Aileen (Chapitre 20)
-Papa ?
C'était le vendredi matin et Aileen se tenait derrière la porte à laquelle elle venait de toquer. Obéissant à un ordre électrique, cette dernière ne tarda pas à coulisser sur le côté pour lui ménager un passage.
La jeune fille entra dans le petit bureau et fit quelques pas en silence avant de s'immobiliser au centre de la pièce. Son père, Orys, resta assis à son bureau, se contentant de relever son regard clair sur elle après avoir jeté un coup d'œil à son écran.
-Tu ne devrais pas être en classe toi à cette heure-ci ?
Il n'y avait pas l'once d'un reproche mais simplement une légère trace de fatigue perceptible dans sa voix. Aileen vint s'assoir face à lui dans l'un des sièges à proximité de la grande table de travail et se décida à répondre :
-Si. Mais il fallait que je vous parle... J'en avais besoin. J'ai très mal dormi avec cette question dans la tête et...
Orys esquissa un sourire aux reflets tristes. Lui avait carrément passé une nuit blanche, mais il sentait tous ses soucis s'envoler devant sa cadette. Elle était vêtue aujourd'hui d'une simple veste de cuir, d'un pantalon court, d'une tunique et de sandales. Il aimait voir son sourire, ou sa moue interrogative comme en ce moment.
Il avait toujours eu l'impression qu'Aileen était celle de ses enfants qui lui ressemblait le plus. Franche, débrouillarde, et en même temps si pleine de doutes...
-Quelle est ta question ?
-Pour quelle raison avons-nous fait la guerre à Astra ?
Le sourire disparut des lèvres d'Orys mais il ne chercha pas à s'esquiver et se contenta de fixer quelques secondes sa table des yeux avant de relever son regard.
-Le fait que tu te poses la question... C'est déjà une victoire pour eux...
Encore une fois, le ton n'était pas accusatif, c'était simplement dit comme une observation et Aileen ne mit pas de temps à comprendre.
-Les enfants d'Astra n'est-ce pas ? Ils nous font nous remettre en question... en quoi est-ce un mal ?
Orys se leva alors de son fauteuil pour faire quelques pas dans la pièce et Aileen fit pivoter son siège pour pouvoir le suivre des yeux. Le roi reprit alors la parole.
-Ce pays n'a pas la conscience tranquille princesse... Mais nous ne reviendrons pas sur le passé. Qu'allons-nous vouloir faire pour réparer ?
La question plana dans l'air avant qu'Aileen ne demande dans un cri presque désespéré :
-Mais papa, il y avait bien une raison pour que nous leur fassions la guerre ! Une raison à tous ces... ces horribles...
-... assassinats ? Crimes ? Tu me demandes la raison ! Aileen, ne te l'a-t-on pas appris au lycée ?
Elle se sentit soudain sur la défensive et récita d'un ton monocorde la réponse qui lui vint aux lèvres. Jusqu'à hier soir, jusqu'à avoir vu l'émotion de Rodolphe devant la réalité virtuelle, jamais encore elle ne l'avait remise en question.
-Parce que la planète Astra et ses alliées voulaient nous détruire. Étaient dangereuses...
-Maintenant rappelle-moi un détail. Qui a déclaré la guerre ?
Aileen aurait tant voulu se débarrasser de cette once de remord qui s'enracinant au plus profond d'elle-même depuis la soirée... Elle récita de nouveau, se raccrochant aux mots :
-Nous... Mais Astra comptait le faire si nous ne les avions devancés pour bénéficier de la surprise !
-Vraiment ? Tu m'as demandé la vérité Aileen... Je ne t'ai jamais menti. En vérité, tout cela n'est qu'une belle propagande que le peuple d'AM.Erica s'administre à lui-même avec plaisir... Non, la vérité c'est que je n'ai jamais connu de plus grands pacifistes que l'empereur et l'impératrice d'Astra... Tu comprends ce que cela veut dire ?
Aileen n'aimait pas avouer ses faiblesses mais là, elle se sentait au bord des larmes. Elle répondit enfin dans un murmure :
-Nous voulions simplement être les plus forts. C'est tout. Et Astra nous... nous gênait...
Les ruines affreuses entrevues dans la réalité virtuelle de la veille revenaient maintenant la hanter et la jeune fille baissa les yeux vers le tapis de style sagannais du bureau... la dernière mode. Sa gorge se serra un peu plus.
Mais son père vint alors s'agenouiller devant elle pour être à son niveau -elle était toujours assise- et il prit ses mains dans les siennes avant de lui relever le menton.
-Maintenant écoute-moi bien Aileen. Retire ce "nous" de ta phrase et tu as complètement raison. Je suis responsable de n'avoir pu empêcher cette guerre, le parlement, chacun des foutus adultes d'AM.Erica qui a voté la guerre est responsable. Pas toi. D'accord ?
La jeune princesse détourna les yeux avant de lâcher :
-Je représente mon pays.
-Ma petite cadette revendique son titre ?
-Je ne l'ai jamais renié.
-Mais tu sais parfaitement que la future reine, c'est ta sœur Sandrine. Ne te donne pas des responsabilités en plus...
Il se releva ensuite et fit de nouveau quelques pas dans la pièce, tendu et nerveux. Mais Aileen se leva alors à son tour et le rejoignit avant de demander :
-Papa... Pour quelle raison continuez-vous alors de soutenir l'AM.Erica ?
Il plongea son regard bleu dans le sien et répondit d'un air grave :
-Un roi se doit à ceux qu'il dirige. J'ai juré de les protéger de tout mon pouvoir... Et je le ferai, quoi qu'il advienne. Le plus grand péril est à venir, j'en suis persuadé. Ces enfants d'Astra ne resteront pas inactifs très longtemps...
Ce qu'il venait de dire, Aileen le comprenait. Elle crut saisir soudain l'attitude de son père et un poids s'allégea soudain de sa poitrine, lui permettant presque de respirer normalement.
Si elle ne pouvait rien changer au passé... Elle pouvait en revanche aider le peuple dont elle faisait parti, vaincre un danger tout en restant sur le chemin de la justice.
Elle releva des yeux brillants vers son père et reprit la parole.
-J'ai décidé de tenter de me lier d'amitié avec un enfant d'Astra pour en apprendre plus sur leur plan... Me désapprouvez-vous ?...
Orys jeta un regard plein d'angoisse à sa fille. Il avait peur pour elle tout à coup, comprit-il, mais il était coincé par ce qu'il venait de dire. Le peuple d'AM.Erica avant tout... Il s'efforça de contenir sa voix et de chasser toute trace d'anxiété pour répondre avec un difficile sourire :
-Non. Essaie d'en apprendre le plus possible Aileen.
Il hésita, puis ajouta au prix d'un lourd effort sur lui-même :
-Je vais demander maintenant à tes deux frère de faire de même, je n'ai pas d'autres solutions dans l'immédiat.
Les jumeaux n'étaient pas toujours raisonnables, mais cela ils le feraient. Quoiqu'Orys n'était pas tellement sûr de le désirer...
Il fut soudain pris d'un terrible pressentiment, voulut rappeler sa fille qui se dirigeait déjà vers la porte, puis se retint. Comment lui dire qu'il ressentait au plus profond de lui-même l'étrange sentiment qu'il commençait déjà à la perdre ?...
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