Chapitre trente

MAESUKA

— Majesté, me salua Nucuaka Nezheh, femme magnifique, bien plus jeune que son mari.

Ce qui n'avait rien de surprenant dans certaines Tribus d'Astalos. J'ignorai si Gharma aimait son épouse ou non, mais son baiser appuyé à mon égard me laissait dubitative. Cet homme avait le même âge que Père, autant vous dire que je ne m'étais pas sentie flattée une seule seconde en sentant son intérêt venir titiller ma peau.

— Dame Nezheh, la saluai-je à mon tour, la voyant m'offrir une révérence simple, mais efficace.

Aucune compagne ne se prévalait d'un rang particulier. Elles ne possédaient que la richesse de leur époux et se voyaient parfois congédier lorsqu'elles étaient incapables d'offrir un héritier. C'était le cas dans le Clan Pheiros où Akhe Souzakuh ne cherchait plus à cacher sa concubine aux yeux de tous et encore moins à ceux de sa Dame.

Elle me fit signe de m'installer autour d'un service à thé avant que les festivités ne commencent, un peu plus tard dans la matinée. Mon sommeil m'avait encore fui une bonne partie de la nuit, me laissant bien trop attentive à la présence de Swain derrière la porte de mes appartements. J'aurais pu l'utiliser comme remède, au moins une fois, mais je préférais de loin faire de lui un Champion plutôt qu'un amant. Bien que les deux puissent aller de pair. Ma dernière relation d'une nuit remontait à longtemps, logeant mon désir d'une manière inconfortable dans mon corps, me rappelant que je ne pouvais être qu'un être de chair et de sang. Un être d'appétit.

Je pris place sur un coussin moelleux et Nucuaka fit de même, ses longs voilages s'étendant autour d'elle quand j'avais opté pour une tenue bien plus pratique, mais bien moins flatteuse. Un simple pantalon recouvert d'une tunique aux couleurs de notre Royaume. Aucune servante ne s'avança pour nous servir ; ce fut Nucuaka elle-même qui se prêta au jeu, me rappelant certains us et coutumes du Clan Adamar. Je connaissais mes leçons par cœur. Il fallait au moins ça pour éviter quelques impairs. Néanmoins, j'aimais aussi m'éloigner des leçons et des livres pour me former sur le tas.

— Il fait incroyablement bon vivre chez vous, finis-je par dire.

Nucuaka sourit et souleva sa tasse en terre pour la porter à son nez et humer l'odeur du thé. Ce dernier me paraissait plus noir que je n'avais l'habitude de le boire, mais au moins, il sentait divinement bon. Un mélange intéressant d'herbes et d'épices. Un arrière-goût âcre.

— Je ne me souviens pas avoir déjà eu le plaisir de prendre le thé avec vous, même lorsque vous étiez encore Princesse.

Je hochai la tête. Père se déplaçait souvent dans les Tribus Unies avec sa garde rapprochée, laissant de côté les conseillers et grands convois. Mère l'accompagnait parfois et moi-même aussi, restant toujours à observer, à apprendre, Vrak marchant à mes côtés et me racontant tout ce qu'il y avait à savoir. Je connaissais chaque couloir de la demeure de Gharma. Chaque cursive, mieux encore que celles d'Archdragon.

— Ni même avec votre jeune sœur.

Nucuaka écarquilla alors les yeux, se rendant compte de son erreur en évoquant le sujet de Renfri avec moi. Tout le monde était au courant de la rumeur que j'avais moi-même répandue.

Bientôt, Sekhir. Bientôt.

Je soufflai sur mon thé et en bus une petite gorgée.

— Renfri quittait peu le palais, avouai-je. Pour elle, Astalos se réduisait à Losar et au Clan Zamarat.

Je glissai un coup d'œil derrière moi, où patientait Swain, ne montrant aucun signe notable d'ennui profond. Dommage.

J'ignorai ce qu'il attendait de son petit jeu, à me suivre partout comme un vulgaire chien de garde. Il était supposément le nouveau Général de tout un Clan et pourtant, il ne me lâchait pas d'une semelle, curieux de ma personne. Je devais me méfier de lui bien plus que de tous les autres. L'adage ne trompait pas : garde tes amis près de toi et tes ennemis encore plus.

