Chapitre trente et un

SWAIN

Je ne m'endormis pas cette nuit-là, à l'inverse de la Reine. Mes muscles me faisaient mal, même si mon corps était détendu après cette Faveur. Je sortis de la chambre, nu, mon plastron à la main. Je fis glisser la porte pour fermer et cacher la vue des seins nus de la Reine au reste de la maison.

Je m'étirai un instant en grognant et m'aventurai dans les bains. Ils étaient froids et cela calma un peu les douleurs et la chaleur que l'onguent de la Reine avait donnée pour guérir mes blessures. Je regardai le bracelet à mon poignet et fis la moue. Je me lavai rapidement et rejoignis le foyer où notre nourriture nous attendait.

Je finis par faire le tour de nos hommes qui se trouvaient juste à l'extérieur de la bâtisse où nous nous trouvions. Ils avaient déjà établi des rondes et j'en fus assez satisfait pour retourner manger. J'avais de la sauce sur les doigts quand la Reine apparut juste avant que l'aube ne se lève. Elle boutonnait sa robe pour cacher ses seins et posa son regard sur moi. Je terminai de lécher mes doigts et elle vint à moi, se penchant pour me prendre un peu de nourriture. Elle s'installa non loin de moi et s'étira. J'aperçus la légère marque de mes doigts sur son poignet et pinçai mes lèvres, me retenant d'être un peu moins idiot la prochaine fois que je demanderai une Faveur.

— J'aimerais aller voir les villageois, remarqua soudain la Reine.

Je clignai des yeux pour éviter de la dévisager et je dus paraître vaguement inquiet, car elle lécha son doigt et haussa ses épaules.

— C'est une demande qui doit être prise en considération, ma Reine, marmonnai-je en essuyant rapidement mes mains.

— Ce n'est pas une demande, rétorqua Maesuka. C'est un ordre. Que tu viennes ou non est ta décision, les soldats me suivront.

— Tu n'en fais qu'à ta tête hein, marmonnai-je en me levant.

Je n'avais qu'un simple tissu autour des hanches, mettant laver il y a peu. Elle regarda le bleu qui s'étalait sur mon bas ventre et hocha la tête en voyant que son baume avait déjà bien aidé.

— Je vais préparer les hommes, grognai-je.

J'aperçus son léger sourire avant qu'elle ne se remette à manger.

Après quelques revendications de la part de Gharma quant à notre mouvement vers les villageois, je réussis à le convaincre de venir sans faire de vague. Il ne comprenait pas pourquoi la Reine voulait y aller et répétait que c'était dangereux.

Parce qu'évidemment, elle n'avait pas choisi le petit village qui était juste à côté de la résidence du Général.

Bien sûr que non, c'eut été trop simple.

Avais-je choisi ce rang pour être calme et posé ?

Bien sûr que non.

Je me figeai en voyant Maesuka sortir de la bâtisse, relevant à peine sa robe sur le bout de ses pieds qui étaient cachés par des bottes épaisses et pourtant finement ouvragés. Ses cheveux paraissaient attachés à la va-vite parce qu'une partie tombait sur ses tempes, mais quand elle pivota pour parler à un de ses gardes, je vis qu'elle les avait nattés grossièrement, donnant cet effet. Elle portait une robe qui était proche de son corps, relevant sa poitrine d'une taille raisonnable. J'avais l'impression que le tissu était plus épais au niveau de tout son torse, comme si quelqu'un avait renforcé le tissu, ou tout simplement intégré une protection dessous, caché derrière une jolie apparence. La cape qui terminait sa tenue était surmontée d'une grosse moumoute blanche qui allait sûrement lui tenir chaud, mais qui protégeait sa nuque et une partie de ses épaules. À sa hanche, j'aperçus une épée, ouvragée finement et qui n'était pas lourde d'après le mouvement souple qu'elle avait quand Maesuka avançait. Je crus discerner une dague de l'autre côté, mais n'en eus pas le temps, car elle était déjà devant moi, attendant que je réagisse.

— Puis-je poser la question une dernière fois, ma Reine ? grommelai-je à l'abri de certaines oreilles.

— Tu peux. Mais ça ne servirait à rien, hormis à me faire perdre mon temps et le tien.

— Disons que je suis patient, rétorquai-je en haussant un sourcil. Pensez-vous vraiment que ce mouvement est une bonne idée ?

— J'ai besoin de voir mon peuple, Général. Les Tribus Unies sont sous ma protection autant que sous la vôtre.

— Pourquoi sur la frontière avec Israkt ?

— Car même si vous semblez penser que je n'écoute pas les rapports de mes armées, je le fais, tout autant que les rapports de mes Généraux. Gharma m'a très clairement fait comprendre qu'il y a des problèmes sur la façade nord de son territoire. D'autres questions, Général ?

