Chapitre soixante-trois
RENFRI
Est-ce que tu m'entends, petite fille ?
Je n'entendais rien. Rien d'autre que ce hurlement, ce bruit incessant qui venait de la terre.
Non.
Pas de la terre.
On racontait que notre monde était une prison. Celle d'un Titan déchu. Que jamais il n'en sortirait.
On racontait que Gardeterre reposait au Cœur de la Prison. Qu'il y sommeillait, d'une certaine façon, privé de ses pouvoirs draconique. Et la Cicatrice n'était qu'une conséquence de son emprisonnement. Parce qu'il empoisonnait le monde.
Notre monde.
Témoin d'un réveil prochain ? Les Dragons ne volaient plus dans le ciel depuis bien avant ma naissance. Mais nous connaissions tous le nom des Dragons Originels. Les cinq œufs laissés aux Elfes.
Gardeterre.
Tisse-Sort.
Veille-Tonnerre.
Lieuse-de-Vie.
Créateur-de-Néant.
En Astalos, on racontait qu'Archdragon avait été érigé pour contenir Gardeterre et que sa dépouille reposait loin, loin sous terre.
Loin des yeux, mais trop près encore de la surface pour y apposer son mal.
Un mal purulent.
La Cicatrice et aujourd'hui, elle saignait. Et elle contaminait tout le monde autour d'elle.
Ergo.
Les Assassins.
Kezar et Sekhir ?
Tout pulsait en moi. C'était douloureux, intolérable. Mes os vibraient et je peinai à respirer. Mais je savais, je savais que je pouvais faire quelque chose.
Comment ? Je l'ignorais. Mais je n'arrivais plus à penser à autre chose, à m'en détourner ne serait-ce qu'un instant pour être témoin du combat entre Ergo et les deux guerriers.
Il y avait quelque chose en moi, qui me disais d'agir.
Qui me hurlait de réagir.
Et d'aspirer le mal.
De l'aspirer, de l'avaler, de l'annihiler.
Jusqu'à la dernière goutte.
Pour qu'il n'en reste plus rien.
Je n'avais pas besoin de savoir comment le faire. Quelque chose me soufflait qu'on me le dirait, le moment venu.
Cette fois.
Ce fameux je-te-connais.
Toujours là, dans ma tête, qui me tirait dans ses rêves, dans une autre réalité.
Je devais l'écouter. Le laisser m'aider. Ne pas avoir peur. Ne rien craindre.
Est-ce que tu m'entends, petite fille ?
Je me penchai et je vis le pouvoir, le mal. Ce n'était pas vraiment de l'eau, mais quelque chose en mouvement, comme des filaments de lumière. Comme des fils qui serpentaient. Et qui chuchotaient.
Des mots.
Des noms.
Adrellian. Adrellian. Adrellian.
Je me trouvai aspirée par la magie. La Cicatrice en était gorgée après tout. Parce que depuis longtemps, la magie signifiait le mal.
Depuis que plus aucun Dragon ne parcourait le ciel.
Viens, viens. Viens, petite fille. Je sais... qui tu es.
Ça m'appelait.
Ça me dévorait.
Et lorsque mes doigts touchèrent la Cicatrice, ma peau me brûla.
Je hurlai. Je hurlai parce que la douleur qui me traverser, je ne pouvais pas lutter contre.
Elle
S'insinua en moi.
Elle
Aspira
Vola
M'écrasa.
Mon corps tout entier fut traversé par une onde de choc et mes muscles se tendirent dans un sursaut. Ma nuque se courba et la tête en arrière, les yeux grands ouverts, je le vis.
Le mal. De la Cicatrice. Des filets noirâtres. De la brume qui ressemblait à des tentacules.
Et les chuchotements ne firent que s'accentuer. Ils hurlèrent à mes oreilles.
Adrellian.
Renfri.
Échos.
Renfri. Renfri. Renfri.
Quelque part, j'entendis la voix de Zexrandra.
Qui me parlait de Thiseriss, Lieuse-de-Vie. Qui me parlait des Nœuds de Vie. Sa voix. Qui chuchotait, mais qui ne surpassait pas les hurlements.
Ce froid en moi. Qui me grignotait couche après couche. Qui se frayait un passage jusqu'à mon cœur.
L'Elfide, dans mon dos. Son souffle, sa présence.
Sa voix, à lui.
Tu dois le prendre. Tu dois détruire la Cicatrice. Prends-le mal, Renfri. Prends-le.
Je m'étouffai.
La brume se jeta dans ma gorge et je m'étouffai.
Mes ongles griffèrent ma gorge. Et le pouvoir explosa en même temps qu'une partie du sol se délitait. S'effondrait.
Un cri résonna.
De l'...
Il me fallait de l'...
Air.
Mon corps s'arcbouta. Plus aucun son ne franchissait mes lèvres. Tout brûlait. Mes os, mes muscles, ma peau.
Je tailladai ma peau pour de l'air.
Et la Cicatrice se vidait de sa substance pour entrer en moi. Me remplir. Me noyer.
Je suffoquai. Je sombrai.
Je m'enlisai.
— RENFRI !
Prends tout. Tout, tout, tout.
L'espace d'un instant, le monde se figea. Je bus la dernière goutte de la Cicatrice.
Je bus une partie de l'essence de Gardeterre.
Et ce fut fini.
Tout s'arrêta. Se figea. Le sable dans l'air. L'eau dans la fontaine.
Un hoquet.
Là, je croisai le regard d'Ergo, les armes de Sekhir et Kezar le transperçaient de part en part. Dans ses yeux, ce n'était plus le Haut-Maître, mais une entité.
Le mal en personne.
Son sourire me cueillit.
Je sais ce que... tu... es.
Dans une gerbe de flammes, le Haut-Maître flamba et son corps devint cendre. En quelques secondes. Une bourrasque le balaya. Et dispersa ce qu'il restait de lui.
Ma paume contre le sol m'empêcha de m'effondrer.
J'entendis de nouveau l'eau. Je perçus de nouveau le sable dans l'air.
Les doigts de Sekhir agrippèrent mon menton et ses yeux fouillèrent les miens.
— Ren.
Je respirai, mais à l'intérieur, à l'intérieur, tout était froid.
Comme figé. Glacé.
Le mal. Le mal. Le mal.
J'ouvris la bouche, mais aucun son n'en sortit.
Je voulais fermer les yeux et dormir. Dormir pour toujours.
Dormir pour tout oublier.
Maesuka.
Le fouet.
Le toucher d'Ergo.
Les blessures de Sekhir.
Kezar.
Kezar.
Je croisai son regard. Figé, il m'observait, le visage indéchiffrable. Je décollai la langue de mon palais. Je luttai contre l'épuisement. Je luttai contre ce qui enflait en moi. Un haut-le-cœur me secoua.
Il m'effeuilla.
J'ouvris la bouche, prête à vomir, mais ce fut bien une brume noire qui jaillit de moi. Mon corps trembla. Mes yeux s'écarquillèrent. Et j'entendis mon prénom.
Encore et encore.
Une litanie. Sans discontinuer.
Renfri. Renfri. Renfri. Renfri.
RENFRI !
Je tombai sur le côté, contre Sekhir. La brume se dispersa, à la manière des cendres d'Ergo.
Sous nos yeux, la faille se referma et ce fut comme si elle n'avait jamais existé.
Comme si la Cicatrice n'avait jamais empoisonné quiconque.
Le sol reprit sa forme originelle.
Et le froid me quitta.
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