Il restait fidèle à Sekhir.

— Je suis désolée si je vous ai incommodé d'une quelconque manière, Majesté, souffla Nucuaka.

Je levai une main dans sa direction pour l'apaiser.

— Je sais que ma sœur va bien, même avec son bourreau. Et parler d'elle m'aide. Parlez-moi de votre peuple, ma Dame.

— L'année n'a pas été facile, avoua-t-elle. Certains des nôtres vivent près des frontières avec Israkt et ce qui se passent dans ce désert, elle frissonna, en effraie plus d'un.

Le rapport de Layre allait dans ce sens. Les Prêtres du désert n'en faisaient qu'à leur tête et se détachaient par leurs actes de leur jeune Roi. Ainsi, pour Layre, Israkt n'était pas en cause, en tout cas pas le Royaume en tant que tel. Mais quel souverain était incapable de gérer une poignée d'hérétiques ? D'après Vrak, je me devais d'aller au-devant de Sleard Kagnus, le Derkhsa d'Israkt. On le disait impétueux, fougueux et tête brûlée. Après le Roi du Royaume d'Olea et moi-même, il était le plus jeune souverain de tout Astalos. La jeunesse forgeait disait-on. Pourtant, quelque chose couvait en Israkt. Quelque chose qui risquait de nous atteindre si je ne prenais pas très vite une décision. Les guerriers de Gharma semblaient à bout et son peuple, bien plus encore. Comment Père avait-il pu passer ça sous silence ? Gharma serait-il capable d'entraîner ses hommes dans une croisade contre un autre Royaume ?

Je laissai mon regard se perdre au loin, bien au-delà du territoire du Clan Adamar. La guerre grondait. Je pouvais l'entendre dans la Terre, le sentir partout autour de moi.

Israkt.

Kagy.

Ce n'étaient pas les Royaumes les plus étendus, néanmoins, s'ils décidaient de se lever, ça ne promettait rien de bon. Je voulais protéger mon peuple avant tout.

Mais je voulais surtout quitter une ère tournée vers le passé. Je ne crachais pas sur notre histoire, seulement, il n'y avait plus de Dragons.

Il n'y avait plus rien.

« — Tu ignores tout de ce qui va arriver, ma fille. Tu ne sais pas ce qui se cache ici-bas. Tu ne sais rien. »

On pouvait mieux faire niveau ultimes paroles d'un père à sa fille, n'est-ce pas ?

— Votre peuple semble mieux s'en sortir que d'autres, soufflai-je. Ni maladie ni famine.

Un sourire un peu attristé joua sur les lèvres de Nucuaka.

— Nous veillons les uns sur les autres. Et votre Père a toujours été généreux avec nous.

Mes doigts se crispèrent autour de ma tasse que je reposai. Je réussis à sourire avant de me relever et Nucuaka s'empressa de faire de même.

— Nous nous verrons pour les combats de tout à l'heure, dis-je.

— Bien entendu.

Elle s'inclina et je m'éloignai, passant devant Swain qui m'emboita le pas dans la foulée, se montrant agaçant et trop mielleux.

— J'ai réfléchi vous savez, lâcha-t-il.

Je retins une réplique acerbe de peu. Il appelait tous mes mauvais côtés, me donnant envie à la fois de le rosser et d'embrasser ce sourire impétueux.

— Et avant que l'envie de me rembarrer ne vous vienne, oui, ça m'arrive.

En plus d'être un idiot, il pouvait s'avérer plutôt drôle. Si je lui demandais la première ce qu'il faisait ici, avec moi, j'aurais eu l'impression de perdre une partie à peine entamée. Je n'aimais pas perdre. Je détestais cette idée.

— Donc tu sais réfléchir, très bien, cinglai-je. Va maintenant au bout de ta pensée ou tais-toi, tu gâches mon environnement.

Il eut l'audace de ricaner avant de venir se placer à côté de moi, comme un égal. Il restait un Général, ainsi, je ne pouvais pas le remettre à sa place seulement sous prétexte qu'il m'horripilait. Mais ça me démangeait.

— Qu'est-ce que j'obtiens une fois grand vainqueur ?

Je fronçai les sourcils.

