Edward (Chapitre 66)
Edward sortit d'un pas ferme dans la grande cour du palais du gouverneur, la mine orageuse mais l'air sûr de lui. Tiny couru derrière lui et cria :
— Edward ! Où tu part comme ça ?
Il attrapa les rênes de sa monture que lui avait avancée l'un de ses gardes et se hissa en selle en quelques minutes. Du haut d'Emir, il jeta un coup d'œil à son amie avant d'expliquer :
— Je pars pour Thyr, j'ai avertis tout le monde.
— Sauf moi !...
— Évidemment, j'étais certain que tu allais trouver quelque chose à redire à mon programme.
— Edward ! Qui va diriger pendant que tu iras là-bas ? Tu as vraiment besoin d'aller t'occuper en personne de ces fichus canons ?
Il eut pour la première fois depuis longtemps un vrai sourire et il répondit en lui adressant un clin d'œil :
— Mais toi. J'ai pris toutes les dispositions pour que tu sois responsable de tout pendant mon absence.
Tiny avait nettement changé de couleur. Ses yeux s'agrandirent sous l'effet de la surprise et elle ne parvint qu'à dire :
— C'est la pire blague qu'on m'ait jamais faite.
Edward se contenta de lui adresser un petit salut accompagné d'un léger sourire puis fit tourner sa monture pour se diriger vers les grandes portes de l'enceinte de la place. Une demi-douzaine de cavaliers l'accompagnait. Il s'apprêtait à mettre sa monture au trot lorsque quelqu'un cria en arrivant en courant :
— Attendez ! Je veux venir avec vous !...
Edward se retourna immédiatement pour dévisager le jeune homme qui venait de les rejoindre.
— Carlys, je croyais que tu voulais rentrer en AM.Erica ?
— Finalement non visiblement Ed'.
Le prince retint de justesse une grimace devant cet astrayen qu'il connaissait à peine mais qui avait imposé dès le début de leurs conversations le tutoiement et l'usage des prénoms plutôt que de son titre.
Mais Carlys ajouta tout à coup, son sourire vacillant quelque peu sur ses traits :
— Rien ne m'attend là-bas. Ici je pourrai plus facilement vivre une vie tranquille en dehors du conflit et oublier...
Que ta meilleure amie est probablement en train de se faire torturer et ton empereur arrêter. Oui, Edward pouvait comprendre qu'il ait envie de rester en Egrabe.
— Amenez une monture pour lui.
Il ne fallut pas dix minutes à un garde pour seller et brider un tricorne baie cerise. Un instant plus tard il était amené à Carlys qui grimpa dessus en s'aidant des étriers sans la moindre élégance mais enfin qui y réussi.
À sa gauche son vieil ami, Gueric, hocha la tête d'un air approbateur car il avait appris à apprécier ces derniers jours Carlys, qui savait rire de tout et de lui-même et affichait à tout instant une attitude nonchalante qui était à la fois exaspérante et fort drôle malgré la peine qu'il cachait à l'intérieur de lui.
***
Cela faisait trois heures qu'ils avaient quitté le castel et les murs rassurants de la ville. Edward tendit alors en avant le doigt, immobilisé au sommet d'une colline, et il cria à ses hommes :
— Vu la fumée il y a un village a un kilomètre d'ici. Nous allons leur demander de nous héberger pour la nuit...
Et sans attendre de réponse, Edward donna un léger coup de talon dans les flancs d'Emir qui s'élança au petit galop dans la plaine qui leur faisait face. Les cavaliers le suivirent et, à peine quelques minutes plus tard, ils arrivaient en vue des premières maisons.
C'était pour la plupart de petites fermes cultivant à peine de quoi se nourrir, et quelques enfants conduisaient deux-trois chèvres efflanquées dans les prairies environnantes.
