Chapitre 7
Ce jour-là, Eden resta silencieuse. Elle se tenait prêt de Noah, sans dire un mot, mais sans se tenir à l'écart. Elle le suivait comme son ombre, et pour une fois, Noah songea que les rôles étaient inversés. Elle semblait fébrile, voir malade, comme si quelque chose de grave lui était tombé dessus et lui avait lié les lèvres. Ou peut-être quelque chose de grave qui était remonté à la surface, un mal profond qu'elle cachait dans ce petit corps charmant. Ses cheveux ondulés lui tombaient sur le visage, et Noah avait une furieuse envie d'y glisser les doigts pour les replacer, sans pour autant oser faire un geste. Elle-même semblait trop fatigué pour les remettre en place. Elle se contentait de suivre Noah, ses doigts bandés dans les poches, l'air amorphe. Il lui parlait, mais pas des sujets qui fâchent, pas peur de la froisser. Eden était une fille de papier, un rien la déchirait ou la chiffonnait. Il devinait qu'elle avait été rafistolée de toutes parts, mais c'est ça qui la rendait si belle. C'était une fille de papier sur laquelle on avait peint la plus belle des œuvres d'art. Il aurait tellement voulu la percer à jour, qu'elle lui raconte ce qui n'allait pas, qu'elle lui dise ce qu'elle avait vécu, ce qui l'avait rendue comme ça. Car on ne né pas comme Eden, c'est la vie qui façonne des personnalités de la sorte.
Ce jour-là, elle ne s'était pas faite belle. Elle qui d'habitude portait de belles robes avec de belles chaussures, s'était fourrée dans un immense sweat gris informe et une vieille paire de baskets usées et sales. Il savait que s'il lui demandait ce qui la tracassait elle s'énerverait contre lui, comme elle le faisait à chaque fois. Il se contentait donc de déblatérer seul sur des sujets superficiels et sans grand intérêt. Tim et Lou' ne les rejoignirent pas, et il savait très bien pourquoi. Le lycée entier les évitait, ou plutôt évitait Eden. Il faisait mine de ne rien voir mais il voyait parfaitement les regards qu'on leur lançait. Comme il faisait paire avec Eden, on l'avait jeté dans le même panier. Et sur ce panier était écrit « psychopathe ». Eden qui était autrefois la fille si classe et si brillante était devenue la folle de service. Ses relations amicales s'étaient considérablement dégradées, tous la regardaient désormais de haut. Et pareil pour Noah. Celui qui était le garçon timide et bienveillant était devenu « l'ami de la folle », voir « le complice ». Il n'avait jamais fait très attention à son image, mais ça l'attristait de voir qu'on le jugeait si facilement. Le point positif de la situation était qu'il avait dorénavant le monopole de l'attention d'Eden. Alors qu'on leur lançait un énième regard rempli de mépris, elle lui attrapa la main et lui glissa à l'oreille :
- Tu es le seul sur qui je peux compter.
Il ne répondit rien, mais un immense sourire étira ses lèvres et le feu gagna ses joues.
Lucas entendait courir de nombreuses rumeurs au sujet d'Eden Grace. Ce dont il avait été témoin avait été déformé et avait pris d'énormes proportions. On disait qu'elle avait passé deux ans dans un hôpital psychiatrique avant d'arriver ici, que si elle ne prenait pas ses médicaments, elle pouvait devenir dangereuse. On disait aussi que c'était elle qui avait mis le feu à la maison de Josh et balancé un journal enflammé chez Léa. Lucas ne croyait en rien ces rumeurs. Eden avait beau être spéciale, il ne voyait pas quelqu'un qui puisse faire du mal aux autres en elle. On avait juste trouvé un bouc émissaire. Ca ne pouvait pas être elle.
L'après-midi cependant, Eden se montra distante. Elle alla s'asseoir loin de lui en cours, et avait l'air de l'éviter. Habitué à ce petit manège, il ne chercha pas à comprendre et la laissa faire. Il profita même de son absence pour aller voir Tim et Lou'.
- Alors, c'est vrai ce qu'on dit ? jeta Tim à la seconde où il les rejoignit.
Noah leva les yeux au ciel, agacé.
- Qu'est-ce qu'on dit sur elle ? demanda-t-il.
