Chapitre vingt et un
SEKHIR
La forêt était calme après cette soirée de fête et de célébrations. Tout cela m'avait rappelé nos propres coutumes, dans mon clan. À quel point tout cela me paraissait loin et inachevé d'une certaine façon. Je frôlai mon poignet, ne sentant plus le bracelet rouge que j'y avais porté durant une bonne partie de ma vie.
Qu'avait fait Père ? Quelle décision avait-il prise ? Me croyait-il vraiment coupable ? Non. Bien sûr que non, il savait très bien quel fils il avait élevé. Lui-même avait toujours eu des doutes quant à Maesuka. Je savais qu'il n'allait pas garder sa place de Général. Il n'aurait pas voulu faire cet affront à notre clan, pas à cause de moi ou des médisances qui avaient pris le pas sur ma réputation jusque là intacte.
Je m'étirai quand le soleil frôla mes épaules dans mon dos. Renfri avait dormi du sommeil du juste, trop anesthésiée par toute la boisson qu'elle avait ingérée. Je frôlai ma bouche au souvenir de ce qu'elle m'avait donné hier soir. Le souvenir n'était pas devenu flou, bien au contraire. Il était devenu vivace, il me hantait, me rappelait à chaque instant quel serment j'avais prêté pour qu'elle reste en vie et en sécurité.
Il me rappelait à chaque instant toutes les sensations que ses lèvres sur les miennes avaient fait naître.
Je n'avais jamais annoncé aucun sentiment à la Princesse. Renfri est un peu plus jeune que moi et elle n'avait pas ces préoccupations-là dans la tête. De mon côté, j'avais toujours très bien su que je n'avais aucun sentiment pour Dhugaa. Je n'en avais jamais eu et n'en aurais éventuellement jamais eu, selon la position que j'aurais pu prendre à un moment de ma vie.
Je pris une longue inspiration, ne sachant même plus vers quoi me diriger au final. Renfri avait toujours eu une place dans mon cœur, mais je ne pouvais pas succomber à mes sentiments maintenant. Nous étions en fuite et nous allions le rester pendant un certain temps. Je ne pouvais pas me permettre d'être distrait par tout ça. Se souvenait-elle seulement de son baiser ? Ça aurait été drôle qu'elle l'oublie parce qu'elle avait trop bu.
Je retirai mes doigts de mes lèvres en entendant un cri. Je bondis sur mes pieds, chancelant sur le bord de la nacelle sur laquelle j'étais et qui permettait de descendre vers le sol.
— SEKHIR ! cria de nouveau la voix de Renfri.
Je pivotai, prêt à la rejoindre pour la rassurer, mais elle déboula de la petite cabane et fonça sur moi. Je ne sus comment nous réussîmes à éviter la chute, mais en tout cas nous étions encore là-haut, en un seul morceau quand je refermais mes bras sur Renfri.
— Ren ? soufflai-je.
— J'ai... j'ai cru que tu étais parti, murmura-t-elle son nez et sa bouche contre mon torse.
Je haussai un sourcil et glissai mon doigt sous son menton. Elle garda les yeux baissés pendant quelques secondes avant de croiser mon regard. Ses joues rougirent doucement, se rappelant sûrement ce qu'elle avait fait la veille.
— Je ne vais pas partir, Renfri, dis-je d'une voix ferme. Tu le comprends n'est-ce pas ?
_Quelqu'un d'autre l'aurait déjà fait, continua-t-elle de parler contre mon torse, le visage toujours coloré.
Je tapotai sa tête en souriant doucement et me penchai pour parler contre son oreille.
— Je ne suis pas quelqu'un d'autre. Tu le sais hein ?
Elle releva lentement son visage vers le mien et son nez effleura le mien. Pendant quelques secondes, je me demandais si j'avais encore le droit de succomber à cette envie de l'embrasser, mais je me redressai avec douceur, tapotant son nez.
— Tu n'as donc pas les mauvais traitements de l'Amplerain ? minaudai-je en posant ma main sur son front.
Elle n'avait pas chaud et semblait être plutôt éveillée. Avait-elle vraiment eu peur que je l'abandonne ? En serais-je seulement capable ?
Hors de question.
Jamais je n'abandonnerai la Princesse.
Pas vivant.
— Je vais bien, marmonna Renfri en poussant doucement ma main.
Je ris et secouai ses cheveux, comme quand elle était plus jeune et que je faisais l'adulte. Elle se courba un peu sous ma prise avant de regarder autour d'elle. Le village était calme de si bon matin. Nous allions pouvoir reprendre notre route, ne mettant ainsi personne en danger en restant trop longtemps ici. Je ne voulais pas que ce peuple rencontre des problèmes à cause de nous. Et surtout, quand vous étiez en train de fuir, la meilleure façon de vous faire attraper était de s'arrêter et d'être statique. Il était toujours plus difficile d'attraper quelque chose en mouvement.
