Chapitre vingt-quatre

SEKHIR

Je n'étais pas serein de passer par des routes aussi visibles par les brigands, les marchands et les possibles membres de la Guilde Shotet. Nous n'étions plus en Astalos ou certaines personnes pourraient être des alliés et d'autres non. Nous étions rentrés sur un territoire qui n'abritait que des personnes poussées par le profit, le meurtre étant simplement une des façons d'y arriver.

Le profit était la façon même de vivre et le fait que la Guilde Shotet soit aux commandes du pays ne faisait qu'accentuer cette idée. Renfri était repérable et je l'étais aussi, malgré nos capuches et notre discrétion. Malheureusement, nous devions traverser Kagy et aller à Gylf. Ce n'était pas forcément mon chemin préféré, mais je n'en connaissais pas d'autres. Du moins, pas assez pour m'aventurer ne serait-ce que sur un sentier non indiqué. Nous avions peut-être moins de risques de nous faire attaquer sur les chemins, ce qui était complètement paradoxal. Plongé dans mes pensées et mes doutes, je ne vis pas Renfri grogner et gigoter sur son cheval.

— On peut faire une pause ? soupira-t-elle.

Le soleil était haut dans le ciel encore et il nous restait du chemin jusqu'à l'endroit où je souhaitais m'arrêter. Si je suivais bien la carte qu'on nous avait gentiment laissée dans nos sacs, nous n'étions plus si loin que ça de Gylf et ma nervosité ne cessait d'augmenter. Si je commençais à être vraiment nerveux, j'allais faire des erreurs et je détestais faire des erreurs.

Je nous trouvai une toute petite oasis pour que nous puissions nous arrêter sur le bord du chemin. Renfri gémit de douleur en glissant du cheval et elle écarta ses pieds, comme pour éviter que ses cuisses ne se frottent. Je fronçai les sourcils et m'approchai d'elle après avoir attaché les deux chevaux à l'arbre. Je m'agenouillai devant elle et tirai doucement sur son pantalon, il y avait un peu de sang au niveau du haut de ses cuisses. Pendant un instant, je me fis la réflexion que Renfri avait peut-être ses menstruations et que je n'y avais franchement pas réfléchie, mais elle posa sa main sur mon épaule et couina un instant.

— Le frottement de la selle, chuchota-t-elle d'une petite voix désolée.

Je grimaçai, sentant la culpabilité me nouer la gorge. Je poussai le corps de Renfri à ses plus hautes limites et je ne faisais même pas attention à correctement la soigner. Comme nous étions à l'abri du chemin, je me mis à défaire la ceinture qui retenait le pantalon de Renfri.

— Sekhir ! couina-t-elle en voulant retenir mes mains.

— Il faut au moins bander tes cuisses pour qu'elles se reposent un peu. Je peux te montrer aussi une autre position pour monter à cheval sans que ce soit trop douloureux.

Renfri eut à peine le temps de me retenir que je descendais déjà son pantalon en toile sur ses genoux. J'aperçus le tissu de sa culotte, mais tentais de ne pas me laisser perturbé par autre chose que les deux grosses marques rouges. Elle avait dû avoir des ampoules au début, mais elles avaient explosé depuis longtemps et il ne restait que la chair à vif. Renfri n'avait rien dit jusque-là, parce qu'elle savait que je voulais qu'on avance le plus possible.

— Tu aurais dû me le dire plus tôt, soufflai-je en caressant doucement l'extérieur de sa cuisse.

— Désolée, dit-elle d'une petite voix.

J'allais chercher ce qu'il fallait dans la trousse de soin que j'avais découvert en fouillant le reste de nos bagages. J'y trouvai ce que je voulais : deux bandes et une crème grasse qui apaiserait la brûlure. J'en imbibais les bandes et me mis à enrouler tout ça autour de la première cuisse de Renfri qui se tint à moi ses deux mains sur mes épaules. Je réitérais l'opération sur son autre cuisse et vérifiai si tout tenait bien.

En relevant mon regard sur Renfri pour lui dire que tout irait bien, je reçus une larme sur le visage. Renfri renifla et tenta d'essuyer les autres larmes, mais ses sanglots se déversèrent soudain de son corps et elle se mise à trembler. Je remontai son pantalon sur ses fesses et nouai rapidement sa ceinture.

— Ren, soufflai-je en caressant sa joue humide.

— Et... Et si je n'y arrivais pas ? Et si on faisait tout ça pour rien ? sanglota-t-elle en s'accrochant à mes bras.