— Je t'ai choisi comme Champion, c'est une reconnaissance suffisante, non ?

— Pour d'autres, peut-être, mais je marche aux récompenses, ma Reine.

— Comme un chien ?

Ses doigts s'enroulèrent autour de mon poignet pour me forcer à m'arrêter et à me tourner vers lui. Il n'avait rien d'un chien. Ou alors, une bête indomptable, prête à attaquer à la vue de la moindre faiblesse.

— Personne ne peut se targuer d'être mon maître, ma Reine, grinça-t-il. Je peux me battre pour vous, mais je peux aussi me battre contre vous.

Ce n'était pas une menace, juste un fait énoncer froidement. Comme une promesse qui caressa ma peau et tendit mes mamelons. Mon souffle se fit tremblotant, mais je me repris.

Aucune faiblesse.

Aucune porte ouverte.

— Une faveur. Gagne et tu auras ce que tu veux.

Il sembla surpris que je cède si facilement. Je savais que ça pouvait s'avérer dangereux, mais j'agis sur un coup de tête, oubliant pour un moment la Reine et redevenant presque, le temps d'un court moment, juste Maesuka.

J'aimais les jeux de dupes. J'aimais les parties corsées et les combats difficiles.

— Oh, mais j'y compte bien, ma Reine. J'y compte bien...

La dernière fois que j'avais assistée à la Fête de l'Équinoxe, j'étais une jeune enfant, naïve et heureuse de toute cette effervescence. J'avais alors en hâte de rentrer pour tout raconter à Renfri et voir les étoiles brillé dans ses yeux magnifiques. Aujourd'hui, tout était différent. Je me tenais aux côtés de Gharma, guerrier parmi les guerriers au sein de son Clan, l'homme le plus respecté pour sa force et son honneur. Gharma aimait la guerre, il la voyait comme une vieille amie fidèle, il la talonnait férocement, attendant son heure, vibrant d'une énergie brute. C'était un homme qui ne reconnaissait que la force, qu'elle se cache dans un homme ou dans une femme. Son Clan comptait nombre de femmes qui se battaient aux côtés des hommes, aucune laissée pour compte.

La valeur d'un homme se calculait à son nombre de batailles. Et quelqu'un n'ayant jamais empoigné une lame ne valait rien pour les Adamariens.

Nucuaka se tenait aux côtés de son époux, assise fièrement sur un siège confortable, peu ouvragé. Dans sa tenue de guerrier, Gharma semblait dans son élément.

— Mon cher frère m'a fait remarquer ce matin que j'avais certainement commis un impair envers sa Majesté en lui réclamant sa participation aux Jeux.

Dzergua Nezheh se rapprochait le plus d'un conseiller pour son frère, comme Vrak pour moi. Il ne quittait jamais le Clan, même pour se rendre à Archdragon.

Je souris, parce que je savais que Gharma se fichait d'avoir commis un impair ou non. Durant l'Équinoxe, il laissait son rang de Général de côté et me plaçait de ce fait au même rang que n'importe qui. Un jeu dangereux pour lui. J'aurais pu réclamer un prix élevé pour un tel comportement, mais disons que ça m'amusait suffisamment pour que je fasse l'impasse dessus.

— J'ai choisi un Champion spécialement pour l'occasion, Général alors profitons du spectacle et laissons de côté la politique et nos rangs respectifs. Au moins pour un moment.

Il m'observa quelques longues secondes. Une œillade suspicieuse, curieuse. Il me jaugeait. M'analysait pour se faire son propre avis. Princesse, je n'avais rien représenté pour lui, mais dorénavant, j'étais Reine d'Astalos.

La foule scanda le nom du guerrier de Gharma et ce dernier apparu, montagne de muscles et visage recouvert de cicatrices.

— Un bon élément, j'imagine ? m'enquis-je.

— Efficace, dirais-je.

— Trop lourd, donc peu rapide.

Son sourire étira ses lèvres.

— Il peut broyer un crâne avec une seule main. Qu'en dites-vous ?

— Il faut déjà qu'il parvienne à se saisir de son adversaire pour ça.

Swain entra dans l'arène à son tour, ne portant qu'un pantalon et son plastron sous ce soleil percutant. Il paradait, comme un paon dans sa cour, attifer d'un sourire immense, calculateur et moqueur.

