Cyndie (Chapitre 22)
-On joue à quoi maintenant ?
Cyndie se mit à rire joyeusement en regardant Damien. Leurs parents les regardaient tous deux dans le salon d'un regard attendri -ils avaient pris quelques jours de congé supplémentaires- jusqu'au moment où le petit garçon cria, tout joyeux :
-Aux méchants astrayens et aux gentils eriquiens ! À la guerre !
Leonor voulut immédiatement se lever pour intervenir mais son mari la retint doucement d'un regard avant de lui chuchoter à l'oreille :
-Laisse... Regarde, Cyndie est tout à son jeu : elle n'a même pas réagi. Mais ça sera intéressant de voir qu'elle attitude elle adopte pour que nous arrivions enfin à la comprendre...
Les deux enfants n'avaient rien remarqué de cet échange et Leonor acquiesça avant de se laisser retomber dans le canapé en répondant calmement :
-Tu as raison...
La petite fille en effet riait aux éclats en roulant au sol avec son frère et en tentant de l'attraper. Elle cria dans son enthousiasme :
-Oui ! Pour Sagan et Astra ! L'alliance galactique Assa !
L'Assa, l'alliance réunissant une dizaine de planètes autour d'Astra... en sachant que les deux plus importantes et les mieux défendues, les dernières à tomber, avaient été les deux qui composaient le nom de l'alliance... et que Cyndie venait de citer.
Leonor jeta un regard perplexe à son mari mais Matthew pour sa part gardait ses yeux fixés sur les deux enfants. Damien se relevait déjà en riant et il répliqua par quelques mots malhabiles dans la langue de Cyndie, qu'il avait retenu et qu'il trouvait drôles :
-Eh ! Astra méchant ! Gentils eriquiens ! L'armée grise, l'armée grise arrive !
Et l'enfant bondissait dans toute la pièce avec enthousiasme, imitant ses héros. Mais Matthew se leva précipitamment tandis que Leonor courait vers son fils pour le prendre dans ses bras et dire doucement :
-Chut, chut tais-toi...
Le petit garçon se dégagea vivement de son étreinte pour se retourner avec inquiétude et demander à sa mère en lui serrant le bras :
-Qu'est-ce qu'elle a Maman, qu'est-ce que j'ai dis ? Je ne voulais pas lui faire peur, je ne voulais pas...!
Cyndie était tombée à terre et elle se balançait d'avant en arrière sur la pointe de ses pieds, serrant ses genoux contre elle, le visage hagard et les yeux fermés. Elle murmurait :
-Les hommes gris, noooon ! Les hommes gris !
C'était un cri de peur et de désespoir qui leur transperçait à tous le cœur et Matthew se sentit désolé de ne savoir que faire. Il ne pouvait s'approcher de celle qu'il aimait déjà comme sa fille, car à chaque pas qu'il faisait, elle criait plus fort.
Il tenta alors de lui parler doucement pour la calmer, comme pour apprivoiser l'oiseau sauvage qui sommeillait en elle :
-Cyndie, Cyndie ! Ecoute-moi, rien ne t'arrivera ici, rien d'accord ? Tu es en sécurité...
Mais elle releva alors la tête, sans cesser de se balancer, et les deux parents sentirent leur cœur se serrer : ses joues étaient couvertes de larmes. Que s'était-il passé pour que l'on passe si vite du simple jeu, du rire aux larmes ? Leonor avait interrogé quelques amis sur les enfants qu'ils avaient adoptés. Certains criaient la nuit oui, mais rien de comparable à Cyndie.
Jamais la jeune femme ne s'était sentie aussi inutile, aussi incapable de soulager la douleur d'une enfant. Damien lui-même n'osait bouger, tétanisé par la peur et le remord d'avoir peut-être dit une bêtise qu'il ne comprenait pas. Ses parents lui avaient expliqué, qu'il fallait être gentil, très gentil... Et il essayait vraiment. Alors maintenant il s'en voulait de n'avoir pas réussi...
Mais Cyndie fixait ses yeux sur le visage de Matthew sans paraitre le voir et elle répondit enfin entre deux hoquets :
-Eux... eux aussi m'avaient dit que je serais en sécurité ! Et nous avons dû partir, encore et encore... J'ai perdu ma poupée... elle est restée là-bas.
Cyndie n'avait pas de jouet de la sorte. Mais elle n'avait pas le droit de dire "sa cousine" et elle avait finit par changer les mots sans même vraiment s'en rendre compte. Alors que de toute façon elle l'avait déjà dit...