Lentement, j'enroulai mes mains dans ses cheveux et la pressai contre moi. Je ne voulais pas qu'elle soit dans cet état-là, parce qu'à partir du moment où on lâchait prise, il était très compliqué de retourner combattre. On le voyait souvent chez les soldats qui se battaient sur de longues années. Ce moment où l'espoir était une toute petite flamme et que les blessures n'étaient que du vent, prêt à souffler dessus. Tout devenait trop, tout devenait insupportable. Tout devenait inutile.

— Je ne t'aide même pas assez pour que tu puisses dormir un peu la nuit, renifla-t-elle contre mon torse.

— Tout ira bien, Renfri, murmurai-je. Tant qu'on est tous les deux et qu'on avance ensemble, tout ira bien. Je te le promets.

Je la câlinai encore un peu jusqu'à ce qu'elle réclame à boire et s'essuie les yeux d'elle-même. Elle but plusieurs gorgées et me fit signe que nous pouvions repartir. Quand elle tenta de remonter sur son cheval, je la stoppai, mes mains sur ses hanches.

Je me penchai contre son oreille.

— Soulageons tes cuisses, marmonnai-je.

Elle rougit un peu et détourna son regard quand je la fis pivoter vers moi. Elle se mordit la lèvre quand mes mains agrippèrent ses hanches. Je la soulevai facilement, légère comme elle était et la déposai sur sa selle, les deux jambes d'un seul côté.

— Tu peux aussi bloquer ton genou ici, dis-je en pointant le haut de la selle. Pour te donner un peu plus de force, mais sinon, tu devrais réussir à conduire ton cheval seulement avec tes brides.

Elle hocha la tête. Je pressai son genou pour qu'elle me regarde.

— Je ne compte pas partir, Ren, soufflai-je. Tu le comprends n'est-ce pas ? C'est toi et moi maintenant. Je t'aiderais à trouver ce que tu cherches.

Elle sourit doucement et tapota ma tête. Je lui souris en retour et dénouai les brides de son cheval. Elle se remit en mouvement et je la rejoignis rapidement.

Nous réussîmes à atteindre un bazar très connu qui n'était pas si loin que ça de Gylf. Ne souhaitant pas m'aventurer dans la ville en voyant la nuit qui commençait à tomber, je pris le pas de m'arrêter à Azekk. Le Bazar d'Azekk était reconnu parmi tout le continent pour toutes ces petites affaires qui s'y déroulaient, qu'elles soient recommandables ou non.

Marchant à côté de nos chevaux, nous découvrîmes les différents stades d'un œil curieux. Renfri se penchait souvent pour renifler certaines odeurs ou toucher de très beaux habits.

De la musique résonnait autour de nous, lançant et faisant résonner des douces mélodies, ou parfois des mélodies plus entraînantes. Renfri esquiva un signe qui sautait sur les différents stands, ainsi que deux autres animaux qui ressemblaient fortement à un singe, mais qui avaient quelques pattes en plus ou quelques yeux.

Je souris en la voyant frôler les étoffes magnifiques en soie. Cette matière était très prisée ici, en Kagy. Elle était souvent vue comme le tissu des chefs.

Ici, il n'y avait pas de Roi à proprement parler. Ni de Reine d'ailleurs. Ceux qui menaient le pays n'étaient autres que les membres de la Guilde Shotet.

Il y avait une légende ici, qui soufflait que le Haut-Maître de la Guilde fût habité par le dieu Sotev, un grand guerrier qui avait été vu comme le meilleur combattant de tous les temps. C'était une légende évidemment, mais la partie de moi, celle qui avait été âgée d'une dizaine d'années quand mon père m'avait raconté cette histoire, y croyait encore. Nous trouvâmes un endroit où les marchands plantaient leurs tentes pour dormir et réussîmes à payer pour un tout petit emplacement. Tout se payait ici, franchement.

La nuit était en train de tomber quand Renfri me posa la question concernant le souverain de Gylf. Elle avait entendu des histoires et avait appris certains faits avec ses précepteurs, mais elle se doutait que des détails ne correspondaient pas à la réalité.

— Je ne suis pas sûr que prononcer son nom soit une bonne idée, admis-je en regardant la nuit autour de nous.

Il y avait quelques tentes autour de nous, mais rien de consistant, rien ne m'assurait une réelle sécurité. Je savais que nous n'étions pas en sécurité ici, mais je ne pensais pas qu'on nous attaquerait frontalement avec les trois ou quatre marchands qui se trouvaient là. Du moins, s'ils étaient encore dans leur tente. Ce qui n'était pas une évidence à ce stade.

— Il pourrait l'entendre ? chuchota Ren en regardant autour d'elle.

Comme d'habitude, elle était cachée dans la tente sous sa petite couverture. Nous avions allumé un petit feu, rien qui ne pourrait être dangereux à ce stade, juste histoire de se réchauffer les pieds. Le soleil n'était plus haut dans le ciel, la température descendait donc assez vite.