Je déglutis et me décalai pour l'aider à monter sur son cheval. Elle me laissa la déposer sur sa selle, les deux jambes de mon côté.

— Si quoi que ce soit arrive pendant cette balade, grinçai-je, vous êtes sous ma responsabilité, ma Reine. Il serait donc favorable à cette situation que vous suiviez mes ordres.

Un silence et un long regard tandis que je la voyais pincer ses lèvres. Délicatement, elle glissa une de ses jambes de l'autre côté.

— Pour votre sécurité, insistai-je, en tenant sa cheville.

Elle soupira et finit par hocher la tête.

— Allons-y, nous pressa-t-elle.

Je la relâchai et courus jusqu'à mon cheval pour sauter dessus souplement. Je claquai les rênes en ordonnant à tout le monde d'avancer.

Les soldats bougèrent à l'unisson et bientôt, nous entourâmes la Reine qui se mit en route à son tour. Gharma était sur le devant du convoi.

Il nous fallut un peu de temps pour rejoindre la frontière. Tout comme il me fallut peu de temps pour comprendre le réel problème qui commençait à apparaître sous nos yeux. Il n'y avait pas de guerriers ici. Gharma ne devait pas avoir assez d'hommes pour qu'il y eût de la surveillance partout. Dans mon clan, il y avait des rondes très précises pour éviter toute attaque et il y avait énormément de règles quand vous étiez en ronde à la frontière. Ici, visiblement, il n'y avait rien de tel et cette constatation me contraria bien plus que je ne le laissais entrevoir. Je poussai mon cheval à faire un tour entier du convoi et Maesuka attendit que je revienne pour que je l'aide à descendre de sa monture. Ce que je fis, lui pressant doucement la main pour lui rappeler que nous n'étions pas en sécurité ici et qu'elle devait être prudente. Elle relâcha ma main et se mit à marcher, le dos droit, et une volonté transparente dans sa façon d'aller doit vers le problème.

Gharma l'attendit et se mit à marcher à son côté. Conscient qu'ils allaient discuter des problèmes de ce territoire, je me mis à observer les environs.

Nous entrâmes dans le village et je sentis la colère sous-jacente des gens présents ici. Des paysans pour la plupart qui tentaient de vivre entre des conflits dont ils ne contrôlaient pas l'issue et encore moins l'arrivée. Je pouvais comprendre à quel point le problème deviendrait le problème de Maesuka si elle n'était pas vue ici en train d'essayer de régler les conflits.

— Feu l'empereur Dragnir avait donné certaines lignes de conduite, nous empêchant de vraiment riposter, soupirait Gharma en aidant Maesuka à traversa un embranchement entre plusieurs maisons. L'odeur y était un peu rance et je sus pourquoi. Maesuka aussi sûrement, car elle eut la délicatesse de ne pas paraître dégoutée.

Je croisai le regard d'un homme à l'entrée de son foyer. J'y lus plusieurs émotions, dont l'une que je connaissais bien, la colère. Je posai ma main sur le pommeau de mon arme et lui montrai littéralement ce que je comptais lui faire s'il s'enflammait. Il grimaça et se retira chez lui.

Plusieurs exclamations nous parvinrent quand Maesuka et Gharma s'approchèrent de ce qui ressemblait à la place centrale du village. Des cris et des protestations.

Les battements de mon cœur s'accélérèrent un instant avant que je ne me rende compte que je fonçai déjà sur la Reine. Elle s'excusa auprès de Gharma et s'avança, m'empêchant de l'arrêter. Plusieurs soldats bougèrent en même temps qu'elle et je fus derrière elle en quelques secondes.

Plusieurs paysans étaient réunis et attendaient sûrement la Reine puisqu'ils l'appelèrent chacun à tour de rôle pour attirer son attention. L'attroupement que ça forma me donna quelques sueurs froides, mais Maesuka continua de s'avancer, réclamant l'ordre et le calme d'une voix forte et douce.

Une femme sortit du troupeau de paysans et Maesuka sembla la reconnaître, car elle lui tendit ses deux mains. Un des soldats me jeta un coup d'œil et je hochai doucement la tête.

Ne pas créer de mouvement de foule.

Surtout pas.

Gharma rejoignit les deux femmes qui échangeaient doucement et ils se mirent à échanger tous les trois. Les protestations se calmèrent quand la femme tira Maesuka vers elle pour lui présenter deux autres hommes.

Je les entendis se présenter. L'un était le chef du village, celui qui avait reçu cette responsabilité par Gharma lui-même. Je pris une longue inspiration et pivotai lentement sur moi-même.

