Chapitre 8 : Premier jour
Adriel vient rapidement à ma rencontre. Je suis tétanisée.
- Ça va ? me demande-t-il lentement.
Je lui réponds sans quitter la bête des yeux :
- Pourquoi y a t-il un animal comme lui, ici ?
En le voyant baisser la tête et froncer les sourcils, je dirai qu'il cherche ses mots.
- Elle a un problème, il faut qu'on l'aide.
Je tourne la tête vers lui.
- "Elle" ?
Il me répond en me regardant droit dans les yeux :
- C'est une louve.
Je regarde l'animal.
Elle est dans une grande cage à barreaux avec des restes d'os devant ses pattes. C'est une magnifique louve grise aux yeux ressemblant à deux grosses pierres d'ambre.
- On dirait qu'elle a peur.
Je m'approche d'un pas.
Elle pousse un hurlement à s'en boucher les tympans. Elle se met ensuite à grogner.
Je recule.
Ses yeux reflètent de la détresse mais aussi de l'agressivité.
- Elle a été saillie, il faut qu'on l'ausculte et je ne sais pas comment on va faire.
Il se passe une main dans les cheveux et passe l'autre sur son visage.
- Pourquoi elle n'est pas chez un vétérinaire ?
Il me prend à l'écart en me tirant par le bras.
- Je t'avais dit que mon père avait guéri deux loups.
Je hoche la tête. Il poursuit :
- Tout le monde dans la ville est au courant qu'il a reçu un prix.
Tu m'étonnes, pour une fois qu'il y des ragots à raconter. Tout le monde en parle, dans ce trou paumé.
- C'est pour ça que sur la carte électronique il y a écrit " domestiques ou sauvages". Mon père était vétérinaire, alors quand il y a des soucis avec des animaux dans la forêt, les gens les ramènent ici.
- Ça ne me dit pas pourquoi elle n'est pas chez le vétérinaire, je demande avec désinvolture.
- La clinique vétérinaire est à plus de cinq kilomètres de la ville, et puis, mon père est spécialisé envers les loups.
- Qu'est ce qu'on attend alors ? Il faut qu'on la mette dans une salle, sinon tout le monde va la voir et elle va être encore plus paniquée.
Il se dirige vers la louve sans me répondre, et pousse la cage à roulette jusque dans une salle avoisinante.
La louve essaie de lui attraper les mains à travers la cage. Elle grogne, saute et claque des dents pour essayer d'attraper un morceau de chair.
Je suis Adriel et ferme la porte derrière moi. Je la verrouille.
- Pourquoi as-tu fermé la porte ? me demande Adriel, soucieux. Les personnes qui l'ont amenée sont à l'accueil.
Je crois que je vais exploser, je suis en colère contre les gens qui l'ont ramenée ici. Je hausse le ton au fur et à mesure que je parle :
- À ton avis, pourquoi j'ai fermé la porte ? Elle a peur des gens, elle essaie de se défendre ainsi ses petits. Et puis qu'a-t-elle comme problème ? Elle est juste enceinte ! Pourquoi les gens l'on capturée ? Au fait ils se baladent tout le temps avec une cage en espérant pouvoir attraper un pauvre loup innocent ? Il faut faire interner ses gens alors !
J'ai tout enchaîné d'un coup, c'est peut-être moi qui devrait me faire interner. Je suis essoufflée, j'ai l'impression d'avoir couru un marathon.
- Calme toi, dit Adriel d'une voix douce, ses gens ne l'ont pas capturée, ils la cherchaient. Un homme a dit avoir vu un loup avec une patte arrière tordue. Elle ne pouvait plus se défendre. Son compagnon l'a apparement abandonnée et elle ne peut plus se nourrir. Ils ont juste installé une cage cents mètres plus loin avec de la viande dedans. Elle s'y est traînée et la cage s'est refermée, comme prévu.
Je suis soulagée, je déteste quand on fait du mal aux animaux.
- Et qu'est ce qu'on fait maintenant ?
- On attend mon père.
Il va s'asseoir sur une chaise au fond de la pièce.
Où suis-je d'ailleurs ?
Devant moi à gauche se trouve une deuxième porte. A droite, des étagères avec des tas d'instruments chirurgicaux. Devant les étagères, plusieurs chaises et une table d'auscultation. Il y a les mêmes étagères sur le pourtour de la pièce. Au milieu la cage et derrière moi la porte par laquelle je suis entrée.
Je m'approche doucement de la cage. La louve est allongée et me regarde. Je m'accroupis. Je suis à trois pas de la cage. Elle grogne et me tourne le dos.
Je me déplace en restant accroupie et me campe en face de sa tête. En oubliant les barreaux de la cage, trente centimètres nous séparent.
Elle se redresse et appuie son regard dans le mien. Il n'est plus agressif, j'y vois juste une profonde compassion. De la compassion ? J'ai dû me tromper.
Je la regarde à nouveau mais elle a baissé sa tête et donne des coups de museau dans ses os.