Il leva la tête pour me regarder droit dans les yeux.

— Prendre un Général comme Champion, c'est intéressant, lâcha Gharma.

— N'est-ce pas ? dis-je.

Le combat démarra et je compris mon erreur en voyant le guerrier de Gharma bouger. Il était rapide.

Véloce.

Et à de nombreuses reprises, il faillit atteindre Swain. Mais ce dernier ne faisait rien d'autre que d'esquiver, éviter les coups, ses jambes se mouvant avec grâce, un jeu qui ressemblait étrangement à une danse. Chaque pas prit avec soin, avec élégance. Et lorsqu'il choisit enfin d'attaquer, ça ne dura qu'un instant.

Il était presque aussi efficace que Sekhir. Ce qui m'agaça au plus haut point.

Voilà le trésor que se cachait au sein du Clan Zamarat. Des hommes de cette trempe.

Ghamar fit la moue. Et j'éclatai de rire devant sa mine déconfite.

— Aurais-je gagné cette manche, Général ?

— Je sais reconnaître la défaite quand elle se présente à ma porte, Majesté.

Bien entendu, Gharma n'en resta pas là et choisi deux autres guerriers pour faire face à mon Champion, mais à chaque fois, l'issu resta la même.

Je ne rejoignis mes appartements qu'en fin de journée, après des combats sans fin et une énergie vorace, pompant la mienne. Je refermai les portes derrière moi et me glissai dans la chambre mise à ma disposition le temps de mon séjour.

Une odeur d'encens flottait dans l'air et le silence me fit du bien. Je me délestai de mes vêtements de la journée et après une rapide toilette, optai pour une robe légère et un kimono passé par-dessus.

Les portes grincèrent à l'arrivée de Swain. Sans s'annoncer, sans même frapper, il entra. Je lui tournai le dos, mélangeant un onguent dans une petite boite en bois ronde.

— Installe-toi, dis-je sans me retourner.

— Je m'attendais à être accueilli en champion.

— Je n'ai rien vu qui aurait mérité pareil accueil, Général.

Lorsque je me retournai, il était assis au pied de la méridienne, à même le sol, encore vêtu de son plastron.

— Retire-le.

Un sourire taquin joua sur ses lèvres.

— Au bon plaisir de ma Reine.

Je levai les yeux au ciel et m'avançai vers lui. Il se retrouva torse nu et je vis le bleu énorme qui fleurissait sur son bas-ventre. Un mauvais coup. Lorsque je m'accroupis à ses côtés, plongeant mes doigts dans l'onguent, il fronça les sourcils.

— Qu'est-ce que vous faites ?

— Ça ne se voit pas ? répliquai-je.

Il ne broncha pas quand j'étalai le baume sur sa peau, recouvrant son bleu aux multiples couleurs. Aucun de nous deux ne parla et lorsque je me redressai, ses doigts agrippèrent ma cheville, serrant doucement ma peau à cet endroit.

— Tu as pris ta décision ? soufflai-je.

Il releva ses yeux vers moi, m'observant de sous ses cils. Ce qui brillait dans son regard se passait de mots. Lorsque je m'écartai, il me laissa faire. J'allais reposer la boîte et tout en me retournant, laissait mon kimono glisser au sol, tout en déboutonnant le devant de ma robe. Il me regarda faire, une jambe repliée contre lui, aucune expression sur le visage.

Il aurait pu demander des réponses.

Il aurait pu réclamer la vérité concernant lafuite de Sekhir et Renfri, mais non. Ma robe glissa par terre, me dévoilantdans ma tenue la plus simple. Mes seins pointaient dans sa direction et je sentis un frisson parcourir mon corps lorsqu'il se releva enfin, son pantalon déboutonné. Il attendit que je vienne à lui, que mes mamelons effleurent sa poitrine pour se saisir de moi et m'inviter à m'allonger sur la méridienne. Il me recouvrait alors et son visage disparut dans mon cou au moment où il entrait en moi, sans brusquerie, d'un coup de hanches, une poussée profonde et pleine. Ma main fourragea sa chevelure et nos deux corps dansèrent, avec pour seule arme un désir exacerbé par la peau de l'autre. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top