J'aperçus un champ ouvert sur ce qui me semblait être le reste d'une plaine, menant directement vers les montages d'Israkt. Cela donnait une sacrée vue sur le reste du territoire. Je me décalai lentement et me penchai pour voir ce qu'il se passait derrière les différentes maisons. Je dépassai la ligne du hameau pour me retrouver face aux champs.

— Swain Kahdiehv ! s'écria une voix familière. Le nouveau Général, en chair et en os dans notre petit hameau !

Je pivotai vers le vieil homme, penché sur sa fourche, qui m'observait.

— Je ne pensais vraiment pas que mon vieux frère te mettrait à cette place.

Je m'avançai vers Ytari, un des grands frères de Shaji, mon ancien Général et le père de Sekhir. L'oncle de mon meilleur ami se trouvait devant moi, les joues un peu creuses et le visage marqué par les années.

— Et moi qui pensais que tu avais rejoint les Dieux, marmonnai-je en lui ouvrant mon bras.

On se donna une brève accolade et il me tapota la tête. Ytari ressemblait à Shaji et Sekhir, en bien plus vieux. Ses cheveux étaient complètement gris maintenant et ses yeux semblables à Sek. Je fus nostalgique pendant un instant. La dernière fois que j'avais vu mon meilleur ami, cela faisait déjà plusieurs mois que je ne l'avais pas vu, et notre rencontre avait été fortuite, car il avait rejoint Layre à un endroit et que j'étais là au bon moment.

Comme j'aurais aimé le revoir, parler avec lui de tout ça et tenter de le ramener au clan. Néanmoins, le connaissant, jamais il ne le voudrait. Jamais il ne mettrait en danger le Clan. Et jamais il n'abandonnerait Renfri Dragnir.

— Respecte tes aînés, Swain. Ou tu subiras le retour de bâton, grogna le vieil homme. Qu'est-ce qui t'amène ici avec cette femme ?

— C'est ta Reine, Ytari. Un peu de respect.

— L'Empereur était mon souverain, celle-ci est une Usurpatrice.

J'entendis là un surnom qui allait lui coller à la peau malgré elle si elle ne s'élevait pas au-dessus de l'image de son père.

— Je ne peux te laisser parler d'elle ainsi, vieille bique, grognai-je. Dis-moi ce qu'il se passe ici au lieu de raconter des âneries. Gharma couine beaucoup. Il y a des raids ?

— Tu veux dire quand il n'y en a pas, gamin, rétorqua Ytari en crachant par terre.

— Feu l'Empereur aurait interdit à Gharma de se battre avec les attaquants, ajoutai-je en regardant le champ s'étendre loin devant moi.

— Le Général aurait dû faire en sorte qu'il y ait des rondes. Ne pas se battre ne veut pas dire ne pas défendre les siens.

Le ronchonnement d'Ytari fut stoppé par l'arrivée de la Reine et du reste du convoi et du village visiblement. Une partie des hommes de Gharma vint saluer Ytari qui serra des mains et tapota des épaules.

Je frottai ma nuque observant au loin la ligne de nuages sombres qui approchaient. Le temps n'allait pas être clément aujourd'hui. Puis, mon regard se posa sur la ligne des montagnes qui permettaient presque physiquement de voir le territoire d'Israkt débuter.

La voix de Maesuka dans les oreilles quand elle se présenta à Ytari me fit sourire. Elle ne se doutait pas une seule seconde de qui il était. Je m'avançai dans le champ, conscient que quelque chose titillait ma nuque. Comme une sensation qui s'infiltrait en moi et me forçait à faire attention à mon environnement.

Sekhir avait la même faculté que moi à sentir le danger approché, comme si nous étions assez forts pour avoir une brève vision de l'avenir, nous montrant ainsi que nos esprits étaient en péril.

Soudain, un cri éclata à l'autre bout du champ.

— Une ATTAQUE ! ILS SONT LÀ !

J'eus à peine le temps de pivoter vers Maesuka pour voir où elle était qu'une flèche se planta dans mon épaule et je m'affaissai par terre, pour ne pas en prendre une autre.

— SWAIN !

La voix de la Reine résonna dans ma tête tandis que je restais à l'abri du blé et que Gharma hurlait des ordres. Je me relevai sur mes coudes et tirai mon épée. De ma main libre, je cassai la flèche pour qu'elle ne me gêne pas et défis prudemment mon plastron. Idiot, mais si je devais courir dans cette merde de champ, je devais être rapide et efficace.

Je grognai de douleur et bondis sur mes pieds, m'éloignant du rassemblement de Gharma et fonçant vers les deux paysans qui luttaient contre deux hommes vêtus comme des guerriers Israkites.

J'esquivai une nouvelle flèche qui siffla dans mon oreille et repérai l'archer à plusieurs mètres de là.

— Abattez cet homme ! hurla la voix de la Reine.

