Aileen (Chapitre 60)

— Votre majesté ?

Aileen sursauta en quittant immédiatement la fenêtre des yeux pour se retourner brusquement, un léger sourire aux lèvres. Elle avait beau être épuisée après la folle journée du jour précédent, jamais elle ne s'était sentie aussi heureuse.

Rodolphe, son mari !, venait de la quitter pour aller rejoindre le corps de garde où il était réclamé pour un entraînement et elle aurait beaucoup aimé le garder auprès d'elle toute la journée... Ce qui évidemment n'était pas possible.

Elle s'efforça de prendre un visage impassible, de ne pas rendre trop visible sa joie éclatante, et se tourna vers le chef de sa garde pour lâcher d'un ton calme :

— Andrei ! Je ne t'ai pas entendu frapper à la porte, excuse-moi.

— Vous ne répondiez pas, je me suis inquiété.

Il était toujours inquiet pour elle de toute façon et d'un certain point de vue Aileen pouvait le comprendre. Il n'était pas forcément évident de la protéger, vu son statut...

— Il n'y a pas de problème Andrei. Que souhaitais-tu me dire ?

— Votre frère Edward a cherché à vous joindre hier et c'est moi qui ait eu son appel. Il vous demandait de le rappeler aujourd'hui...

Cette nouvelle ne parvint pas à détruire complètement la bonne humeur d'Aileen mais lui donna tout de même un coup au moral.

Elle lâcha simplement :

— Oh, Ed'... Merci du message commandant. Je vais le recontacter tout de suite.

Il s'inclina sans un mot de plus, lui lançant au passage un regard amical, puis tourna les talons et quitta son salon privé. Un instant après la porte de la pièce coulissait pour se refermer et laisser la jeune femme de nouveau seule dans ses appartements.

Elle se dirigea mécaniquement vers sa table de verre et s'installa dans le premier fauteuil à suspenseurs venu. Rappeler Edward... La détestait-il maintenant ? Elle éprouvait une peur terrible à l'idée de le perdre...

La jeune femme songea tout à coup avec soulagement qu'elle n'était pas seule malgré tout. Elle aurait toujours Rodolphe à ses côtés, et maintenant Sandrine qui lui avait pardonné, et donc a priori James qui se rangeait toujours à l'avis de leur aînée même s'il n'était pas d'accord.

Malgré cela Aileen n'arrivait pas à se résoudre à cliquer sur les touches de l'écran pour recontacter Edward. Un voyant rouge s'alluma alors soudainement et elle décida d'y jeter tout de suite un coup d'œil, repoussant à quelques minutes plus tard sa conversation fatidique avec son frère.

C'était un rapport que lui transmettait tout juste Andrei. Elle sentit aussitôt l'inquiétude l'envahir et en quelques secondes elle avait cliqué sur quelques touches et le texte s'affichait devant ses yeux au-dessus de la table de projection.

Gouvernement instable en Egrabe. En plus du fait que le gouvernement ne tient que grâce au représentant de l'AM.Erica présent, le prince Edward, nous venons d'apprendre que dans la bourgade de Thyr un groupe de vieux partisans de l'ancien gouverneur viennent de terminer de construire des canons longues-portées. Ces canons devraient mettre dans les deux mois à se charger grâce aux panneaux solaires construits à proximité de toute évidence, mais une fois ceci fait, s'ils restent entre les mains de ces révoltés, ils pourraient causer de gros dommage et obliger l'AM.Erica à réactiver son bouclier magnétique. Or, l'énergie nécessaire à ce moyen de défense est considérable et actuellement non disponible...
Rapport du 19/10 - 13 h 15 - sous la direction d'Edward d'Erica.

Au fur et à mesure de sa lecture le rythme cardiaque d'Aileen avait considérablement augmenté et elle fixait d'un air stupéfait les quelques lignes qui s'effaçaient du dessus de la table maintenant qu'elle en avait terminé la lecture.

Bon sang, les ennuis ne seraient ils donc jamais terminé ?...

Elle appuya d'un geste vif sur l'écran sans plus attendre et fit rapidement défiler la liste de contact, résolue à tout affronter maintenant... Y compris son frère.

Une sonnerie musicale se mit à résonner dans la pièce un instant plus tard et Aileen tapota nerveusement le dessus de la table pour essayer de se détendre.

