Chapitre treize

MAESUKA


Royaume d'Astalos.

L'archet glissait sur les cordes du violon, offrant l'air le plus triste que je n'eus jamais entendu durant ces dix-huit dernières années. Le musicien, yeux fermés, semblaient vivre son air bien plus que je ne le pouvais, même alors que la douleur de la musique m'étreignait le cœur, me donnant envie de me rouler en boule dans un coin et d'attendre.

Que Renfri vienne me trouver comme elle le faisait lorsque nous étions enfants. Qu'elle me tende sa petite main sans savoir à quel point ce simple geste m'avait sauvée à de nombreuses reprises.

Mère, à mes côtés, se tenait droite et quoique pâle, elle restait majestueuse, un port altier à toute épreuve, laissant sa peine en-dehors du champ de vision de tous ceux présents. Cette dernière nous appartenait, à nous et à nous seuls. Les Dragnir pleuraient leur père, leur fils, leur mari, leur frère.

Le peuple pleurait un Roi.

Les chants s'élevèrent de toute la salle et résonnèrent, emportés dans les couloirs d'Archdragon, emplissant chaque pièce vide, jusqu'au tombeau ; dernière demeure du peuple Dragon. J'écoutai, cherchant à comprendre les paroles, cherchant à ressentir un quelconque sentiment, mais tout me semblait vide. J'aurais préféré le silence. J'aurais préféré mes appartements plutôt que ce lieu où chaque regard se trouvait rivé sur moi. Liretis Dragnir ne cessait de me jauger. Les seuls mots qu'elle avait eus à mon égard étaient exempts de toute compassion.

« — Je sais ce que tu as fait à mon fils. »

Cette vieille bique... toujours enfermée dans ses propres appartements, mais au courant des moindres secrets au sein du palais. Elle avait des oreilles et des yeux partout et la loyauté des uns et des autres lui était acquise aussi sûrement qu'elle me faisait défaut. Le peuple m'aimait. Mais était-ce suffisant ?

La force d'un souverain venait de son peuple et non pas de ses généraux. La philosophie de père alors même que la guerre couvait partout en Zharroh et menaçait nos frontières. Nous avions des soldats alors pourquoi ne pas les utiliser ? Nous avions une armée, alors pourquoi l'ignorer ?

Je fermai les yeux, lasse. Les doigts glacés de mère se posèrent sur mon bras, soutien silencieux alors même que les murmures semblaient se répandre comme une traînée de poudre.

La deuxième Princesse avait disparu. Enlevée par la Foudre ? Impossible !

On me regardait, on cherchait la vérité ; là où s'étendait le mensonge.

Le Roi, mort naturellement ? Comment ?

Le Seigneur Vrak blessé par la Foudre lors de sa fuite ?

Tout ce poison s'insinuait en moi et je ne pouvais l'ignorer. Il remplissait mes veines, gorgeait mon corps tout entier et me donnait la nausée.

Je me levai et sans attendre, quittai la salle, ne pouvant pas rester une seule minute de plus. Je traversai le couloir en marchant vite, mon ombre pour seule compagnie.

Sekhir dirait la vérité à Renfri. La seule et l'unique. Pas celle qui se propagerait dans tout Astalos pour finir par courir sur le Continent.

Non, celle à laquelle il avait été témoin. Le croirait-elle ?

Bien sûr que oui. Sekhir est le centre de son monde, pensai-je amèrement. Aucun de nous capable d'encadrer l'autre ; une haine profonde née d'un ressenti évident. Comme si nous avions été incapables de nous partager Renfri.

Mais aujourd'hui, c'est avec lui qu'elle est et toi, toi, tu es toute seule...

Je ne ploierais pas sous la force de mon chagrin et de cette solitude. Je me devais de me tenir droite. Dès demain, je deviendrais ce pour quoi j'étais née et je ne pouvais plus faire marche arrière. Pas après ce sacrifice.

Où avais-je commis une erreur ?

Le visage de Sekhir m'apparut et me fit grimacer. Toujours là. Dans l'ombre. Caché. Complotant avec père. Le soldat le plus puissant d'Astalos au service de Renfri. Son épée, son bouclier, sa hache. Vrak avait envoyé les meilleurs Dragans à la poursuite de la Foudre, mais il ne comprenait pas à quel point tout ça était vain.