Je me jetai sur l'un des guerriers et un des paysans tomba en arrière pour m'éviter. Nous roulâmes au sol et avant que le guerrier ne puisse m'attaquer, je lui enfonçai mon épée dans le torse. Le sang gicla sur ma figure, mais déjà j'esquivai le poing du second guerrier.

Je roulai au sol et dus rester en défensive pendant plusieurs secondes avant de réussir à trouver une ouverture. Je roulai une dernière fois, atterrissant juste au niveau du guerrier, son épée levée dans les airs pour s'abattre sur moi.

Mon mouvement fut précis et unique.

Mon épée trancha l'air, puis les vêtements, puis la peau et les muscles et le cœur de l'homme. Il resta pendu sur mon épée avant que je ne me redresse et le repousse du pied.

— Allez vous cacher, grognai-je aux deux paysans.

Ils se mirent à courir rapidement.

Je pivotai vers les différents cris et aperçus plusieurs hommes en tenues de guerriers Israkites courir vers nous. J'esquivai une dague, puis une autre avant de me mettre à affronter plusieurs combattants.

Des combattants qui n'étaient pas aussi assurés que je le pensais. Certains portaient même des tatouages qui ressemblaient à ceux que j'avais vus sur le corps d'un prêtre de l'ordre de Raktu. Des hérétiques qui ne savaient pas quoi faire de leur temps hormis tuer des gens et rendre la tâche difficile aux Israkites.

Je traînai le corps d'un des attaquants derrière moi en me dirigeant vers les autres qui m'observèrent avec une pointe d'inquiétude.

L'un d'eux hurla en se jetant sur moi, mais en trois mouvements, je lui coupai deux bras et la tête.

— Ce n'est qu'une question de temps, ricana l'un d'eux avant de s'enfuir vers les montagnes.

Un long sifflet résonna et la vingtaine d'hommes qui s'étaient avancés firent demi-tour vers les montagnes.

Je crachai un molard de sang à côté de moi avant de revenir vers Gharma et les autres en traînant mon cadavre.

— Israkt veut la guerre ! s'écriait Gharma. Vous le voyez Majesté. Tout ça n'est qu'attaque gratuite.

Maesuka attendit que j'arrive à son niveau pour regarder la flèche dépassée de mon épaule. De mon autre bras, je lui déposai le cadavre à ses pieds. Elle fronça ses sourcils en s'agenouillant, repoussant le vêtement de l'homme. Elle y découvrit la même chose que moi.

— Raktu, crachai-je. Ce ne sont que des déguisements. Il te faut plus de rondes pour faire face à ces raids.

— Je n'en ai pas, Swain, cracha Gharma. Mon territoire est bien plus en contact avec Israkt que le tien et j'ai peu de guerriers, bien plus de villageois.

— Assez, souffla Maesuka en se redressant. Ce genre de raids est-il régulier ?

— Ils sont de plus en plus rapprochés, admit Gharma.

— Ils savent que tes défenses tombent, crachai-je.

Un des soldats vint m'aider à retirer la flèche de mon épaule et je sifflai comme un serpent avant de serrer le bandage sur mon épaule.

— Vous devez pouvoir vous défendre, reprit Maesuka, d'une voix forte. Vous devez pouvoir rendre les coups si nécessaire, la seule chose que je demande ce n'est qu'aucun des tiens, Gharma, ne doit dépasser notre frontière. Attendez qu'ils viennent à vous et élaborez une stratégie de défense sur les flancs les plus exposés.

Maesuka s'approcha de moi en contournant le cadavre, très peu impressionnée visiblement.

Ce n'était pas le premier qu'elle voyait, n'est-ce pas ?

— Vous vous demandiez pourquoi un Général m'avait accompagné, Gharma, reprit Maesuka en me jetant un coup d'œil.

Je sentis son sourire s'étendre sur son visage.

— Vous avez besoin de guerriers et d'établir des stratégies qui tiennent face aux raids. La Tribu de Zamarat se trouve être l'une des meilleures Tribus qui nous offrent des guerriers aussi robustes qu'experts en leur domaine. N'est-ce pas, Général Kahdiehv ?

Gharma m'observa un instant, un peu vexé et sûrement un peu confus.

Je venais exactement de comprendre pourquoi elle avait accepté que je vienne.

Cette maudite femme avait eu une longueur d'avance sur moi.

— La Tribu de Zamarat va venir en aide à Adamar. Les Tribus Unies retrouveront leur équilibre. Et si nous devons partir en guerre, alors notre Force éparpillera nos ennemis aux quatre vents.

Gharma ne dit rien, observant Maesuka d'un nouvel œil.

— Il est temps d'accepter la guerre qui arrive sur nous, Général, annonça Maesuka. Et je ne suis pas là pour attendre les bras croisés. Suis-je assez claire ?

Bordel.

Elle l'était.  

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