ciel

Je m'apprêtais à lui répondre, mais quelque chose dans son attitude m'indiqua qu'elle n'avait pas fini. Alors, je l'ai laissée faire. Les mots sortaient précipitamment de sa bouche, comme si celle-ci était trop petite pour tous les contenir, comme si elle ne pouvait plus les retenir plus longtemps.

— Je me sens juste mal. Globalement. Comme un trou dans mon cœur, comme des larmes dans ma tête, et ça veut pas sortir. Dès que je parle de moi, comme maintenant, je me sens carrément égoïste, parce que je sais que beaucoup vivent carrément pire que moi. Ils ont besoin d'attention et je suis là, à parler pour rien.

Maintenant, elle pleurait. Cette fois, plus de pluie, elle laissait les larmes de son cœur glisser librement sur ses joues. Ma fierté me dictait qu'elle se laissait aller de la sorte grâce à moi, mais ma raison m'incitait plutôt à croire qu'Aristide avait gardé la face trop longtemps.

— En plus je sais même pas pourquoi je suis comme ça, et ça m'énerve. Je veux dire, j'ai pas de raisons pour me sentir aussi...aussi vide ! Quand je parle de ce que je ressens, je me sens tellement seule. Personne autour de moi ne semble sentir ce qui fait exploser mon cœur. Je suis seule, seule, seule, seule, merde ! Et comme personne ne comprend, ça sert à rien que je parle. Je me suis fabriqué un joli sourire en plastique, et personne ne remarque que mon cœur pleure. Si je voulais être fière et pleine de mauvaise foi, je dirai que je ne pleure jamais et que tout va bien. Mais c'est un mensonge, et je ne mens qu'aux autres. Alors je pleure sous la pluie, là où personne ne me voit, là où le ciel chiale avec moi, là où je me perds parmi les gouttes, là où j'oublie tout jusqu'à m'anesthésier la mémoire.

Aristide avait terminé son discours. Ses mains tremblaient tellement qu'elle manqua de renverser son thé lorsqu'elle en but une petite gorgée, ses larmes dévalaient ses joues comme deux torrents lors de la fonte des neiges, elle était presque à bout de souffle, mais elle paraissait vivante, enfin. Elle ne se cachait plus. Paradoxalement, elle paraissait majestueuse.

Comme si elle avait retenu sa respiration un peu trop longtemps, comme si enfin sa tête émergeait de l'eau, comme si enfin elle s'arrêtait de tomber, le regard d'Aristide brillait d'une flamme farouche, celle des mots trop longtemps cachés. Disparu, le sourire mélancolique. Envolé, le froid mordant des mots qu'on ne savait prononcer.

Elle paraissait soulagée. Un peu comme si, après tellement longtemps à pleurer seule sous la pluie, à se questionner seule dans le noir, elle avait fait sortir toutes ces questions qui encerclaient son cerveau.

Je me sentais presque honorée d'être l'oreille à laquelle elle avait choisi de se confier de la sorte. Après tout, j'étais une inconnue, et ce n'est pas facile de livrer les tourments de son cœur à quelqu'un que l'on ne connaît pas. Je pense que ce qui a poussé Aristide à me faire confiance pour la deuxième fois de la journée était que nous ne nous reverrions probablement jamais. 

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