Personne ne l'atteindrait. La seule capable de cet exploit demeurait Renfri. Avec elle à mes côtés, je pourrais contrôler la Foudre. Sans elle ?

Je refermai la porte derrière moi et m'appuyai contre le battant. Mes pieds m'avaient amené dans la chambre de Renfri. Rien n'avait bougé.

Son lit défait. Des armes en vrac posées sur la table en bois et sur son oreiller... Je m'avançai jusqu'à prendre la broche entre mes doigts. Un magnifique dragon serti de pierres précieuses. De l'art au bout de mes doigts. Je me souvenais l'avoir vu pour la première fois lors de notre soirée d'anniversaire. Avoir vu Sekhir observer l'objet avec des yeux remplis...

Je rejetai la tête en arrière, le cœur lourd en cette nuit de deuil. Mon autre main chercha la dague de Renfri. Celle-là même que Vrak m'avait rapportée après la fuite de ma sœur.

Chaque leçon enseignée par mes précepteurs tournoya dans mon esprit, me rappelant d'être forte et de ne pas craquer. Pas encore. Mais je n'étais pas encore une reine. Je ne gouvernais pas encore, alors une fois encore, je pouvais être moi.

J'étouffai mes sanglots en mordant mon poignet. Et laissai la tristesse m'étreindre, sans espérer voir la main tendue de ma sœur.


Vrak repoussa l'étoffe d'un geste désinvolte et le soleil m'aveugla un instant. Au même moment, les hurlements de la foule en liesse éclatèrent dans toute la Cité-Mère.

— Tu es née pour ça. Sois forte, souffla mère.

L'espace d'un instant, je cherchai Renfri du regard. Le poids de la couronne sur ma tête me semblait trop grand. Je m'avançai sur le balcon surplombant la cour et vis mon peuple.

Des sourires.

Des rires.

Des larmes.

Voilà mon Destin.

Un jour, une Oradrag me l'avait soufflée, me rappelant quelle route emprunter. Me soufflant la vérité pour ne pas me perdre.

Vrak m'attendait, magnifique dans sa tenue d'apparat, son visage défiguré à jamais. Je me sentais forte. Puissante, même.

Plus rien ne pouvait m'entraver dorénavant. Hormis peut-être ces hommes qui m'attendaient, jetant sur moi des coups d'œil curieux et méfiants.

Les Généraux.

Les chefs des Tribus Unies.

Adamar. Zamarat. Corindis. Pheiros.

Gharma Nezheh du Clan Adamar ne reconnaissait que la force, alors il me faudrait trouver un moyen de le rallier pleinement à ma cause. La guerre jouerait un grand rôle à cela.

Sekres Thoguth du Clan Corindis n'avait d'yeux que pour le trône, et ce, depuis toujours. Pour autant, il avait toujours été un allié pour père.

Akhe Souzakuh du Clan Pheiros restait celui que je perçai le moins à jour. Observateur et attentif, il semblait attendre. Quoi ?

Et Shaji Nehguath... le Clan Zamarat s'était assagi depuis de nombreuses années. Ils comptaient de très nombreux guerriers redoutables dans leurs rangs. Ils allaient sortir à nouveau les crocs une fois que tous seraient au courant de la trahison de Sekhir. Trahison qu'ils ne croiraient pas...

Ces Tribus avaient beau être appelées Unies, la vérité était tout autre et il me faudrait fédérer chacune d'entre elles si je voulais mener à bien mon projet.

Chaque Général s'inclina devant moi et je ne cillai pas devant le regard trop insistant du père de Sekhir.

— Reine Maesuka, me saluèrent-ils d'une voix accordée.

Mais si désorganisée !

— Redressez-vous, Généraux. Aujourd'hui est le début du renouveau.

Ils me laissèrent passer devant eux pour que je me tienne face à la foule.

Je levai une main pour saluer mon peuple et d'une voix puissante, je fis le serment d'être une bonne Reine et d'amener chacun d'entre eux dans une ère prospère et nouvelle.

Astalos changerait. Quoiqu'il m'en coûte.

Le Roi est mort.

Longue vie à la Reine ! 

**

Sûre que vous étiez pas prêtes 😎

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