Laurie ne va pas réussir à tenir jusqu'à la fin du mois — elle le sait. Elle est serveuse dans un bar depuis que, en apprenant sa position de mère célibataire, son chef a trouvé le premier prétexte possible pour la renvoyer. Pas de femmes avec un enfant et sans mari — il ne l'a pas dit, mais elle l'a deviné. Quel con.

Laurie devait tout de même toujours prendre soin de sa mère malade, et de sa petite fille qui venait de naître. Comment gagner l'argent ? Les aides ne suffisent pas, les créanciers la harcèlent. Son ex-mari laisse derrière lui ses dettes, à côté de son cœur en miettes.

Les gens ne comprennent pas pourquoi elle l'a quitté. Si gentil, si serviable, si aimable –– l'homme parfait. Cependant, une fois à la maison, il ôtait son masque, et redevenait un abruti imbu de lui-même. Laurie était son esclave. Et quand, enfin, elle avait trouvé le courage de le quitter, il avait menacé de s'en prendre à elle et à leur fille. La police avait dû intervenir, mais Laurie n'avait pas voulu que ça s'ébruite. Honte de l'avoir épousé ou dernière bribe de gentillesse à son égard ? Elle n'aurait su le dire.

Toujours est il que, maintenant, elle est seule et n'a plus d'argent. Comment s'en sortir ? Elle sait qu'elle n'arrivera pas à régler toutes ses factures à la fin du mois. Elle ne peut pas abandonner, cependant. Elle ne peut pas s'offrir ce luxe. Elle se reposera lorsque celles qu'elle aime seront en sécurité.

Alors, avec l'énergie du désespoir, elle attrape entre ses dents toutes les opportunités qu'elle a pour gagner de l'argent. Les petits boulots, les jobs à temps partiel, elle supporte tout — même les remarques déplacées. Elle n'est plus à ça près.

Mais Laurie plonge de plus en plus profondément dans une spirale très dangereuse. Plus elle travaille, plus elle se ruine la santé, le corps et l'esprit. Mais elle ne peut pas s'arrêter de travailler, elle n'en a pas le droit. Elle a même dû se résoudre, pour arrondir ses fins de mois, à accorder à son nouveau patron ce qu'il voulait. Pas grand-chose, quelqu'un d'autre que sa femme, alors elle ferme les yeux et attend que ça passe. Parfois, il la paye un peu plus, et elle peut donc passer au mois suivant avec appréhension.

Mais ça ne suffira pas, et elle le sait. Alors elle prend des cours, le soir, pour se sortir de sa situation, parce qu'elle ne pourra pas tenir éternellement comme ça. Mais ça ne marchera pas, et elle ne le voit pas encore.

Laurie a à peine quarante ans, et elle joue une course contre elle-même, face à une ligne d'arrivée qui ne cesse de reculer.