Cyndie (Chapitre 96)

Cyndie n'aimait pas se rendre aux réunions des enfants d'Astra. Pourtant, elle s'obligeait à marcher d'un pas vif dans la rue déserte ce soir pour arriver à l'heure et ne manquer aucune information.

Elle savait qu'elle n'avait pas de gardes du corps astrayens depuis que son identité avait été révélée et qu'elle n'avait eu aucun problème majeur, mais deux soldats d'Aileen la suivait de loin.

L'enfant revoyait sa sœur adoptive en esprit en passant sous la lumière artificielle des lampadaires projetée dans la nuit.

Aileen la détestait. Ne supportait pas de la voir trahir de cette façon les enfants d'Astra qui avaient confiance en elle. Cela se voyait chaque fois que la reine posait son regard sur sa sœur... Et Cyndie se sentait à chaque fois sur la défensive.

Oui, elle était prête à trahir tout le monde pour cette colonie que mettait en place la reine sur Sagan... Et pour y partir elle aussi. L'enfant trouvait Graël étouffante depuis toujours et n'y rattachait que de mauvais souvenirs.

Elle avait parfois la curieuse impression de n'être personne. Cyndie ne se sentait pas astrayenne, pas plus qu'elle n'appréciait l'AM.Erica. Elle avait grandi en rêvant de son pays à elle, sa planète dont elle revoyait les fabuleux paysages luxuriants qui ne devaient plus exister aujourd'hui... Sagan.

La princesse regrettait affreusement d'être l'unique survivante de là-bas. Elle n'avait personne pour la comprendre ou l'aider comme le faisait les enfants d'Astra entre eux...

James l'aimait bien, ce grand frère qui aurait voulu qu'elle l'apprécie en retour. Mais ce n'était pas possible... Cyndie en avait assez d'être toujours abandonnée par tous ceux qu'elle aimait.

Elle laissa alors échapper un lourd soupir en voyant qu'elle était arrivée à destination, et elle franchit la grande porte ouverte sans plus poser de question. Un garçon se tenait à l'entrée de la salle et il lui fit un sourire avant de dire :

— Salut Cyn' ! Désolée de te redemander ça mais ce sont les procédures d'usage... Tatouage ? Rôle ?

— Voilà mon tatouage. Et sinon princesse de Sagan, numéro 3.

Il s'inclina sans perdre son aimable sourire et elle sentit un léger pincement au cœur. Il avait confiance en elle, comme les autres... À force de venir aux réunions elle s'était fait quelques amis sans seulement espérer les garder. Elle recherchait d'habitude à approcher les plus âgés des jeunes, parce que c'étaient eux qui avaient le plus d'informations qu'elle pourrait donner à Aileen pour retrouver un peu plus vite Sagan...

Une fille rousse et plutôt grande l'avisa alors et couru vers elle en criant joyeusement :

— Cyndie ! Comment ça va depuis la semaine dernière ? Tu as des infos du palais ?

Double agent. Faire semblant de trahir la reine d'AM.Erica alors qu'en réalité c'était elle qu'elle servait... L'enfant détestait voir cette confiance aveugle que l'on avait pour elle.

— Rien de particulier. J'ai passé la semaine avec James et il ne m'a rien dit. Et concernant mon cousin ? Rodolphe ?

Il y eut quelques minutes de silence avant que son amie la prenne par le bras pour l'entraîner un peu à l'écart là où elles pourraient librement discuter. Cyndie avait depuis longtemps compris que quand elle voulait des renseignements, elle avait intérêt à faire ressortir sa parenté avec l'empereur... cela apitoyait toujours tout le monde et lui conférait la légitimité nécessaire pour qu'on lui réponde.

— On a pu le faire sortir de la ville, Cyn'. Avec Sibylle, donc pour le moment ils sont déjà un peu plus en sécurité...

Cyndie s'efforça de sourire comme si c'était la meilleure nouvelle du monde. Et pourtant, Aileen comme Andrei, le commandant qui l'interrogeait toujours quand elle revenait de ses réunions, avaient été catégoriques : elle ne pourrait partir pour Sagan que lorsqu'elle leur aurait livré l'empereur et la totalité du plan 439. Mais elle était trop jeune pour en avoir connu plus d'une toute petite partie et poser des questions n'était pas toujours évident...

— Et où sont-ils maintenant, Alice ?

La rousse fronça très légèrement les sourcils et Cyndie devina qu'elle venait de commettre une erreur. Trop de questions... Elle ajouta précipitamment :

— Tu comprends, c'est la seule famille qu'il me reste, et je me sentirais plus proche d'eux si je pouvais savoir où ils se cachent... Et puis je pourrais peut-être brouiller les pistes auprès de la reine, non ?

Alice se détendit tandis que deux gamins de onze ans les bousculaient légèrement en riant avant de rejoindre une table ou un maximum d'enfants étaient rassemblés.

