Chapitre vingt

LAYRE

— Les rapports sont assez clairs ; des Dragans arpentent tout Astalos à la recherche de Sekhir et de Renfri. Vrak aurait ordonné à une poignée d'hommes de se cacher aux abords de Marat au cas où Sekhir décide de retourner au Fief de son clan, ce qui, bien entendu–

— N'est pas arrivé, coupai-je Sev en me servant du vin dans un verre à pied.

Que Vrak juge Sekhir assez stupide pour retourner dans sa Tribu témoignait au mieux d'une bêtise sans bornes et au pire d'une confiance en soi stupide.

Je reconnaissais en Vrak un ennemi redoutable sur certains points, surtout lorsqu'il était question de murmurer son poison à notre nièce, Reine depuis peu. Mais pour le reste, je ne me faisais pas trop de soucis. Cependant, le fait qu'il ait réussi, en une nuit, à détruire les fondations de la Dragan au sein d'Archdragon me mettait de très mauvaise humeur. Et ma conversation avec Maesuka n'avait rien arrangé.

La nuit de la mort de Melkyal, autre chose s'était passé et clairement pas ce qu'on me racontait éhontément, me prenant pour le dernier des abrutis.

Je vidai mon verre d'un trait et déboutonnai les quelques boutons de ma chemise pour être un peu plus à mon aise.

— Aucun Dragan de confiance ne semblait se trouver à son poste cette nuit-là et il manque d'ailleurs un jeune homme à l'appel.

Je tiquai et m'appuyai contre le dossier d'un fauteuil, pensif.

J'aurais dû revenir plus tôt, mais le désert, ce traître, se fichait bien des obligations ou des devoirs. Tout comme cette faction envoyée pour nous retarder. Vrak avançait ses pions avec lenteur et beaucoup de soin. Je n'aimais pas ça. Je n'aimais pas le savoir Conseiller. L'influence qu'il avait sur Maesuka n'était pas nouvelle et jamais de très bons augures. Pour autant, je savais bien qu'il n'était pas le seul impliqué dans cette funeste nuit ayant vu mon frère mourir et Renfri disparaître.

Enlevée par Sekhir ? Au Cœur ces histoires ! J'avais entraîné ce gosse dès son arrivée à Losar, le voyant comme le fils qu'il ne m'avait jamais été permis d'avoir et je connaissais son attachement pour Ren.

— D'après les rumeurs, Sekhir aurait tué Luce avant de fuir le palais en passant par les toits pour mieux disparaître dans la Cité-Mère.

— Dur de transporter quelqu'un avec soi en passant par là-haut, lâchant Adarlan, quelque peu désabusé.

— Si Renfri n'a pas été témoin du meurtre, Sek aurait pu lui raconter n'importe quoi pour qu'elle le suive. De là, bien plus facile de s'enfuir par les toits pour gagner la ville, répliqua Sev. Ensuite, il s'agissait juste de partir.

— Ouais, mais Renfri aurait été vu lors de la procession du Roi pour lui rendre hommage, soupira Adarlan. Une tempête aurait même failli déloger toute la Cité-Mère par sa force.

— C'est là que ce bon vieux Zebus entre en jeu et qu'il aide Sekhir à enlever tranquillement notre petite princesse ? On te prend vraiment pour un con, Layre !

Je me tournai pour fusiller les deux hommes du regard. Le premier, Sev, se tenait debout près du balcon, ses cheveux coupés courts sur le sommet et presque à blanc sur les côtés. Il avait des yeux vairons et la peau chaudement dorée par un soleil tenace, dû à une enfance passée en Israkt, Royaume où se trouvaient nos supposés ennemis. Il portait un pantalon lui serrant les cuisses et une chemise légère au-dessus, qui se soulevait par vague avec la brise légère venue du lointain.

Le troisième homme présent ricana :

— C'est un euphémisme à ce stade. Et que Vrak ose dire que c'est Sekhir qui l'a défiguré de la sorte ; pauvre homme, si Sekhir avait voulu le tuer, il l'aurait fait d'un seul geste.

