Aileen (Chapitre 76)
— Pardonnez-moi pour ce matin Andrei. Je n'étais pas moi-même à cet instant.
Aileen se tenait au milieu de son salon, debout et les yeux rivés sur la grande fenêtre en face d'elle. Elle était habillée d'une robe longue qui n'était pas de son genre et ses cheveux parfaitement coiffés pour une fois disparaissaient sous l'éclat du diadème qui surplombait sa tête, la parant d'un air de noblesse indéniable.
Mais sa peau était pâle, ses lèvres décolorées, et ses yeux vrillés droit devant elle comme si elle ne pouvait rien voir d'autre que cette vitre et qu'elle ne pouvait même pas deviner de l'autre côté les tours de la ville immense.
Le commandant était resté debout derrière elle silencieux et elle ajouta, au supplice :
— Si vous êtes ici c'est pour m'annoncer que vous l'avez retrouvé ?
Elle ferma les yeux et ajouta d'une voix trahissant ses émotions et l'amour qui explosait soudain dans tout son être, ne pouvant plus se cacher.
—... À moins que vous veniez me transmettre la nouvelle de sa mort ?
Elle se retourna d'un mouvement lent vers le chef de sa garde, la tête bien droite, sans daigner un sourire, crispée de tout son être. Andrei ne lui répondit pas tout de suite mais demanda d'une voix pleine de reproche :
— Qu'était-il pour vous exactement majesté ?
Elle eut alors un fin sourire plein d'ironie pour elle-même.
— Mais Rodolphe Kent bien sûr, mon garde du corps.
Et mon mari ! Cette pensée ne parvenait pas à quitter son esprit. Pouvait-on sacrifier à un peuple un être tant aimé, tant adoré ?
Alors seulement Andrei baissa ses yeux vers le sol et murmura :
— Pardonnez-moi majesté cette question indiscrète, je n'aurais pas dû. Nous ne l'avons pas retrouvé encore et nous craignons qu'il ne nous échappe...
Aileen se sentait mourir depuis le matin et ce fut d'une voix lointaine et comme détachée d'une situation qui la détruisait de l'intérieur, la dévorant à petit feu, qu'elle demanda :
— Je ne comprends pas pourquoi. Tous les écrans de la ville affichent son portrait et toute la population peut vous aider. Comment pourrait-il vous échapper ?
— Pas tout le monde justement. J'ai reçu des rapports majesté et ils ne laissent aucun doute. Les enfants originaires d'Astra se sont organisés pour le rechercher... S'ils le trouvent avant nous ils mettront tout en œuvre pour le sauver.
— Ah ?
Aileen se détourna pour revenir à la fenêtre et cacher tant bien que mal son regard qui lui semblait dévoiler tous les émois de son âme.
— Je suppose que l'on ne peut rien y faire si ce n'est le trouver avant eux. Car on ne va pas tous les mettre en prison pour le seul crime de s'être promenés dans toute la ville en ayant l'air de chercher quelqu'un...
— Majesté, je... C'est vrai ce que vous dites mais excusez-moi encore une question indiscrète. Voulez-vous vraiment qu'on le retrouve ? Qu'il meure peut-être ?
— Andrei, j'ai beaucoup d'estime pour vous mais sortez. Faites votre travail et débrouillez-vous pour me laisser seule aujourd'hui.
— Majesté si j'ai dit quelque chose qui vous a déplu je vous demande pardon et je...
— Sortez !...
Aileen ne se dominait plus et refusait absolument que l'on puisse la voir ainsi. Le commandant ne chercha plus à tergiverser et elle l'entendit faire demi-tour pour regagner la porte qu'il ouvrit en passant son poignet sous le détecteur avant de quitter la pièce. La jeune femme ne se retourna pas un instant durant tout ce temps.
Ce ne fut qu'une fois qu'elle eut entendu le déclic lui annonçant que le battant avait terminé de se refermer qu'elle se déplaça légèrement dans la pièce jusqu'à venir s'asseoir face à sa table de travail habituelle.
Elle avança la main pour une énième fois ramener devant ces yeux l'objet qui concrétisait toutes ses pensées.
La couronne de Rodolphe. Ses doigts parcouraient le métal, s'accrochant à la moindre gravure, fixant chacune des irrégularités voulues comme pour en graver dans son esprit le moindre détail.
Elle finit par reposer d'un geste atone la couronne à sa place mais son regard resta rivé dessus sans qu'elle puisse s'en détourner.
Oh, Rodolphe ! Si présent, si indispensable ces dernières années... Pourquoi avait-il fallu qu'au moment où ils concrétisaient leur rêve, tout s'écroule ? Elle sentait encore sur ses lèvres la sensation de ses baisers, de sa présence, de ses bras autour de ses épaules...
Etait-il à cet instant empli des mêmes regrets ? Oui, désirait-elle vraiment qu'on le retrouve ?
Son âme était déchirée en deux. D'un côté elle ne rêvait que de le revoir, même enchaîné, même blessé, même entre deux gardes...
Et de l'autre elle ne voulait seulement pas prendre le risque de le voir mourir.
Mais n'avait-il pas dit qu'il referait sa vie sans elle ? En la détestant ? Et cette pensée était intolérable à la jeune femme. N'était-ce rien ce qu'ils avaient partagé ces dernières années, ces derniers précieux jours ?
Et en même temps, comment continuer d'aimer quelqu'un qui allait la détester ? Cela l'atteignait dans son orgueil...
Souhaitait-elle qu'on le retrouve ? Non. La réponse l'envahit malgré tout car elle songea tout à coup que simplement revoir Rodolphe, même en vie dans ses prisons, la détruirait un peu plus.
Comment imaginer un lien entre eux, si elle était reine et lui obscur prisonnier ? Il la détesterait alors réellement...
Si ce n'était pas déjà le cas. Son amour l'aveuglerait-il longtemps ? À quel instant sa sœur lui dirait elle exactement la nature du mal qui ne la quitterait jamais ?
Ce n'était peut être pas ce que la reine qu'elle était aurait dû penser mais cela lui était égal à ce moment. Elle aurait aimé pouvoir pleurer et ne plus retenir ses larmes qui menaçaient de l'envahir malgré tout.
Mais elle avait toujours été fière de son caractère indomptable, de presque sauvageonne. Suffisait-il qu'elle tombe amoureuse pour que soit brisé en elle toute forme de résistance et de force ?
Non, non tout devait continuer comme avant. Comme lorsqu'elle ne connaissait pas Rodolphe.
Mais le pourrait-elle seulement ? Une pensée qu'elle tentait de repousser car elle la savait impraticable ne cessait de l'envahir. Confier le pouvoir à sa sœur Sandrine...
Le peuple ne le voudrait pas pourtant. Et de toute façon, qu'est-ce que cela changerait ? Quelle eriquienne aimant son pays pouvait accepter un mariage la liant à l'empereur d'Astra ?
Pas elle en tout cas, assurément. Mais il lui faudrait du temps pour s'en remettre, beaucoup de longues années qui s'écouleraient, grises et mornes sans plus lui apporter cette joie merveilleuse qu'elle avait ressenti ces derniers jours...
Elle aurait aimé pouvoir confier ses tourments à quelqu'un, particulièrement à son père qu'elle continuait d'aimer malgré tout, mais elle n'avait personne. Personne, elle était seule, et cela pour toujours probablement.
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