Chapitre soixante-six


RENFRI

Sekhir préparait notre départ. Avec l'annonce de l'arrivée imminente de Maesuka, nous ne pouvions plus nous attarder ici. Déjà, toute la Cité-Mère vibrait de l'annonce. La Reine Dragnir qui venait en personne à Gylf, ce n'était pas commun. Mais qu'elle vienne pour récupérer sa sœur l'était encore moins. Et puisque la tête de Sekhir était toujours mise à prix, il ne pouvait sortir dans les rues comme il le souhaitait.

Nous étions donc sur le départ et cette idée me chagrinait. Je n'avais pas passé tant de temps que cela en Kagy, mais ce fut suffisant pour que je m'attache à bien du monde. Qu'il s'agisse d'Assassin ou non. Kuda, tout d'abord. Il ne disait rien, mais il sentait les choses.

Il sentait que son frère se préparait lui aussi à partir. J'ignorai quels avaient été les mots de Sekhir ou même de Baba, mais Kezar venait avec moi. Pour trouver les autres comme lui.

Les autres Échos. L'un d'eux se trouvait en Israkt. Alors nous quittions un désert pour un autre. Et le voyage ne serait pas de tout repos. Parce que si Kagy était réputé pour son climat et ses Assassins, Israkt n'avait rien à lui envier. Je n'éprouvais aucune peur cela dit, pas en sachant que Sekhir et Kezar seraient avec moi.

Mieux valait deux guerriers qu'un seul.

— Tu es prête ?

Kuda m'offrit un sourire et je hochai la tête. S'il y avait bien une chose qui n'avait pas changé après les derniers événements, c'était bien la chaleur écrasante. Je suai dans ma tenue légère et je sentais la sueur dégouliner le long de ma nuque. Mon pouce passa sur la marque de Kezar, par automatisme, presque pour me rassurer et me rappeler que tout était arrivé pour une raison.

Pour écraser un monstre. Et libérer une cité dans le besoin.

Aujourd'hui, Gylf et tout Kagy fêtaient l'intronisation de la Grande Protectrice, un nouveau titre pour une nouvelle ère. Notali connaissait les jeux de cours mieux que personne, alors je ne m'inquiétais pas trop pour elle.

Ainsi, toutes les grandes familles se rendaient au Palais pour fêter cet événement. Du jamais ici puisqu'Ergo avait toujours été Haut-Maître. Sa disparition faisait parler. Certains Assassins n'appréciaient pas cette nouvelle réalité, mais d'après ce que je j'avais pu glaner, Asome gérait très bien les récalcitrants. Tout le monde savait qu'après Kezar, il était le meilleur.

Sakhi nous attendait dans le palanquin, déjà installée, magnifique dans sa robe légère, son visage à découvert. Affranchie de ses chaînes, elle n'était plus une Kyga-Daki. Libre de vivre. Libre de rester avec ses frères. Elle restait très attachée à Notali, mais ne retournerait pas au Palais pour y habiter. J'ignorais ce qu'il en était des autres, mais Sakhi resterait au domaine.

À côté du palanquin, Kezar m'offrit un sourire. Il était bien habillé, beau et rayonnant. Il tenait négligemment sa canne dans une main, ne sachant pas trop s'il la gardait ou s'il s'en séparait pour de bon. De toute manière, d'ici quelques heures nous quitterions Gylf, avec ou sans canne...

— Je sens que tu es en train de te moquer de moi, dit-il et il arqua un sourcil.

— Tu crois ? Et qu'est-ce qui te fait dire ça au juste ?

— Ton sourire.

Je lui tirai la langue avant de redevenir sérieuse.

— Notali va réussir à diriger un Royaume tout entier ?

— Asome sera à ses côtés.

— En tant que nouveau Haut-Maître ?

— Probablement. Il ne peut pas contrôler la Guilde sans un titre honorifique.

Quelque chose m'éblouit et je levai une main pour me protéger. Les yeux de Kezar glissèrent sur la marque laissée par le fer.

— Si tu dis encore que tu es désolé, je...

— Je me disais juste que j'aimais assez voir ma marque sur toi.

Je rougis. Violemment. Avant de le repousser. Il attrapa mon poignet et le porta à sa bouche. Pour y déposer un baiser.

Qui me fit quelque chose.

Dans mon ventre. Qui fit bouillir mes veines.

Rugir mon cœur.

— Tu es toute rouge, Princesse.

Une main repoussa les toiles du palanquin :

— Tu as fini de faire le malin ? lâcha Sakhi, pas du tout dérangée par la scène sous ses yeux. Nous allons finir par être en retard.

Kezar fit la moue et me lâcha.

— Où est la Foudre ? s'enquit Sakhi.

— Parmi les Keneyfs. Je l'ai enrubanné à la perfection ! dit Kezar plutôt fier de lui.

Enrubanné ?

Je secouai la tête et le Menadas m'aida à grimper avant de monter à ma suite. Ce fut le signal pour les porteurs et le reste de la procession.

Direction Ar'Jabra.