— Je ne sais pas, admis-je en haussant mes épaules. Je sais juste que la Guilde est partout et qu'elle écoute tout. Mon père m'a toujours dit qu'il fallait faire attention aux oreilles qui traînent.

Un léger silence puis Renfri se redressa sur ses coudes, m'observant à travers les quelques flammes. J'étais appuyé contre un petit rondin de bois, les deux chevaux dormaient derrière moi.

— Est-ce que ton Père te manque ? me demanda Renfri.

Je clignai des yeux un instant.

— Et Dhugaa ? ajouta-t-elle précipitamment.

— Nos chemins n'étaient pas voués à se croiser de nouveau, répondis-je sincère. Je l'ai toujours su. À partir du moment où ton père m'a demandé de veiller sur toi, je savais que ma famille ne serait pas ma priorité pour toujours.

— C'est dur, souffla Renfri.

— Ren, remarquai-je. Je veux être à tes côtés pour la suite, tu en as conscience ?

Elle baissa les yeux et soudain, un bruit nous fit redresser la tête.

Je pris l'épée à côté de moi, qui n'était autre que ma lance. Tant que je ne toucherai pas mon bracelet, elle n'apparaîtrait pas. L'homme était plutôt grand, bien bâti, le regard curieux. Il ne semblait pas sale, pas étrange. Néanmoins, je reconnus immédiatement le foulard rouge de la guilde Shotet à sa ceinture. Tout le monde n'était pas au courant de ce signe distinctif, mais je le savais pour l'avoir appris par un membre de la Guilde lui-même.

— Bien le bonsoir, dit-il. J'ai quelques victuailles pour vous si vous en avez l'envie. Y a beaucoup de voyageurs qui viennent par ici, c'est toujours bien d'avoir un peu de nourriture.

Renfri était assise à présent dans sa tente, regardant l'homme s'approcher avec peur et inquiétude.

Lentement, je me levai. C'est là que mon regard perçut les deux autres personnes dans le noir profond quelques mètres derrière lui. Je pris une profonde inspiration et gardai mon calme.

— Que voulez-vous ?

— Rien mon bon seigneur. Juste cette petite offrande pour vous et votre ... femme.

J'ouvris la bouche pour dire que ce n'était pas ma femme, mais je ne le détrompai pas. L'homme déposa les quelques victuailles à quelques mètres de mes pieds, mon épée pendait à ma main droite.

— Désolé pour le dérangement, dit-il en levant une main.

À ce moment, j'entendis un arc qu'on bandait. J'eus à peine le temps de plonger au sol que la flèche frôla ma tête.

Merde !

Quelqu'un me percuta de plein fouet sur ma droite et le cri de Renfri retentit avant que je ne crie de douleur en sentant un coup de poignard se loger dans mon flanc.

Le visage de l'homme au-dessus de moi était habité par la folie pure. Il souriait cet enfoiré.

Mon coude heurta sa tempe. Il explosa de rire en roulant sur le côté et se mit à siffler. J'eus à peine le temps de ramper pour toucher mon épée que déjà elle se transformait en lance.

Je regardai mon bracelet. Il s'était détaché.

Bon sang...

Je me relevai, le flanc pulsant de douleur. Je touchai la tache de sang et maudis les elfes de nous avoir envoyé ici. Peut-être qu'après tout, celui qui parlait dans ma tête les avait poussés à nous envoyer ici.

À notre propre mort.

— Princeeeeesse ! appela quelqu'un. Où es-tuuuu ?

Je clignai des yeux et pivotai. Un homme s'approcha en sautillant, ses cheveux courts volant autour de sa tête comme s'il était aussi léger que l'air et qu'il flottait dans la nuit.

Je posai mon regard sur Renfri, mais elle n'était plus dans la tente. Je tentai de ne pas stresser, mais déjà mon regard la chercha. Je la repérai derrière les chevaux qui s'étaient relevés à cause du bruit.

— Vilain vilain kidnappeur ! s'écria le second en penchant doucement la tête. Tu n'aurais pas dû voler la princesse à Sa Majesté. Elle a plein d'argent et plein de soldats. Et ici, on aime l'argent. Tu le sais n'est-ce pas ?

— Vous vous trompez de personnes, soufflai-je en cachant le bout de ma lance dans mon dos.

— La personne qui t'a donné le bracelet aurait dû te prévenir que la magie des elfes ne fonctionne pas pour tout le monde, Foudre, cracha le premier homme, celui qui m'avait poignardé.

Renfri se mit à courir vers moi et je la cachai dans mon dos. Je pris une longue inspiration et la douleur du poignard s'intensifia. J'avais déjà combattu avec pire.