- Elle a faim, m'adressé-je à Adriel, dos à lui.
- C'est incroyable qu'elle te laisse autant approcher, dit une voix inconnue.
Je sursaute et me retourne.
Un grand homme se tient devant moi. Des cheveux noirs comme le jais, une courte barbe de trois jours poivre et sel et des yeux verts émeraude. Cet homme a du charisme à revendre, c'est sûr.
- Kami, je te présente mon père.
Je me relève et viens à sa rencontre.
- Enchanté M.Seilmand.
Je serre sa main. Elle est brûlante, je me retiens de ne pas la lâcher sur le moment. Il inspire et me regarde d'une manière indéchiffrable. Je retire ma main.
Il se détourne de moi, préoccupé.
- Qu'est ce qu'on fait pour la louve ? demande Adriel.
- Je vais regarder sa patte, repond-t-il.
Il marche jusqu'à la cage, mais à environ cinq pas de la louve, elle se met à grogner en se relevant.
Je marche vers elle, dépasse M.Seilmand qui s'était arrêté et cesse de marcher à deux pas d'elle.
La louve me regarde et se rallonge.
- Continue, me demande M.Seilmand.
Un pas après l'autre, je réduit la distance qui nous sépare.
- Ouvre la cage, m'ordonne-t-il.
Je me baisse, l'ouvre et m'assois sur le sol. Je tends une main hésitante vers elle.
Elle me renifle la paume et baisse le museau. Je lui caresse la tête. Ses poils sont doux et épais. D'un coup, je l'entends qui grogne. Ce n'est pas contre moi, elle regarde derrière mon épaule.
Je me retourne et je vois M.Seilmand, qui s'était avancé d'un pas.
- Il faut que tu fasses les soins à ma place, elle a l'air de t'apprécier, me dit-il d'une voix froide.
- Et je dois faire quoi ?
Il est marrant lui, je travaille dans un salon de toilettage pas dans une clinique vétérinaire.
- Approche toi d'elle, et touche sa patte tordue.
Je la laisse me renifler encore une fois la main, et pose les doigts sur sa patte.
Elle retrousse les babines mais elle me laisse faire.
- Et maintenant ?
- Essaie de la bouger en peu.
Je lui prends la patte à deux mains et la bouge doucement. Elle lâche un cri de douleur. Je cesse.
- Elle a mal.
- Il faut que je sache si c'est une entorse ou si c'est cassée. Dis-moi si tu sens une bosse au dessus de ta main.
Je remonte ma main et palpe délicatement sa patte.
- Je ne sens rien d'anormal.
- Bien, maintenant appuie au dessus de sa patte.
Je remonte ma main et appuie doucement. Elle pousse un glapissement déchirant.
- Qu'est ce que tu sens ? me demande M.Seilmand.
- Des petits caillots et je ne touche plus l'os.
Elle commence à me grogner dessus pour que j'arrête.
Je cherche une dernière fois.
- Je ne trouve pas l'os ! dis-je, alarmée.
Je retire précipitamment ma main, en voyant sa tête se rapprocher dangereusement de moi.
Je recule d'un pas. On ne sait jamais. Ce n'est pas parce qu'elle a l'air de bien m'aimer qu'elle est forcément gentille.
Je me retourne pour regarder M.Seilmand. Il a l'air soucieux et frotte sa barbe.
- Il va falloir que tu l'endormes, me dit-il en allant vers les étagères.
- Quoi ? Pourquoi ? je demande d'un air choqué.
Il me répond en cherchant dans les compartiments de l'étagère.
- Elle s'est cassée la patte, il va falloir que je m'en occupe et elle ne veux pas que je m'approche. Donc soit on fait à la manière douce, en l'endormant, ou soit à la manière forte. Comme tu préfères, me dit-il, en me regardant de son regard perçant.
Il s'était retourné et tient une seringue remplie d'un liquide transparent dans la main.
- La manière douce.
Je ne veux même pas savoir en quoi consiste la manière forte.
Je me lève et prends la seringue de ses mains.
- Tu la plantes près de son cou, juste là, m'ordonne-t-il en me montrant une image d'un loup allongé qu'il tenait dans l'autre main.
Je hoche la tête et appuie sur la seringue pour faire sortir les bulles d'air. Je reviens vers la cage en tenant la seringue en bout de bras. Je m'assois devant elle et la caresse. Elle me regarde, ses yeux agrandis par la peur.
- Chut, tout va bien se passer, chuchoté-je aussi bien pour elle que pour moi.
Je lui caresse la tête en la rallongeant. Je continue à lui parler pendant quelques minutes pour la rassurer. En voyant qu'elle a fermé les yeux et posé sa tête sur le sol, je reprends la seringue. Je tâte son cou et plante l'aiguille là où me l'a montré M.Seilmand.
En la sentant se crisper sous mes mains, je me dépêche d'appuyer sur le piston pour lui injecter le somnifère. En lui ayant administrer le produit, je la vois se détendre et entends sa respiration se faire plus profonde.