Le trajet ne fut pas sans encombre. La Cité-Mère célébrait aussi la nouvelle et les rues, bondées de monde, nous ralentirent. Il régnait dans l'air cette ferveur que j'aimais, cette joie. Je vis des enfants courir, s'amuser et rire. Penchée, je ne loupai pas une seule miette. À l'inverse de moi, Sakhi ne bougeait pas, bien droite, presque immobile. Le résultat d'année passée à plaire et complaire au Haut-Maître. Kuda pépiait, pointait du doigt et nous parlâmes tout le long du trajet, incapable de nous taire.

Lorsque les porteurs nous posèrent, nous découvrîmes du monde au Palais. Des dizaines et des dizaines de personnes. Des nobles pour la plupart. Tous bien habillés, portant des couleurs vives, chaudes. Des danseuses bougeaient au rythme des cymbales. Des cracheurs de feu attiraient les regards et la nouvelle Grande Protectrice se tenait au centre de la pièce, sur des coussins de toutes les couleurs, ses suivantes à ses côtés. Notali était incroyablement belle. Elle possédait cette prestance que peu de femmes avaient.

— Il n'y a vraiment pas de singes ? soufflai-je.

Et Kezar éclata de rire. Il fut attiré dans des conversations et Sakhi retrouva Notali. Je restais avec Kuda tout d'abord, avant d'apercevoir Sekhir, ses cheveux cachés par un turban et qui se mêlait très bien parmi les autres Keneyfs.

— C'est très différent de Losar, dis-je.

— Aucun Royaume n'est semblable à un autre, répondit-il, concentré sur son environnement.

Que craignait-il ? Une attaque ? L'arrivée de Maesuka ? Nous en avions à peine parlé. Et je savais qu'il éluderait. Il ne voulait pas en parler. Ni aujourd'hui ni demain d'ailleurs.

Si Maesuka arrivait avant notre départ, que ferait-elle ?

Que lui ferait-elle ?

Elle le tuerait. Ou essayerait.

— Est-ce que nous y retournerons un jour ? soufflai-je alors.

— Où ça ? demanda-t-il, pas vraiment concentré sur notre conversation.

— À la maison.

Ses yeux se posèrent sur moi et je vis son conflit intérieur.

Il pouvait me mentir s'il le voulait. Et j'aurais prétendu que c'était la vérité. J'aurais prétendu que ce n'était rien, que ça ne me faisait rien.

— Ren...

Asome apparut alors, accompagné d'Assassin. Et on scanda son nom. Parce qu'il était le nouveau Haut-Maître et que d'ici quelques jours, un mariage finirait de sceller le nouveau couple régnant.

Asome et Notali.

Maesuka finirait-elle par prendre un époux ?

Cette simple pensée me rendit triste. Que connaissais-je de ma sœur après tout ? Rien. Sinon, j'aurais su qu'elle comptait tuer notre père. Et prendre le pouvoir.

Je ne savais rien d'elle.

Et finalement, que savais-je de moi-même ? Capable de soigner la Cicatrice, d'en aspirer le mal. Je devais trouver les Échos et ces derniers me conduiraient quelque part.

Découvrir ce qu'était devenu le dernier œuf draconique.

Aux confins de notre continent.

Kagy.

Israkt.

Et après ?

Olea ?

— Renfri ?

Je sursautai presque, n'ayant pas entendu Notali approcher.

— Pourrais-je te parler un moment ?

Je me contentai de hocher la tête et elle nous amena à l'écart du monde et des oreilles. Nous traversâmes les magnifiques jardins du Palais, trésor de Gylf.

— Il y a beaucoup de rumeurs et de secrets sur la famille Dragnir. Après tout, vous seriez les premiers humains à avoir liés votre destin à celui des Dragons.

— Je n'ai jamais aimé les secrets, dis-je.

— Ta sœur, la Reine, arrive et je ne mentirais pas pour vous. J'ai besoin d'une alliée et Astalos offre tout ce que je recherche, tu comprends ?

— Même si c'est une meurtrière ?

Des lames s'enfoncèrent dans mon ventre.

— Le pouvoir s'accompagne de sacrifice.

Notali s'arrêta et se tourna vers moi.

— Tu ne régneras jamais, Renfri. Parce que ta destinée est ailleurs. Plus vaste encore que de diriger un quelconque Royaume.

— J'ignore quelle est ma destinée, avouai-je.

Je devais trouver des sortes d'entités, ni vraiment humaine, ni vraiment Dragon. J'avais vu Kezar, son changement. Et un nom.

Adrellian.

Qui pulsait encore sous ma peau.

Comme une promesse pas encore prononcée.

Comme un secret qui attendait son heure.

Son temps.

— Certaines quêtes demeurent sans réponse pendant longtemps. Avant que tout ne se dévoile. J'ignore ce qui se passera pour nous tous dans le futur, mais tu y joueras un rôle. Pour notre bien ou notre malheur à tous.

Pour leur bien.

Ou leur malheur à tous.

Une prémonition ?

— Je pense que nos chemins se recroiseront un jour, Renfri. Jusqu'à ce jour puissent tous les Dieux de ce monde veiller sur toi.

Nous nous séparâmes sur ces derniers mots.

Et je me sentis étrangement prête à quitter ce Royaume, le regard déjà tourné vers l'ailleurs. 

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