qui
— Peu importe le chemin, les voies détournées ou les raccourcis, tu finiras toujours par arriver à bon port, là où tu te sentiras à ta place — parce que tu dois laisser ton cœur te guider si tu veux être heureuse.
J'avais choisi d'aider Aristide. Peut-être que c'était le destin qui nous avait poussées à nous rencontrer, que les étoiles avaient prédit que nous nous aiderions. Aristide ne le savait pas, mais son discours venait de m'aider. Depuis la mort de ma grand-mère trois ans auparavant, ma vie avait implosé. J'avais perdu tous mes repères, et l'une des rares personnes que j'appréciais vraiment. Je m'en rendais compte seulement maintenant, mais je m'étais perdue. Restée coincée entre enfance et âge adulte, pas vraiment dans l'adolescence, pas vraiment dans le réel, j'avais perdu de vue qui j'étais véritablement. Pourtant, moi aussi, j'avais été comme Aristide. Une adolescente perdue et en pleurs, qui ne savait pas comment elle allait survivre dans ce grand méchant monde. Mais j'avais aussi trouvé ma voie, j'avais trouvé quelque chose qui me rendait heureuse. Je n'aurai jamais dû oublier cette période de rêves, où je refaisais le monde. Maintenant, c'était au tour d'Aristide, et je comptais bien l'y aider.
— Toutes ces questions que tu te poses, je suis passée par là, moi aussi. Comme tout le monde, je suppose, cela dit. Je ne sais pas vraiment comment j'ai fait. Peut-être que j'ai eu la chance de tomber sur les bonnes personnes, celles qui m'ont soutenue jusqu'à aujourd'hui. Peut-être que j'avais plus de force que ce que je m'imaginais. Je ne sais pas. C'est vrai, l'adolescence n'est pas une phase facile à traverser, ni agréable. Je me suis questionnée exactement de la même manière que toi. Ça ne sert à rien de t'en vouloir parce que tu te sens égoïste — toi aussi, tu as mal. C'est pas parce que c'est pas grand-chose que c'est pas douloureux. Et il ne faut pas le garder pour toi. Je sais ce que c'est, ce vide en toi, cette envie de te rouler en boule et de pleurer jusqu'à te dissoudre dans l'existence. Tu n'es pas seule. Tu ne l'as jamais été. Partout dans le monde, des gens sont comme toi. Des inconnus, des riches, des malheureux, des célébrités, des gens de passage. La douleur et les questions font partie de l'existence. La souffrance a besoin d'être ressentie, c'est ce qui te prouve que tu es en vie. Mais il faut aller au-delà de ça. Il faut dompter cette souffrance, que tu lui montre que c'est toi, la maîtresse de ton destin. Que peu importe les coups dans le dos que la vie te fera — parce qu'elle t'en fera, sois-en certaine — tu es plus forte qu'elle. Aristide, t'es une battante, ça se voit. Tu parles à une fille rencontrée sous la pluie il y a pas une demi-heure ! T'es forte, laisse pas la vie gagner sur toi.
Aristide m'a regardée quelques instants, un peu hébétée. Et elle a éclaté en sanglots.
Je me souviens très bien avoir paniqué en l'observant. Qu'étais-je censée faire ? La réconforter ? Faire comme si je ne voyais rien ?
Et puis j'ai décidé que trop de gens déjà ne voyaient rien — ou plutôt choisissaient d'être aveugle. Si ce petit brin de femme en était venue à se confier à une étudiante dans son salon à la décoration du siècle dernier, c'était probablement que personne ne remarquait son malheur, ou que tous choisissaient d'ignorer ses fusées de détresse.
Alors, tout doucement, comme pour éviter d'effrayer cet oiseau blessé, je me suis levée avant de m'asseoir à côté d'elle. Toujours aussi délicatement, j'ai passé mon bras autour de ses épaules, et je l'ai serrée contre moi.
Aristide pleurait sans retenue, aucune trace de honte alors qu'elle sanglotait. Et il n'y avait pas de honte à avoir. Lorsque quelqu'un pleure, ce n'est pas qu'il est faible, mais plutôt qu'il a été fort trop longtemps. Et Aristide avait besoin de pleurer en ce moment-là ; il était hors de question que je la prive de cette libération.
Je me plais à penser que j'ai bien agi. Je ne sais pas exactement combien de temps nous sommes restées ainsi, Aristide sanglotant sur mon fauteuil favori. Je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé pour que nous en arrivions là. Je ne sais pas exactement comment j'ai réussi à m'attacher à ce petit bout de femme, cent pour cent courage, et en si peu de temps. En revanche, lorsqu'elle est repartie, les yeux un peu rougis et le cœur ébahi, elle a murmuré un simple "merci".
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