Matthew esquissa un sourire rassurant, parvint à s'avancer d'un pas, à genoux près d'elle, sans qu'elle ne crie de nouveau.
-Cyndie, calme-toi. Il n'y a plus de guerre, il n'y a plus...
Il était à deux doigts de pouvoir la serrer doucement dans ses bras lorsque son fils accourut vers eux, se dégageant tout à fait de la main de Leonor, pour dire avec un grand sourire en s'arrêtant à deux pas de la petite fille :
-C'est les gardes gris qui te font peur ? Mais ils sont gentils tu sais, ils nous protègent...
Cyndie sentit sa peur, cette peur affreuse qui ne la quittait jamais l'envahir de nouveau et poussa un nouveau hurlement de détresse qui la libérait de tout ce qu'elle ne pouvait dire, son seul appel au secours.
En voyant le regard de Damien, elle eut cependant envie de tenter de lui faire comprendre et, agitée de spasmes comme secouée par les sanglots, elle trouva pourtant la force de dire :
-Ils... Ils m'ont forcée à...
Une petite voix dans sa tête lui disait de ne pas le dire. Elle repensa au tatouage qu'elle avait sur le dos, que Sibylle lui avait interdit de montrer et qu'elle cachait toujours à sa nouvelle famille.
Mais après, il n'y eut plus dans son esprit que la peur, et une terrible envie d'être consolée et de tenter de leur expliquer ce qu'elle-même ne comprenait pas.
-Ils... Ils m'ont dit d'appuyer sur le lance-flamme...
Matthew et Leonor échangèrent un regard. Leurs visages blêmirent et ils sentirent l'un comme l'autre leur respiration s'accélérer. Comment dire à Cyndie, songeait son père, qu'il avait fait partie de cette armée ?
Pour le moment c'était impossible. Et s'il ne savait ce qu'il allait entendre, chacun de ses muscles semblait soudain le brûler de l'intérieur, face à cette petite fille en pleurs. Il commençait à sentir, comme sa femme, un sentiment amer au fond de lui : un remord inavoué, naissant. Quelque chose d'insondable qui commençait lentement à l'emplir d'un dégoût qu'il ne comprenait pas encore.
Cyndie inspira. Elle ne pleurait plus mais ses cheveux étaient collés à son front par les grosses gouttes de sueur qui coulaient sur son visage et dans son dos. Elle trouva au fond de sa terreur des hommes gris un regain d'énergie, oublia tous les interdits, et reprit :
-J'ai... Il y avait la flamme qui sortait du... de l'arme. Et quelqu'un a rit, rit ! Et ils m'ont dit que grand-père était toujours à l'intérieur, et j'ai pensé à lui, à doudou, mon petit dragon apprivoisé, à Rizade, mon amie, à Ulos, le cuisinier qui... les plats sentaient si bons chaque jour dans la cuisine et...
Elle se recroquevilla un peu plus sur elle-même, puis termina d'une voix qu'ils entendirent à peine :
-... et il fallait que j'appuie encore, encore ! Ils riaient les hommes gris quand les flammes dansaient ! Il y avait des gens qui criaient à l'intérieur, qui criaient... mais je ne sais pas si ce n'était pas moi qui criait...
Elle s'embrouillait dans ses pensées, elle se perdait, mais, brusquement, elle se détendit comme si dire tout cela avait été trop dur, et se laissa tomber dans les bras de Matthew. Il se redressa, rassurant la petite fille qui fermait déjà les yeux comme pour s'endormir, et il murmura :
-Oublie tout ça. Tu es en sécurité maintenant...
Mais il n'osa pas tourner la tête vers sa femme. Il savait que le regard de Leonor reflèterait exactement l'horreur du sien et il n'était pas certain de pouvoir le supporter.
Qui était vraiment l'enfant qu'il portait dans ses bras ? N'était-elle pas avec les autres dans les souterrains au moment de l'arrivée des eriquiens sur Astra ? Mais alors, comment était-elle restée en vie ?
Il resserra ses bras sur elle et sa voix se fit rauque lorsqu'il essuya une larme de la joue de Cyndie avant de dire :
-Ne pleure pas petite fille... Nous veillerons toujours sur toi, quoi qu'il arrive...
Et quoi que nous apprenions. Car il commençait, sans le comprendre, à avoir peur de ce que l'enfant pourrait encore révéler...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top