— Es-tu prête à prendre la route aujourd'hui ? m'enquis-je en la ramenant à l'intérieur pour qu'elle mange ce qu'on nous avait gentiment cuisiné.
Renfri s'empiffra comme si elle n'avait pas mangé depuis des jours et finit par s'essuyer la bouche avec la serviette que je lui tendis.
— Où allons-nous ? souffla-t-elle.
Je pris le temps de la réflexion. Je savais déjà où nous allions partir. Renfri était destinée à un chemin semé d'embûches et pour ça je devais être à côté d'elle. Elle serait la seule à se battre, mais j'étais là pour l'accompagner et lui rappeler à quel point il était important qu'elle trouve cet œuf. Qu'elle trouve ses personnes qui pourraient l'aider dans sa quête. Nous étions obligés de suivre cette direction si nous voulions survivre à tout ça. J'en étais conscient. Même si l'esprit de la vengeance fleuretait avec mes plus sombres démons, je me devais de conduire Renfri sur la bonne route. Je ne saurais accepter d'autres chemins.
— Nous devons nous rendre en Kagy, à Gylf, lui expliquai-je.
— Nous n'allons plus en Etela ?
— Non. Zex m'a expliqué que ta quête te mènerait à Gylf, alors nous devons nous y rendre. Cependant, il faut être conscient des dangers que cela amène.
Renfri pencha doucement sa tête sur le côté. Je voulais qu'elle comprenne notre chemin, car si je venais à tomber, que nous étions retrouvés par certains membres de la garde, je ne donnais pas cher de ma peau. Malheureusement.
— Si nous nous rendons là-bas, nous risquons de croiser la Dragana.
Renfri devint pensive et je vis l'instant même où son esprit erra vers sa sœur, mais aussi vers le reste de sa famille. Son père. Sa mère. Tous ceux qu'elle avait perdus.
— Ils nous cherchent encore tu crois ?
Je hochai vivement la tête.
— Ils me cherchent moi surtout, admis-je. Si nous croisons la Dragana, il est possible que nous soyons obligés de nous défendre.
Renfri crapahuta à quatre pattes jusqu'à moi, faisant ainsi le tour du foyer. Elle s'agenouilla à quelques centimètres de moi à peine et posa sa main sur ma cuisse. Je ne relevai pas ce contact, me poussant à réfléchir comme un soldat, comme un protecteur et non pas comme un homme ou comme un...
— Je ne veux pas qu'ils te fassent du mal, souffla-t-elle.
— Ils ne poseront pas de questions, Ren, soupirai-je. Je ne sais pas ce qu'ils ont comme ordre te concernant, alors tentons juste de rester le plus discret possible, d'accord ?
Je fus surpris de sentir Renfri se pencher et poser sa joue contre ma cuisse. Je glissai ma main sur son front et elle s'agrippa au tissu de mon pantalon. Nous restâmes ainsi pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'un Elfe entre dans la cabane. C'était le même Elfe qui nous avait conduits jusqu'ici et ce serait lui qui nous emmènerait vers la sortie de la forêt qui nous serait le plus profitable pour aller vers Gylf.
Nous ne vîmes pas Zexrandra. J'étais presque sûr qu'elle avait observé notre départ, mais visiblement ce n'était pas la coutume que de saluer les autres. Surtout pas quand ils partaient pour un voyage qui ne les ramènerait jamais ici. J'étais persuadé de ne jamais pouvoir remettre les pieds dans cette forêt, sans Renfri. Car c'était elle qu'on avait guidée, pas moi particulièrement. Je n'étais là que pour la protéger.
Renfri était importante pour la survie d'Astalos.
J'espérais que Maesuka le comprendrait avant sa propre perte.
Le chemin que prit Anda fut plutôt calme. Il était toujours aussi à l'aise et cette fois-ci, Renfri le rejoignit sur le devant de la marche. Je fermai notre petite assemblée au milieu de la forêt des Souffles et des Murmures. Je n'avais pas vraiment reparlé avec Renfri de toutes ces histoires sur les Échos et sur ceux qu'elle devait retrouver pour répondre à son destin. Devais-je lui rappeler pourquoi nous allions à Gylf ? Qui étions-nous censé trouver là-bas ? Je n'étais sûr de rien et ne voulais rien avancer comme hypothèse si cela s'avérait être une erreur.
Ma seule peur actuelle était de rencontrer la Dragan.
Pire, c'était de devoir tuer des gens avec qui j'avais combattu, avec qui je m'étais entraîné.
Renfri pivota vers moi, me souriant doucement en me tendant une petite fleur toute blanche. Je la remerciai en la prenant et bientôt, je me retrouvai avec un petit bouquet que Renfri agrémentait au fil de notre marche.