La douleur n'était qu'un état d'esprit. Rien dans mes organes vitaux n'avait été touché. Je pouvais continuer de bouger.

— Donne-nous la princesse sans écart, la Foudre, et peut-être qu'on te laissera t'échapper, dit le second homme sur un ton toujours aussi guilleret.

— On s'en fout qu'il nous la donne gentiment ou pas. Il n'y avait qu'elle qu'il faut avoir vivante, cracha l'idiot qui m'avait blessé.

La troisième personne qui se cachait dans l'ombre en sortit enfin. Une magnifique femme à la chevelure dorée et la peau sombre. Ses yeux étaient d'un vert magnifique et pendant un instant, je me fis la réflexion que c'était sûrement un dragon. Puis l'instant passa et je sentis Renfri sortir sa dague.

— Sekhir Nehguath et Renfri Dragnir. En chair et en os, énonça la femme. Que vous êtes beaux tous les deux ! Vrak sera content d'apprendre que nous vous avons enfin retrouvé. La récompense qu'il distribue est alléchante, la Foudre. Tu comprendras pourquoi nous exécutons donc les ordres.

— Vous marchez au profit, soufflai-je. Je peux vous donner le double de ce qu'il propose.

La femme éclata d'un doux rire qui fit dresser mes poils sur mes bras. Cette femme n'était pas simplement humaine, de ça j'en étais sûr à présent.

— Sekhir, souffla Ren, sentant elle aussi que quelque chose n'allait pas.

Je les vis s'approcher. Un quatrième. Puis un cinquième. Un sixième.

Au total ils furent dix autour de nous.

Pendant un instant, je crus que nous pourrions nous en sortir. J'avais déjà combattu un nombre bien plus important d'adversaires. Peut être pas en même temps, mais j'avais réussi. Diminué par une blessure et inquiet pour Renfri, je ne savais pas si je pouvais m'en sortir.

Le premier attaqua et Renfri roula au sol pour me donner de l'espace. Je l'entendis pousser un cri quand un homme l'attaque de son côté. Je priai pour qu'elle réussisse à se défendre, assez pour que j'arrive l'aider.

Mon premier adversaire ne fit pas long feu face à moi et finit découpé en deux par ma lance, son corps se déversant de ses entrailles sous mes yeux.

Mon second adversaire me laissa une trace sur le visage, ainsi qu'un coup de sabre sur le bras. Je finis par lui trancher la tête.

Mes deux adversaires suivants eurent presque raison de moi, uniquement à cause de l'archer qui ne cessait de nous tirer dessus. J'évitai une flèche, mais me pris un coup brutal de genoux dans la tempe. Je tombai par terre, mais déjà Renfri sautait sur l'homme en criant.

Je réussis à trancher la jambe de l'autre avant qu'une flèche ne se fige dans mon épaule.

Mon hurlement brisa la nuit, mais j'étais debout pour regarder Renfri tuer un autre homme.

Elle me regarda avec de grands yeux, le souffle court et la dague pleine de sang.

— Attention à tes appuis, grognai-je.

Elle n'eut pas le temps de me répondre, car trois autres hommes fonçaient sur nous. L'un d'eux cassa la flèche que j'avais l'épaule et je fus désarçonné par la douleur et pendant un instant je vis flou.

Assez pour que la femme du début s'approche de moi avec un poignard qui n'avait franchement pas l'air engageant. Si elle me touchait avec ça, j'étais presque sûr de mourir à cause du poison.

Un nouveau coup m'atteignit et celui-ci me laissa à terre quelques secondes. Assez pour que quand mes paupières se rouvrent, la femme soit au-dessus de moi, son poignard non loin de ma gorge.

Mes réflexes me sauvèrent la vie. Si mon bras l'empêcha d'avancer plus avec sa dague, mon genou heurta sa rotule et elle bascula en hurlant sur le côté.

Je ne perdis pas de temps pour enfoncer sa propre dague dans son crâne.

En me redressant pour voir Renfri, je pivotai sur ma gauche et je ne vis la flèche qu'au dernier moment.

Je la reçus en plein torse et la douleur me fit tomber une nouvelle fois à genoux.

Je clignai des yeux, observant le visage ravagé de Renfri.

Surtout, veille sur elle.

Surtout, ne la laisse pas seule.

— Ren, murmurai-je.

Je crus voir ses yeux changer de couleur, mais je fus certain que c'était mon esprit qui rendait les armes.

Je sentis mon corps basculer sur le côté.

Au même moment où un hurlement résonna.

Un hurlement qui fit vibrer tous mes os.

Un hurlement qui se changea en tempête.

Ne la laisse pas seule. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top