Ce fut Carlys qui aperçu le premier l'un de ces gamins. Il quitta brusquement la file des cavaliers au pas dans le sentier de terre et vint s'immobiliser devant un enfant, vêtu simplement mais proprement qui s'était immobilisé en les voyant passer près de sa chèvre dans le fossé.
— On ne va pas te la prendre, ne t'inquiète pas. Vous avez de la place au village ?
La petite fille hocha gravement la tête.
— Oh oui à la ferme on accueille des visiteurs dans la grange pour deux sous par personne ! Et les Grebiez font pareils, vous voyez le bâtiment là derrière les arbres ? Et il y a...
Edward se décida à pousser sa monture en direction de la gamine et de Carlys et coupa l'enfant pour demander calmement :
— Chez toi ils peuvent loger huit personnes ?
La petite hocha la tête gravement avant d'ajouter comme responsable publicitaire :
— Pour trois sous vous aurez le dîner. Quatre, et on vous apportera une bassine d'eau chaude.
Carlys eut un sourire amusé et répondit avec un léger rire.
— Que demande le peuple ! Ça ira très bien, conduis-nous...
Edward sentit ses hommes derrière lui s'agiter sur leurs montures. Ça ne plaisait à personne de voir l'astrayen prendre la direction des opérations... Ne s'en rendait-il pas compte ?
Mais le prince s'efforça de ne rien dire, avant de mettre pied à terre suivant l'exemple du jeune homme pour suivre dans l'étroit sentier la gamine.
Edward venait de comprendre l'attitude de Carlys. Certains cachent leur peur ou leur angoisse derrière un visage sombre, d'autres adoptent la provocation à outrance et les faux sourires. Visiblement, l'ami de Sibylle Astra appartenait à cette dernière catégorie...
Et parce qu'il pouvait parfaitement comprendre la peur du jeune homme, Edward parvint à lui pardonner tout à fait son attitude.
— La ferme est juste là !...
La gamine, excitée de tous ces visiteurs, courait devant eux et tourna dans un petit chemin encore plus étroit qui s'enfonçait entre quelques bâtiments rustiques. Quelques tuiles rouges s'apercevaient entre les arbres et Edward laissa échapper un soupir, tachant une fois de plus d'écarter ses tourments de son esprit.
Il regrettait par moment de s'être montré aussi dur avec sa sœur Aileen. Mais comment lui pardonner d'avoir pris la place de Sandrine ? Comment pardonner au gouvernement en qui il avait toujours eu aveuglément confiance la mort de Salidaa ?
Il n'eut pas le temps de plus réfléchir. Ils étaient arrivés dans une cour étroite recouverte de quelques pavés et une femme pas mince en tablier de gros drap venait de sortir de l'étable pour venir à leur rencontre.
Carlys s'était légèrement mis en retrait, continuant de discuter avec la gamine, et ce fut Edward qui répondit à la paysanne lorsqu'elle prit la parole.
— Ici on paye d'avance. Mais ça sera moins cher pour vous, prince Edward. Tenez, je donnerai à manger à vos tricornes gratuitement, dans la pâture derrière, pour le reste, ben il faut bien vivre.
Elle avait dit cela d'un ton désolé, s'excusant d'avance auprès du jeune homme qui à ses yeux les avait sauvé du gouverneur et des bombardements possibles de répression de l'AM.Erica, éternellement crainte...
— Il n'y a aucun problème.
Edward sortit quelque pièces de cuivre de l'une des sacoches de sa monture et les donna à la femme qui eut alors un sourire réjoui.
— Par ici m'sieurs dames.
Mais Carlys, relevant alors la tête et cessant de rire avec la gamine demanda tranquillement :
— A combien de temps d'ici se trouve Thyr ?
La paysanne prit bien quelques minutes pour réfléchir.
— Oh ben avec vos animaux vous devriez y être dans peut-être deux jours encore de route, lâcha-t-elle. À pied c'est bien deux semaines...
Deux jours. Edward songea que c'était déjà bien trop vu la menace des canons...
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