Anda ne parlait pas beaucoup, pointant parfois de jolies fleurs à Ren pour qu'elle puisse alimenter son bouquet. Je les avais coincées dans ma ceinture pour avoir les mains libres, mais Anda ne souhaitant pas que je les abîme m'avait donné une petite bourse dans laquelle je rangeais les fleurs au fur et à mesure.
Renfri me tira à un moment pour me montrer une nouvelle famille d'Oucus et Anda leur jeta des graines pour les nourrir. Il y eut un peu d'affolement, avant que les animaux ne se jettent sur la nourriture offerte. Anda s'inclina plusieurs fois avant de reprendre sa route. Nous le suivîmes et je vis Renfri, s'arrêter un instant, faire une petite prière et me rejoindre rapidement. Je souris tendrement, voyant toutes les traces que le père de Renfri avait laissées sur elle.
Des traces de respect qui n'avait jamais éclaboussé Maesuka d'après mon ressenti. Je repoussai les images qui me hantaient et me concentrai de nouveau sur notre guide.
Quand le soleil commença à se coucher, Anda nous fit signe de nous approcher d'un tronc épais. En relevant la tête, j'y découvris un tout petit abri qui avait cependant assez de place pour héberger trois personnes, allongées les uns contre les autres. Je savais qu'il était dangereux de dormir dans la forêt avec tous les animaux qui semblaient s'y promener et y vivre. Renfri se retrouva entre le mur et moi. Anda lui s'assit simplement contre l'autre mur, fermant doucement ses yeux après nous avoir donné un peu de nourriture à grignoter.
Renfri se lova contre mon torse, son doigt jouant avec le petit pendentif toujours caché par mes affaires. C'était un de ses premiers cadeaux, une pierre pas vraiment taillée, mais qu'elle avait trouvé chez moi, dans mon clan, en me disant que j'étais son talisman de protection et que du coup, il m'en fallait un à moi. Je l'avais toujours gardé, toujours protégé et choyé. Les cadeaux de Renfri étaient des souvenirs que je gardais précieusement.
— Tu crois qu'un jour on retournera là-bas ? murmura-t-elle.
J'ouvris un œil sur son profil qui était à peine illuminé par l'éclat de la lune, lui-même affaiblit par les immenses arbres qui nous entouraient.
— Je ne sais pas, admis-je. Seul le temps nous le dira.
— Tu crois que j'arriverais à trouver l'œuf de dragon ? souffla-t-elle. Que Zex avait raison ? Que c'est moi qui dois l'aider ?
Je caressai doucement sa tempe.
— Je crois surtout qu'il faut que tu dormes. Les questions arriveront bien plus vite que tu ne le penses, Ren. Et nous n'avons pas encore toutes les réponses.
Elle écrasa un bâillement.
— Tu crois qu'on trouvera des réponses à Gylf ?
— Je l'espère, admis-je avec un petit sourire.
Elle hocha la tête et pressa son front contre mon torse en marmonnant quelque chose. Je ne compris rien.
— Répète ça pour voir, grognai-je en souriant.
— J'ai aimé notre baiser, murmura-t-elle.
Je glissai mon bras sous sa nuque et la pressai un peu plus contre moi. Mon nez frôla son oreille et elle frémit doucement.
— Sois sage, grondai-je.
Elle rit et finit par s'endormir contre moi, coincée dans ma chaleur et sous mon unique protection.
Je regardai les deux chevaux qui nous attendaient à la sortie même de Naesla. Je déglutis en voyant la démarcation nette de la forêt s'arrêter là où nous nous trouvions.
Nous ne devions pas avoir peur.
Nous devions rester prudents et courageux.
Nous devions rester forts.
Je pivotai vers Anda et Renfri qui se trouvait à côté des chevaux. Renfri m'appela et j'abandonnai la sécurité de la forêt pour m'aventurer de nouveau dans un monde ouvert et dans lequel nous ne manquerions pas d'avoir des problèmes.
Renfri me pointa un cheval et décida que ce serait le sien.
Je pivotai vers Anda et m'inclinai fortement devant lui. Il tapota mon épaule et se tourna vers Renfri. Il la prit dans ses bras tendrement, nous surprenant tous les deux avant de se reculer et de repartir dans la forêt sans un mot de plus.
— Nous le reverrons ? souffla Ren.
Je l'aidais à grimper sur son cheval et serrai doucement sa cheville.
— J'espère, admis-je d'une petite voix.
Elle tapota ma tête et je lui pinçai la cuisse. Elle poussa un petit cri avant de se mettre en route.
Je grimpai à mon tour et me tournai une dernière fois vers la forêt.
Il était temps d'avancer.
Et de découvrir ce que le destin nous réservait.
Ensemble.
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