Adarlan semblait tout à son aise, allongé sur la méridienne, prenant les quelques rayons du soleil qui perçait avec le regard mi-clos.

Il portait les cheveux longs, souvent noués en catogan ou en simple chignon pour ne pas être dérangé lors d'un combat, qu'il soit physique ou verbal.

Une barbe bien fournie lui dévorait les joues, cachant un sourire caustique que ses yeux ne parvenaient pas complètement à effacer. Il se moquait perpétuellement. De tout et de tout le monde.

Celui-là, je l'avais trouvé sur un bateau de pirates des années en arrière, prêt à connaître le supplice de la planche. L'air marin lui manquait parfois, moins que les délicieuses femmes d'Oleania.

— Zebus les aura aidés à sortir de Losar, dis-je. Cette vieille branche a choisi son camp il y a bien longtemps.

Avant même notre naissance à tous. Même cumulé, nos âges n'étaient rien comparé au sien.

— Ils sont dans la Forêt des Souffles et Murmures depuis des jours, souffla Sev. Pourquoi ne pas y aller ? Pourquoi ne pas ramener Renfri chez elle ?

— Et Sekhir alors ? grommela Adarlan.

— Le peuple aime sa nouvelle Reine.

J'attrapai la carafe pour me resservir et arpentai la pièce de long en large, fatigué après mon long voyage dans les contrées reculées d'Israkt. Encore une fois, les Prêtes de Raktu ne nous avaient pas épargnés, faisant fi de l'autorité de leur Roi. Un soulèvement couvait dans le désert et le petit Roi ne faisait rien. Pourquoi ?

— Et j'ai beau eu respecté les choix de feu mon frère pendant des décennies, en ces drôles de temps, nous avons besoin de quelqu'un prêt à mener nos troupes à la guerre.

Que ce soit Maesuka demeurait le comble de l'ironie. Ou peut-être pas tant que ça.

Elle avait les épaules pour régner. Elle comprenait les troubles qui secouaient tout Zharroh. Elle savait que parfois, la guerre devenait un remède plus qu'une fatalité.

Elle avait tué Melkyal. De ça, j'en étais sûr. La fille prenant les armes contre son père.

— Renfri ne sera jamais plus en sécurité qu'avec Sekhir et nous le savons. Je préfère la savoir loin d'ici plutôt qu'à la portée de Vrak.

Et même de Maesuka.

Je savais que son Destin ne se trouvait pas ici. Mais partout en Zharroh. Elle arpenterait chaque Cité-Mère et je savais que Sekhir demeurait son allié le plus puissant.

— Tu ne vas donc pas y aller ?

J'offris mon sourire le plus dangereux à mes deux hommes :

— Qui a dit ça ?

* * *

Assis à même le sol, je me penchai par-dessus ma coupelle pour remplir celle lui faisant face avec un liquide à l'arôme puissant. L'odeur titilla mes narines et me donna envie de boire goulûment. L'effet du Cozu sur chaque homme d'Astalos ne restait plus à prouver. Qu'il coule à flots, surtout pour des heures si sombres et tristes.

— Puisses-tu voir des Dragons !

Je trinquai dans le vide au souvenir de mon aîné et but d'une gorgée avant de pousser une exclamation en sentant l'alcool brûler ma gorge.

Dans le Tombeau des Dragons demeuraient chaque Dragnir et ce, depuis la création d'Archdragon. Chaque statue représentant la personne dans son tombeau et je devais dire que l'embonpoint de celle-ci correspondait bien à Melkyal ! Cette pensée me fit sourire et je me resservis. Où que je regarde, j'étais capable d'énoncer chaque Dragnir, connaissant mes leçons sur le bout des doigts. Chef de guerre ou pas, j'avais pris cela comme un devoir, et non des moindres. Chacun de nos aïeux représentait un pan de l'histoire des Dragnir et je voulais croire que nous n'étions pas les premiers Hommes pour rien.