Je soupire et me redresse vers le père et le fils.
- Bravo, pour une première fois.
La voix de M. Seilmand est froide et distante.
- C'était génial ! se hâte d'ajouter Adriel. Allez viens, je te raccompagne, je crois qu'on a eu assez d'émotions pour aujourd'hui.
Il ne croit pas si bien dire. Je me dirige vers la porte, en le suivant. Je me retourne pour voir une dernière fois la louve. M.Seilmand est penché sur elle mais il me regarde. Ses yeux sont calculateurs et féroces. Je m'accroche au bras d'Adriel et nous nous dirigeons côte à côte jusqu'à ma voiture. J'inspire profondément en pensant au parfum. Il y était tout le temps avec Adriel. Pourtant, maintenant il n'est plus là. Bizarre.
- Tu as été super, ne t'inquiète pas, elle guérira, me rassure-t-il.
J'approuve silencieusement.
- Tu veux revenir demain ?
- Oui, mais sera-t-elle encore là ?
Il fronce les sourcils et baisse les yeux.
- Je ne sais pas. Tu verras ça demain.
Je souris en lui répondant :
- Ok, je t'appelle si je ne viens pas.
- Pourquoi tu ne viendrais pas ?
- Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai un mauvais pressentiment comme quoi ma mère sera là demain.
Il me regarde, perdu.
- Ma mère a changé, on ne s'entend plus depuis que je sais que mon père est mort.
- Comment ça ?
Le regard qu'il me lance est indéchiffrable.
- Jusqu'à mes quinze ans, ma mère essayait de me faire croire que mon père était juste parti. Et puis, du jour au lendemain, elle m'a annoncé qu'il était mort.
Il me regarde, incrédule.
- Ton père est mort ?
Je l'observe, excédée.
- Oui, ça fait deux fois que je te le dis.
- Ce n'est pas possible..., marmonne t-il la tête baissée.
- Je te demande pardon ?
Je ne suis pas sûre d'avoir bien entendue.
- Non rien.
Il a l'air choqué. Puis, son visage laisse transparaître de nouvelles émotions. Le doute, l'espoir pour laisser place à la détermination.
- Je dois y aller, à demain !
Il part presque en courant vers le salon.
Qu'est ce qui lui arrive ?
Je crois bien que ce gars est soit complètement fou, soit bipolaire. Les deux cas lui irait bien. Je monte dans ma Twingo et prends la route. En quelques secondes, je me perds dans le fil de mes pensées.
Cette louve était incroyable. Était-ce réellement de la compassion dans ses yeux ? Si oui, pourquoi ?
J'en ai marre que mes journées soient aussi bizarres. Sans parler de M.Seilmand. La froideur et la distance qui se lisait en lui était terrifiante. Il faut que j'arrête de penser, maintenant. Je trifouille ma radio à la recherche de musique. Je tombe sur Running With The Wolves, de Aurora.
Je me mets à chanter à tue-tête, et totalement faux. Mais j'aime bien, ça me détend. Arrivée chez moi, je veux monter directement dans ma chambre, mais une odeur me retient. Ce n'est pas le parfum boisée habituel. Celui-ci est fort, et me fait retrousser le nez. J'allume la lumière pour m'assurer qu'il ne se passe rien mais l'interrupteur est bloqué.
Mais ce n'est pas vrai, où est passé la chance ces derniers jours ? J'ai vraiment un problème avec l'électricité. Je vais à l'autre bout de la pièce pour appuyer sur le deuxième interrupteur. Celui-ci marche. La pièce est inondée de lumière. Je me couvre les yeux. Elle est beaucoup plus jaune que d'habitude. Je m'efforce de faire battre mes paupières en me rappelant pourquoi je l'avais allumé. Je ne vois rien de suspect. Je l'éteint et monte en quatrième vitesse dans ma chambre.
Je me dirige vers la salle de bain pour prendre ma douche lorsque je sens de l'air. Je m'arrête dans mon élan. Il y a courant d'air mais pas que, l'odeur qui était en bas est à présent dans ma chambre. Sa puanteur est si forte que je crois que je vais m'évanouir.
Je devine que l'air vient de ma fenêtre qui est maintenant ouverte. Je n'ose pas me retourner. Les odeurs que je sens ses derniers temps appartiennent à des personnes. Ce qui veut dire qu'il y a quelqu'un dans ma chambre. Une personne que je ne connais pas.
Je prends mon courage à deux mains et me retourne d'un coup. Ma fenêtre est grand ouverte mais je ne vois personne. Je me précipite pour la fermer. Je soupire de soulagement. J'avais du mal la refermer.
Je me retourne et marche vers ma salle de bain. Avant que je comprenne ce qui m'arrive, on me frappe violemment sur la nuque. Je m'écroule sur le sol.
La dernière chose que je vois avant, une nouvelle fois, de sombrer dans les profondeurs de mon esprit, est une grosse paire de bottes noires, campées à vingt centimètres de mon visage.
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