La porte du salon s'ouvrit alors derrière elle en coulissant et en se retournant elle croisa le beau regard de Rodolphe qui fit une légère moue interrogative devant sa visible agitation. Elle lui fit signe de garder le silence en posant un doigt sur ses lèvres, désignant d'un coup de tête l'écran, et il redevint en un instant un garde du corps impassible parmi tant d'autres, se plantant devant la porte qui se refermait et affichant un regard neutre après lui avoir adressé un dernier petit sourire à la fois inquiet et d'avance réconfortant.

Aileen n'eut pas le temps d'y répondre que l'écran s'illumina et un visage apparu au-dessus de la table, reconnaissable entre mille.

Elle se retourna vivement vers Edward et laissa échapper, la gorge serrée par une émotion incontrôlable :

— Ed'...

— Salut Aileen... Comment va la petite fille préférée de notre cher Papa ?

Elle avala sa salive nerveusement, s'efforçant de ne pas réagir à son ton ironique, las, et insultant.

Il avait des cernes sombres sous ses yeux, des poches de fatigue, et il paraissait horriblement amaigri en même temps qu'il affichait un air plus dur, plus sombre qu'elle ne lui avait jamais vu et qui détonnait d'avec le jeune homme plein de vie qu'elle avait quitté seulement deux ans et demi plus tôt.

Rodolphe dans son dos avait fait mine de se rapprocher mais avait réussi à rester stoïque et à ne pas dire un mot pour instinctivement prendre la défense de sa femme comme il l'aurait voulu.

— Ne m'appelle pas comme ça Ed'... Je n'ai rien désiré de ce qui est arrivé, ni la mort de Salidaa ni devenir la reine.

— Il n'empêche que tout cela a eu lieu.

Mais il n'y avait plus aucun fiel dans sa voix, comme si c'était au-dessus de ses forces. Aileen eut du mal à ne pas se retourner vers Rodolphe. Comment aurait-elle été si elle l'avait vu mourir sous ses yeux ?

Elle reprit la parole plus doucement et murmura avec franchise :

— Edward... Je suis désolée pour tout, vraiment.

Il la regarda longuement avant de redresser la tête et de hausser les épaules sur l'image.

— Tu n'y es probablement pour rien, effectivement. C'est notre cher Papa... Lui, je ne pourrais plus jamais lui parler.

La haine traversa son regard sombre un instant et Aileen sentit une désolation profonde l'envahir. Elle avait toujours cru et espéré que leur famille resterait éternellement unie... visiblement ça ne serait plus jamais le cas. Mais il y avait malheureusement d'autres urgences qu'elle devait tout de suite évoquer.

— Edward, c'est de toi le rapport sur les canons ?

— Oh, j'y ai jeté un coup d'œil. C'est une amie qui l'a rédigé après avoir fait cette découverte. Il est fiable, si telle est ta question.

Aileen songea qu'il avait l'air de n'y attacher strictement aucune importance. Son ton se fit pressant malgré elle :

— Edward, j'ai besoin de ton aide... Je pense que tu peux diriger momentanément l'Egrabe, garder le contrôle et...

Il leva aussitôt une main avant de secouer la tête en signe de dénégation :

— Oh oh on arrête ça tout de suite ! Aileen, je ne suis pas Liam qui rêve d'un empire galactique sous la domination de notre famille. Moi, je n'en peux plus. Je rentre par le prochain convoi dès que j'ai réglé quelques derniers détails, comme une élection pour mon successeur par exemple.

Sa voix avait faibli sur cette dernière phrase et Aileen n'hésita pas à demander, sûre que sa faiblesse de trouvait là :

— Edward... Pourquoi n'as-tu pas organisé cette élection plus tôt ?

Il se crispa et lui lança un regard noir.

— Parce qu'ils m'éliront tous et que je n'en ai aucune envie. Ils ne m'obéiront pas pour choisir quelqu'un d'autre...

— Edward, accepte. Vraiment... Et occupe-toi de cette histoire de bombes. D'ici, je ne peux rien faire. Toi, tu connais mieux qu'aucun de nous l'Egrabe maintenant... et tes hommes te suivront partout, et ils connaissent le terrain eux aussi. Ed', tu peux éviter d'autres drames...

Il se détourna, croisant les bras dans une attitude de refus, et elle ajouta alors d'une voix brisée, désolée d'avance de lui asséner cette dernière vérité :

— Edward, tu n'aimes peut-être plus l'AM.Erica... mais ces canons ne seront bons pour personne. En devenant chef d'Etat, politique, en intervenant dans le gouvernement et en arrêtant ces armes nucléaires...

Elle prit son souffle, ferma les yeux puis termina :

—... Tu peux éviter d'autres Salidaa.

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