. Prévenez mes hommes lorsqu'ils se réveilleront que je reviendrais vite.
Carlys ouvrit la porte et ils sortirent dehors. Immédiatement Edward sentit la pluie s'infiltrer dans chacun de ses vêtements.
— J'espère que tu as une excellente raison de me faire sortir, grogna-t-il.
— Ça devrait t'intéresser de voir tes canons non ?
Que pouvait répondre le jeune homme à cela ?
Carlys était incroyablement débrouillard et cela étonnait toujours Edward. Il amenait en effet déjà leurs deux montures qui les attendaient derrière un bouquet d'arbres. En se hissant sur la sienne, le prince ne put s'empêcher de sourire et de murmurer dans la nuit :
— Tu étais donc bien certain que j'accepterais de te suivre ?
Carlys retrouva son sourire ironique.
— Je suis doué d'un incroyable talent de persuasion pour décider les gens.
Il planta ensuite ses talons dans les flancs de sa monture sans attendre et ils démarrèrent dans le fin sentier.
La pluie continuait de glacer Edward et il avait du mal à voir devant lui dans la nuit avec l'eau qui l'aveuglait mais il s'efforçait de suivre. Ses anciennes peurs revenaient néanmoins. Carlys était imprévisible... Qu'est-ce qui l'avait pris de lui faire aveuglement confiance comme ça ?
Il ne sut combien de temps dura exactement la chevauchée mais un instant plus tard Carlys ralentissait et le prince tira lui aussi légèrement sur ses rênes pour suivre le mouvement.
Quelques minutes plus tard son guide stoppait carrément sa monture et allait l'attacher à une barrière cachée entre des buissons de feuillages.
Le prince fit de même avec Emir et bientôt il rejoignit Carlys qui était immobile dans le sentier.
— Et maintenant ?
— Par là !...
Le jeune homme n'hésita pas un instant sur le chemin à suivre mais, encore une fois, cela n'étonna pas le prince. Il avait l'habitude de le voir se débrouiller partout...
Un instant plus tard ils avaient totalement quitté toute forme de sentier et progressaient entre des buissons d'épines qui griffaient le visage d'Edward au passage et le faisaient trébucher. Carlys ne se retournait pas et poursuivait sa route imperturbable tandis que le prince pestait dans sa barbe.
— Où me conduit-il bon sang ?...
Il faillit se cogner dans le jeune homme qui s'était brusquement immobilisé.
— Qu'est-ce que tu...
Il s'arrêta alors lui aussi gagné par l'atmosphère étrange du lieu. Une chanson lointaine, diffuse, violente, parvenait à leurs oreilles.
— Carlys, qu'est-ce que...?
Mais le jeune homme lui fit un signe de tête agacé pour lui signifier de se taire avant de répondre dans un chuchotement :
— Tu vas voir dans un instant. À partir de là, il faut être extrêmement prudents, d'accord ?
Retrouvant son habituelle maîtrise de lui-même, Edward hocha la tête, sourcils froncés sous la concentration et l'incompréhension qui l'envahissaient.
La chanson se faisait entendre de plus en plus fortement au fur et à mesure qu'ils s'avançaient droit vers elle, se frayant un chemin à travers la végétation.
C'était un chant violent, rythmé par des cris, et Edward sentait une crainte sombre commencer à s'emparer de lui sans en comprendre la raison.
Un instant plus tard Carlys s'allongeait sur le sol pour ramper directement sur la terre boueuse et le prince ne posa plus aucune question pour se contenter d'imiter son exemple.
Ils atteignirent ainsi au bout de quelques minutes l'extrême bord d'une corniche. À leurs pieds un écroulement de terrain avait ménagé un gouffre et sur tout le pourtour des vigiles montaient la garde... Edward comprit alors mieux les précautions de Carlys d'avoir évité les sentiers et de rester ainsi cachés sous la végétation.
Il chuchota alors d'une voix froide tandis que le chant montait du gouffre avec une terrifiante violence et des mots maintenant perceptibles.
— Les canons... Ils ne se rechargent pas à énergie solaire.
Carlys secoua la tête d'un geste sombre.
— Pas vraiment non.
En contrebas, des centaines d'hommes enchaînés faisaient tourner d'immenses roues de bois qui actionnaient des turbines... Les canons étaient rechargés par des travailleurs enchaînés.
Et c'était de leur rage que naissait ce chant violent qui prenait aux tripes et qui semblait s'attaquer aux étoiles et à la nuit noire.
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