Melkyal avait eu une belle vie et un règne doux. Du moins c'est ainsi que je le voyais. Mais j'étais content qu'il s'en soit allé avant de voir Zharroh succomber aux affres de la guerre et des batailles, lui qui détestait les armes, prônant une paix illusoire, mais pas si stupide que ça.

— Il savait que ce jour viendrait.

La voix se répercuta, éclatant contre les murs pour être projetée partout. L'ombre de Kajivah tressauta à travers le vacillement des flammes et lorsqu'elle s'installa en face de moi, je reniflai.

L'Oradrag m'apparaissait toujours aussi vespérale et insaisissable, une ombre dans l'obscurité maîtrisée de Losar.

— Tu veux dire que tu le lui as dit.

Un sourire joua sur ses lèvres.

— Moi ou une autre, qu'est-ce que ça change ?

Elle porta la coupelle à ses lèvres et but par petite lampée. On aurait dit un chat trop peureux pour se laisser aller, guettant le moindre signe de danger.

— Tout et rien, j'imagine.

Je haussai les épaules et tendit la bouteille pour la resservir. Elle accepta.

— Tu ne peux pas prêter allégeance à cette Reine.

— Pourquoi je savais que tu dirais quelque chose comme ça ? Ne pas le faire reviendrait à me passer une corde au cou.

— Pas nécessairement. Car ton serment ne va à aucun Roi ou Reine de ce monde. Tu es le Chef de guerre.

J'appuyai mes coudes contre mes cuisses et vint frotter ma barbe.

— C'est ce que celle avant toi m'a dit une fois, en effet.

— Jivah était sensée.

— Obtuse, plutôt.

— Ça, c'est toi qui le dis.

Nous bûmes un long moment sans plus parler, écoutant le murmure des morts, cherchant l'écho des défunts dans l'écoulement du temps.

— Et donc ? repris-je, longtemps après. Que dois-je faire ?

— Ce n'est pas à toi qu'incombe la tache d'arrêter les desseins de Maesuka Dragnir. Pas plus que tu ne seras en mesure d'aider Renfri ; pas encore du moins. L'avenir sur ce point est d'une clarté éblouissante.

— Tu m'en vois ravi, rétorquai-je, acerbe.

— Tu as servi ton Roi, c'est à un autre que toi de servir cette Reine. Shaji Nehguath va se présenter d'ici peu devant la Reine pour se retirer de ses fonctions et introduire le nouveau Général du Clan Zamarat. Il avance ses pièces. À toi de faire de même.

— Je ne peux pas me retirer, Kajivah.

— Non, tu dois préparer les armées et chercher des alliances avant que la Cicatrice ne s'ouvre complètement.

Voilà que nous en venions à autre chose... mais je ne relevais pas.

— Offre un semblant de loyauté à la Reine en lui laissant ce qu'elle désire.

— Et qu'est-ce que ma chère nièce désire donc ?

— Te contrôler. Tu es la force armée d'Astalos. Sans toi, elle craint qu'Archdragon ne se teinte de rouge. Le nouveau Général du Clan Zamarat restera à ses côtés pour la jauger. Il choisira de l'aider ou de la contrecarrer.

— Tu ne sais pas ?

Elle fronça les sourcils, un peu chiffonnée, une expression tellement humaine sur son visage !

— C'est en mouvement ; aucun choix n'est arrêté, aucune vision ne demeure très claire. Elle peut sauver comme elle peut détruire. L'issue pour elle restera néanmoins la même.

— Vraiment ?

— Choisis-le, m'invectiva-t-elle.

J'arquai un sourcil et me resservit.

— Très mauvaise idée.

— Doutes-tu de moi, Layre ?

Je ne pris pas le temps de la réflexion.

— Jamais.

— Alors, fais-le venir à Archdragon.

— Tu es sûr que ce n'est pas lui l'instrument de sa perte à elle ?

— Nous sommes tous voués à aimer et détester. Il choisira de la seconder ou de lui damner le pion.

Toujours séparer le bon grain de l'ivraie.

Je levai ma coupelle.

— Si c'est ainsi que ça doit se passer. 

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