Tim et Lou' s'échangèrent un regard, l'air coupable, puis Tim reprit :
- Tu sais, il y a des rumeurs bizarres à son sujet. Certains disent qu'elle a essayé de t'attaquer dans un moment de folie, et tu t'es défendu avec la flamme de son briquet, ce qui lui a brûlé le bout de doigts.
- Mais c'est faux ! Comment vous pouvez croire des conneries pareilles ? s'énerva-t-il, scandalisé.
A croire que ses deux meilleurs amis avaient réellement retourné leur veste.
- Je ne sais pas, c'est vrai qu'elle a un comportement étrange. Se défendit Lou'.
Noah ne répondit rien et se contenta de les fixer, l'air en colère et sourcils froncés.
- Tu sais Noah, ce n'est vraiment pas contre toi, mais Eden est vraiment bizarre. Fit Tim. C'est pour ça qu'on ne reste plus trop avec toi en ce moment, parce que... Bon voilà quoi, on n'a pas trop envie de rester avec elle.
- Vous êtes vraiment injustes les gars !
- Mais bon sang Noah, ouvre les yeux ! Tu es aveuglé par tout l'amour que tu portes à cette fille ! Tu vois bien qu'elle n'est pas comme les autres, qu'il y a un truc qui cloche. Cette fille est NOCIVE, et tu ferais bien de te le rentrer dans la tête avant qu'il ne soit trop tard ! s'exclama Lou'.
Dégoûté, il fit non avec la tête en soufflant avec mépris.
- Pff. Vous êtes vraiment nuls, les gars.
Et sur-ce, il partit loin de ceux qu'il appelait autrefois amis.
- C'est pour ton bien que je te dis ça ! cria Lou' dans son dos.
Document vidéo
La pièce est sombre, simplement éclairée par un rayon de lune qui passe à travers le volet. On ne voit pas le visage de la jeune fille, mais on distingue un corps de profil, une paire de jambes serrées contre un buste.
- Le feu m'a choisi. Fait une voix qui semble sortie de nulle part.
- Il m'a choisie et je l'ai choisi aussi. En m'épargnant de l'étreinte de ses flammes, il m'a damné, il m'a condamné à être celle que je suis désormais.
Elle reprend sa respiration, on dirait que parler lui fait mal, comme si les mots étaient coupants et qu'ils lui arrachaient la gorge dès qu'ils s'échappaient de sa bouche.
- Sans moi pour l'allumer, il n'est rien, mais sans lui pour me commander, je ne suis rien non plus. Nous sommes indissociables. Je suis le feu et le feu est moi.
Elle remonte ses jambes contre sa poitrine, en poussant un soupire.
- Au début j'ai beaucoup pleuré, c'était trop dur. Après tout, je ne voulais faire de mal à personne. D'ailleurs, c'est toujours le cas. Je m'arrange toujours pour qu'il n'y ait aucun mal de causé. Puis, je me suis rendue compte que pleurer ne sert à rien. Mes larmes sont trop frêles pour éteindre ce feu qui brûle en moi.
Soudain, ses jambes se déplie et son visage se trouve face à la caméra. Il est neutre, avec un soupçon de mélancolie.
- Rien de ce que l'on fait peut lutter contre lui. Il est bien plus fort. On peut faire semblant de se battre, mais on sait très bien, toi et moi, qu'on finira en cendre, consumés.
L'écran devient noir.
Fin de la vidéo
A la fin des cours, bien qu'elle l'ait ignorée toute l'après-midi, Eden revint se poser aux côtés de Noah comme par magie. Sans un mot, il comprit que c'était sa manière à elle de lui demander de la raccompagner. Il la suivit donc, continuant un monologue barbant pour combler le silence pesant. Il remarquait l'allure étrange qu'avait Eden, qui s'efforçait de ne surtout pas toucher les bandes blanches du passage piéton.
- Pourquoi tu fais ça ? demanda-t-il, amusé.
Elle haussa les épaules, toujours l'air aussi sombre.
- Un tic.
- Tu en as beaucoup des tics comme ça ? reprit-il sur le même ton rieur.
- Assez oui. Mais tu ne voudrais pas les connaître. Mais parents disent que c'est agaçant.
Elle lui lança ensuite un regard qui signifiait clairement de ne pas continuer sur ce sujet, alors il continua son monologue. Une fois arrivée chez elle, Eden sourit enfin. Elle se tourna vers lui, soudainement rayonnante.
- Merci pour tout Noah, tu es tellement adorable.