— C'est une information classée confidentielle donc je n'ai pas le droit de t'en parler Cyn'. C'est peut-être ridicule vu ta maturité mais tu es considérée comme trop jeune par nos chefs...

L'enfant sentit un énorme découragement l'envahir et détourna la tête pour ravaler sa salive et s'efforcer de cacher son émotion. Sagan... Sagan... Le mot était comme une douce musique dans son esprit mais qui semblait s'éloigner, impossible à atteindre.

Alice, sans se rendre le moins du monde compte de l'émoi que venaient de causer ses paroles à l'enfant, continuait d'un ton plus joyeux et insouciant :

— De toute façon il va falloir attendre encore quelques années avant de déclencher la révolte. Histoire que les plus âgés d'entre nous aient dans les trente-cinq ans et les plus jeunes dans les seize ans. Cyn', tu veux boire quelque chose ? Ou alors on va s'amuser, il n'y a pas de sujet important à traiter ce soir donc on va pouvoir discuter jusqu'à la fin... Ça te va ?...

Mais elle rougit tout à coup et s'interrompit, venant de croiser le regard d'un garçon qui lui plaisait beaucoup.

— Je reviens Cyn', promis, laisse-moi trois secondes...

Et elle s'éloigna sans voir le trouble de l'enfant qu'elle laissait derrière elle. Cyndie n'attachait plus aucune valeur aux promesses depuis Orys, et de toute façon elle sentait qu'elle était en train de craquer.

Elle avait beau essayer désespérément du haut de ses onze ans d'agir comme une adulte, il arrivait toujours cet instant où elle se sentait complètement dépassée.

— Cyndie !

— Quoi ?

Elle s'était retournée sans réfléchir et vit le garçon qui gérait les entrées l'appeler. Elle hésita un instant puis croisa son regard, pressant, et se décida à se détacher du mur où elle s'était adossée pour le rejoindre dans le petit hall.

La porte était toujours ouverte et un gamin de son âge aux cheveux châtains l'attendait visiblement dans la rue.

— Désolé de te déranger mais ça fait vingt minutes qu'il te réclame. Il s'appelle Damien, tu le connais ?

Cyndie acquiesça et le garçon parut soulagé d'apprendre que ce n'était pas un complot visant à enlever l'enfant. Il reprit :

— Très bien alors vous pouvez discuter mais il n'a pas le droit d'entrer. Ne vous éloignez pas que... que l'on puisse garder un œil sur toi Cyn', ok ?

La petite acquiesça et fit quelques pas jusqu'à rejoindre celui qui pendant quelques mois trop courts avait été son frère.

Il était resté le même, franc, presque naïf, protecteur et heureux de la retrouver visiblement. Il avait les joues rouges d'excitation lorsqu'il commença à parler :

— Coucou Cyn' ! Je t'ai vue la semaine dernière entrer ici mais j'étais avec Maman et elle n'a rien voulu entendre... Alors je suis revenu tout seul, comme un grand. Comment ça va petite sœur ?

Cyndie avait l'impression qu'un siècle s'était écoulé depuis qu'ils ne s'étaient vu. Elle n'était plus l'enfant craintive d'alors et elle eut presque honte qu'il ait pu la voir comme elle l'avait été.

— Je ne suis pas ta sœur. Je ne suis la sœur de personne...

Elle voulut s'en aller, retourner à l'intérieur, mais le petit garçon lui agrippa le bras, soudain triste, et murmura :

— Mais si... on t'a adopté, tu te rappelles ?

Elle fut agitée d'un long tremblement mais ne répondit pas. Il ajouta d'une voix qui ne lui ressemblait plus :

— Cyndie, si tu veux pas parler... Il est devenu quoi mon père ? Maman n'a jamais rien voulu me dire...

Avec une simplicité que seule une gamine de onze ans aurait pu avoir, additionnée à une froideur terrible, la princesse répondit d'un ton détaché :

— Il est mort.

Damien recula comme si elle l'avait frappé et tout sourire disparu de ses traits. Il devait s'attendre à cette réponse mais cela n'avait rien à voir avec le sentiment de révolte qui l'envahit en l'entendant.

— Non ! Il est mort à cause de toi !... Cyndie !

Il n'y avait plus aucune amitié dans sa voix et il voulut se jeter sur elle. Sorti pour la protéger, le jeune homme de l'accueil n'eut aucune peine à arrêter le garçon furieux et à cracher :

— Tu n'as rien à faire ici, arrête de l'embêter, rentre jouer chez toi. Tu n'es pas comme nous...

— Tant mieux ! Vous êtes des monstres !...

Cyndie rentra dans la salle. Mais les murs lui semblaient noirs, le plafond aussi, et chaque rire qui résonnait prenait à ses yeux un accent faux en même temps que ses yeux bleus se remplissait de nouveau de désespoir.

Qui était-elle ? Sagan. Il n'y avait rien d'autre. Comme toujours, et cela signifiait aussi qu'elle était seule... et triste.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top