Il sortit ses clefs pour déverrouiller sa porte. Il ne voulait pas la quitter. Il l'aimait tant quand elle était comme ça, si chaleureuse et charmante. C'était le visage d'Eden qu'il préférait, celui qui semblait heureux. Pourquoi se séparer alors qu'il savait que cet état n'était qu'éphémère ? La porte s'ouvrit sur une entrée blanche et glaciale. Le silence de la maison vide le frappa. Eden, qui souriait toujours, entra dans la maison. Elle avait passé une journée difficile, un peu de compagnie lui ferait du bien.
- Je peux rester un peu ? s'invita-t-il.
Elle hésita un instant avant d'accepter. Tout heureux, il s'engouffra dans la maison entièrement blanche, si froide, comme pour éteindre le feu qu'était Eden. Ils s'installèrent dans la cuisine et elle lui offrit de quoi grignoter. Ils rirent beaucoup tandis que la conversation voguait de sujet en sujet. Tout se passait à merveille quand la situation dérapa. La conversation dériva, et Noah eut le malheur de lui avouer à quel point il tenait à elle, sans pour autant lui avouer ses réels sentiments. Dès cet instant, l'autre Eden fit apparition. Elle jeta un coup d'œil inquiet à la fenêtre fermée, comme si elle pensait à s'échapper, puis elle explosa. Il pensait avoir à faire à la sombre Eden, celle en colère, mais c'était une toute autre qu'il avait face à lui. C'était une Eden remplie de tristesse. Une tristesse maladive.
- Mais tu n'as décidemment rien compris ! cria-t-elle en se levant subitement.
- Quoi ? bafouilla-t-il en se ratatinant sur sa chaise.
- Mais tu es trop bête ma parole ! Quel crétin !
- Mais enfin, je n'ai rien fait !
- Si, si ! Tu n'as rien compris ! Punaise, mais je ne suis pas une fille pour toi ! hurla-t-elle, d'une voix qui dégoulinait de mélancolie.
Des larmes lui montèrent aux yeux. Elle attrapa son verre et le jeta par terre. Il explosa en morceaux.
- Tu ne devrais même pas trainer avec moi ! Je suis dangereuse Noah ! Je ne peux que tu faire du mal ! Tu es trop bête ! Tu n'as toujours pas compris que c'était moi qui avait mis le feu à la maison de Josh ? Et tout le reste ? Tu ne vois pas que je suis malade, que je suis folle ?
Ce n'est pas le choc qui le heurta, mais plutôt de l'entendre de vive voix. Au fond de lui, il savait que c'était Eden qui avait déclaré l'incendie, tant d'éléments coïncidaient, mais il se bornait à croire que c'était faux. Elle cassa une assiette et s'arrêta d'hurler, haletante, les larmes roulant sur ses joues, pour le regarder de la manière la plus triste qu'on peut le faire.
- Mais qu'est-ce que tu attends ? Pars ! Fais comme tout le monde ! cria-t-elle avant de casser violemment une seconde assiette.
Tout son monde volait en éclat, mais ce qu'il savait, c'est qu'il n'était pas comme tout le monde. Le feu se propage et il avait brûlé le cœur de Noah. Il était déjà trop tard pour lui, son sort était scellé. Il était lié à elle à jamais.
- Mais Eden, c'est trop dur de me demander de te quitter. Je t'aime Eden, tu l'entends ? Je t'aime ! cria-t-il à son tour pour couvrir le bruit de verres qui se cassent. Et je sais bien que tu n'es pas comme tout le monde, je ne suis pas un crétin, mais tu vois, je m'obstine à me dire que tu es plus que ce feu qui brûle en toi, plus que ton cœur brisé et tes doigts brûlés. T'es plus pour moi, c'est tout. Je ne peux pas me détacher de toi comme ça, c'est impossible.
Elle s'arrêta de tout casser pour le regarder une seconde fois, l'air de ne rien comprendre. Puis elle baissa la tête et enfouie son visage dans ses mains en pleurant encore plus fort.
- Je ne peux pas accepter... sanglota-t-elle. Pars Noah, avant que je regrette de t'avoir dit ça et que je t'attire de nouveaux entres mes bras maléfiques. Pars, c'est la gentille Eden qui te dit ça.
Il n'écouta en rien c'est parole et se rapprocha d'elle, pour la serrer dans ses bras.
- Maintenant on est deux à avoir le cœur calciné d'amour.
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